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MÉLANGES

I

LA LÉGENDE

DES SAINTS BARLAAM ET JOSAPHAT

SON ORIGINE.

Au nombre des ouvrages les plus répandus et les plus goûtés a moyen âge se trouvait un livre qui, après un long oubli, a, dans ces derniers temps, attiré l'attention du monde savant, la Vie des saints Barlaam et Josaphat. C'est l'histoire d'un jeune prince, fils d'un roi des Indes et nommé Josaphat. A sa naissance, il avait été prédit qu'il abandonnerait l'idolâtrie pour se faire chrétien et renoncerait à la couronne. Malgré les précautions ordonnées par le roi son père, qui le fait élever loin du monde et cherche à écarter des yeux de l'enfant la vue des misères de cette vie, diverses circonstances révèlent à Josaphat l'existence de la maladie, de la vieillesse, de la mort, et l'ermite Barlaam, qui s'introduit auprès de lui, n'a pas de peine à le convertir au christianisme. Josaphat, de son côté, convertit son père, les sujets de son royaume et jusqu'au magicien employé pour le séduire; puis il dépose la couronne et se fait ermite.

-

on ne sait

Attribuée jadis à Saint Jean Damascène (VIIIe siècle), trop sur quel fondement, dit le Dr Alzog, cette histoire, dont l'original est écrit en grec et a dû être rédigé en Palestine ou dans une région voisine, fut traduite en arabe, à l'usage des chrétiens par

1 « On lui attribue encore (à saint Jean Damascène), nous ignorons sur quel fondement, deux ouvrages hagiographiques : La vie de saint Barlaam et de saint Josaphat et la Passion de saint Artémius (Patrologie, trad. de l'abbé P. Belet, 1877, p. 625.)

lant cette langue, et il existe encore un manuscrit, datant di LS cle, de cette traduction faite probablement sur une version syriaque. aujourd'hui disparue. La traduction arabe, à son tour, donna nassance à une traduction copte et à une traduction arménienne. - Å1 XIe siècle, la Vie de Barlaam et Josaphat avait déjà pénétré dans l'Europe occidentale, par l'intermédiaire d'une traduction latine. Dans le courant du XII siècle, cette traduction était insérée par Vineent de Beauvais (mort vers 1264) dans son Speculum historiale, pais par Jacques de Voragine, archevêque de Gènes (mort en 1298, dans sa Légende dorée, qui a été si longtemps populaire. Dans la premiere moitié du même siècle, le trouvére Gui de Cambrai tirait de cette traduction latine la matière d'un poème français, et il fut composé dans le même siècle deux autres poèmes français de Barlaam et Josaphat, ainsi qu'une traduction en prose. A la même époque que Gui de Cambrai, un poète allemand, Rodolphe d'Ems, traitait le même sujet, et, lui aussi, d'après la traduction latine; deux autres Allemands mettaient également cette traduction en vers. Les bibliographes mentionnent encore une traduction provençale, probablement du XIV* siècle, et plusieurs versions italiennes, dont l'une se trouve dans un manuscrit daté de 1323. Avec une traduction allemande en prose, l'histoire de Barlaam et Josaphat arriva en Suède et en Islande. La rédaction latine fut traduite en espagnol, puis en langue tchèque (vers la fin du XVIe siècle), plus tard en polonais. Ces quelques détails peuvent donner une idée de la diffusion de cette légende au moyen âge.

Enfin, en 1583, ceci a un intérêt tout particulier,- l'autorité de saint Jean Damascène, à qui la rédaction de l'ouvrage était attribuée, comme nous l'avons dit, fit entrer dans le Martyrologe Romain les noms des «< saints Barlaam et Josaphat.» A la fin de la liste des saints honorés le 27 novembre, on lit, en effet, ce qui suit : « Chez les Indiens limitrophes de la Perse, les saints Barlaam et Josaphat, dont les actes extraordinaires ont été écrits par saint Jean Damascène 2. »

Or, voici que de nos jours le caractère historique de cette Vie des saints Barlaam et Josaphat est tout à fait contesté. Déjà, durant les deux derniers siècles, elle avait été, de la part d'écrivains ecclésias

1 Voir Barlaam und Josaphat. Französisches Gedicht des dreizehnten Jahrhunderts von Gui de Cambrai, herausgegeben von H. Zotenberg und P. Meyer (Stuttgart, 1864), p. 310 et seq.— Barlaam und Josaphat von Rudolf von Ems, herausgegeben von Franz Pfeiffer (Leipzig, 1843), p. vIII et seq. Bulletin de l'Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg (classe historicophilologique), t. IX (1852), no 20, 21, p. 308, 309.

2 « Apud Indos Persis finitimos, sanctorum Barlaam et Josaphat (commemoratio', quorum actus mirandos sanctus Joannes Damascenus conscripsit. »

tiques des plus sérieux, l'objet de doutes ou tout au moins d'hésitasions très caractéristiques; aujourd'hui, des hommes familiers avec les études orientales, M. Max Müller, entre autres, affirment catégoriquement que cette légende n'est autre chose qu'un arrangement chrétien d'un récit indien, de la légende du Bouddha. Et M. Émile Burnouf, dans un livre aussi peu scientifique qu'il est antireligieux, s'est empressé de chercher là des arguments contre le catholicisme 1.

Y a-t-il lieu, pour nous autres catholiques, de nous effrayer de cette découverte, si elle est démontrée vraie, et sommes-nous obligés, en raison de l'autorité du Martyrologe Romain, de soulever, si l'on peut parler ainsi, la question préalable? Ce serait une insulte à l'Église que de le prétendre. Rien absolument ne nous empêche d'étudier cette question sans autre préoccupation que celle de la science.

Mais, avant d'entreprendre cette étude, il convient d'examiner ce qui résulte, au point de vue théologique, de la mention faite par le Martyrologe Romain des « saints Barlaam et Josaphat» et de leur légende.

On ne saurait trop le répéter: les écrivains étrangers au catholicisme exagèrent, sur une foule de points, l'infaillibilité dont l'Église revendique le privilège. Nous ne mettons pas la bonne foi en cause ; c'est, nous le croyons, uniquement le défaut de connaissances théologiques qui, la plupart du temps, leur fait ainsi grossir les choses. Dans la question qui nous occupe, quelques lignes d'un ouvrage dont personne ne contestera l'autorité suffiront pour tout ramener à de justes proportions. Qu'on ouvre le livre célèbre du savant pape Benoît XIV sur la béatification et la canonisation des saints, on y trouvera, formulés dans le chapitre consacré au Martyrologe Romain, des principes dont l'importance est d'autant plus grande, que Pie IX, par un décret du 1er septembre 1870, renvoie à cette partie de l'ouvrage de Benoît XIV tous ceux qui ont à traiter de ces matières 2.

<< Nous affirmons, dit Benoît XIV, que le Saint-Siège n'enseigne << point que tout ce qui a été inséré dans le Martyrologe Romain est << vrai d'une vérité certaine et inébranlable... C'est ce qu'on peut par<< faitement conclure des changements et des corrections ordonnés

1 Cet ouvrage de M. Émile Burnouf, le Catholicisme contemporain, fourmille d'énormes bévues. Nous en avons relevé quelques-unes dans le Français du 1er septembre 1879.

2 Le passage principal de ce décret a été reproduit dans la remarquable Introductio generalis ad historiam ecclesiasticam critice tractandam, du P. Ch. de Smedt, S. J. (Gand, 1876), p. 192.

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De quelle cature sont des erreurs qui perect s'être glissees 50s ↳ Marytrologe kommin? « 1. y en a de deux sortes, dit Beort XT: «otre estes dont les typographes sont responsables, quelques-cher • perrent Shee attribuées à ceux qui ont composé et ezize le Mir« tyrologe Romain. Ainsi, an 25 janvier, I etait fait mention (Bans • les premieres billions d'ane sainte Xymoris, martyre, per site « d'une confessa qui d'un nom commun avait fait un nom propre : « cette prétendue Xynoris martyre avait été introduite dans le Mr« tyrologe Romain sur Yautorité d'un texte de saint Jean Chrysos« tome mal interprété; dans ce texte, en effet, le mot Xymons « n'est pas le nom propre d'une personne, mais il s'applique à ma « comple» (poedig, de martyrs, Juventinus et Maximus, qui sf «frirent à Antioche sous Julien. Averti de cette erreur par Pierre « Pithou et autres, le cardinal Baronius la fit corriger 3. »

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Postremo asserimus Apostolicam Sedem non judicare inconcussæ esse et certissimæ veritatis quæcumque in Martyrologio Romano inserta sunt... Quod et optime colligitur ex mutationibus et correctionibus ab ipsa Saneta Sede demandatis.» De sercorum Die beatificatione et canonizatione, lib. IV, part. II, cap. xvii, n. 9.)

2

Insuper monemus aliud esse canonizationis judicium, aliud appositionem nominis in Martyrologio Romano, atque adeo ab errore qui forte contigerit in Martyrologio Romano, non recte inferri, in judicio quoque canonizationis errorem contingere posse ibid.\..

3 « Porro hi terrores corrigendi, sunt in duplici differentia: nonnulli quippe sunt, qui non incuria nec malitiæ typographorum, sed compositoribus et correctoribus Romani Martyrologii adscribi possunt. Ad diem 25 januarii fiebat in Martyrologio Romano commemoratio sanctæ Xynoridis martyris, facta translatione nominis appellativi ad proprium; Xynoris enim martyr inducta fuerat ex male intellecta auctoritate sancti Joannis Chrysostomi, homil. 14 de Lazaro, cum Xynoris apud eum non proprium nomen alicujus, sed par martyrum indicet, Juventini scilicet et Maximi, qui Antiochiæ passi sunt sub Juliano. Sed cum de errore fuerit admonitus cardinal Baronius a Petro Pithao, Nicolao Fabro et Petro Duceo, et error quidem ipse correctus fuerit, nulla amplius ejus habenda est ratio, uti etiam admittit Launojus in opusculo De cura Ecclesiæ pro veneratione sanctorum, artic. II (ibid.). » - Ajoutons quelques détails sur cette fameuse sainte Xynoris. Elle figure dans les deux premières éditions du Martyrologe Romain (1583); dans l'édition de 1584, la première approuvée par Grégoire XIII, et dans celle de 1586, revue et accompagnée de notes très érudites par l'illustre Baronius. Elle a

On voit qu'aux yeux de l'Église, le Martyrologe Romain n'est nullement irréformable. Même après les corrections ordonnées par le SaintSiège, c'est Benoit XIV qui nous l'apprend, un prince de l'Église, le cardinal Léandre Colloredo, avait recueilli de nombreuses notes en vue d'une nouvelle « épuration ; » mais la mort l'empêcha de mettre la dernière main à son ouvrage et de le publier 1.

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Ces principes posés, nous pouvons aborder avec calme la question des « saints Barlaam et Josaphat. »>

Le Martyrologe Romain actuel 2, rédigé vers la fin du xvre siècle (en 1583), par ordre de Grégoire XIII, a été tiré, pour la plus grande partie, d'un martyrologe antérieur, œuvre d'un bénédictin du nom d'Usuard, qui le composa vers l'an 875. C'était, du reste, de ce martyrologe d'Usuard qu'on se servait auparavant dans les églises et les monastères de l'Occident et de Rome même, en se donnant, il est vrai, la liberté de modifier, d'abréger et surtout d'augmenter le texte par l'addition de saints locaux ou appartenant à tel ou tel ordre religieux. Il n'est pas inutile, croyons-nous, de constater tout d'abord que les noms des «< saints Barlaam et Josaphat» ne se sont trouvés dans aucun des nombreux manuscrits de ce martyrologe qui ont été dépouillés par le P. du Sollier pour son édition classique du Martyrologe d'Usuard, formant la seconde partie du tome VI de juin des Acta Sanctorum. Ils ne se sont rencontrés, du moins jusqu'à présent, que dans les additions faites par Greven ou Grefgen et par Molanus dans leurs éditions respectives d'Usuard (Greven, première édition, 1515; Molanus, première édition, 1568). L'un et l'autre indiquent comme leur source un livre imprimé à Lyon en 1514, le Catalogus Sanctorum, de Pierre de Natalibus, mort vers 1370.

Ce Catalogus, recueil de légendes abrégées, n'a jamais eu aucune autorité officielle, pas plus que les autres collections de légendes et de vies de saints, telles que la Légende dorée (fin du XIIIe siècle), qui donne aussi, comme nous l'avons dit, la vie des « saints Barlaam et Josaphat,» pas plus que les martyrologes de Canisius et de Mau

disparu de l'édition donnée en 1589 à Anvers par ce même Baronius et des éditions subséquentes (vid. Introductio ad historiam ecclesiasticam du P. Ch. de Smedt, p. 149).

1.. Præter supra exposita, scimus cardinalem Leandrum Collore dum multa parasse pro nova expurgatione Martyrologii Romani, at morte præreptum opus absolvere et typis edere non potuisse (loc. cit.).»

2 Nous devons nos renseignements sur les martyrologes à l'obligeance de deux hommes tout à fait compétents: pour les martyrologes occidentaux, au P. Ch. de Smedt,S.J., le savant bollandiste; pour les martyrologes orientaux, au P.Martinov, S. J.,si connu pour son immense érudition en tout ce qui touche le monde slave et les antiquités religieuses de l'Orient.

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