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Aucune de ces questions n'avait été prévue dans les instructions diplomatiques. Les représentants du Roi ne purent que dissimuler leur embarras, en répétant de nouveau la demande déjà exposée au Pape.

Il était donc nécessaire, reprit le cardinal, qu'avant de rien conclure, le Pape envoyât ses conseillers à la cour de France afin d'obtenir une réponse précise et complète.

Cette opinion du cardinal d'Amiens rallia tous les suffrages, et le sens général de la réponse aux ambassadeurs parut dès lors fixé. Mais Clément VII tenait essentiellement à faire parler les deux autres cardinaux ; il ordonna de continuer encore la délibération en présence des envoyés. Il exigea même, les conférences terminées, que chacun des cardinaux exprimât ses conclusions sous forme d'avis et qu'avant de quitter Avignon, les ambassadeurs allassent les visiter en particulier « pour avoir un ami. »

Ces divers entretiens n'amenèrent d'ailleurs aucun résultat nouveau. On indiqua cependant d'une manière très vague les principales lignes à suivre dans la mise à exécution. « Il semblait expédient que Monseigneur d'Orléans entreprit ce fait en personne, qu'il eût continuellement deux mille hommes d'armes ou lances garnies et quinze cents hommes de trait avec bons capitaines et notables ; et qu'il eût bien grands seigneurs avec lui; et que lui et les dits grands seigneurs et les dites gens d'armes et de trait fussent tels, qu'ils ne s'en retournassent pas jusqu'à la fin de la conquête. Et semblait qu'avant que cette besogne prit fin, il y faudrait bien être par trois ans, et que par chaque année seraient bien nécessaires six cent mille francs; et qu'aussi il conviendrait de savoir du comte de Vertus quel aide il voudrait faire et comment il donnerait querelle franche au dit Monseigneur d'Orléans; et aussi que, si faire se pouvait, l'on cherchat à conclure alliance avec le comte et les grands seigneurs d'Italie 3.D

Mais les ambassadeurs tentèrent vainement d'amener le débat sur l'objet essentiel de leur mission, sur cette fameuse bulle octroyée au duc d'Anjou, qui leur servait de réponse à tout.

1 La relation officielle de l'ambassade dit seulement six cents. Arch. nat., J 495, n° 2, f. 8.

* C'est-à-dire l'occasion d'entrer en guerre.

3 Journal de la première ambassade.

Comme ils insistaient encore sur ce point, alors que le cardinal de Thury avait demandé que l'on agît avec une extrême circonspection, et « que l'on vît que cela se pût faire sans la destruction de l'état du Pape et de l'Église, » ils s'attirèrent cette brusque réponse: « Que si la besogne était autre, on ferait bien d'autres bulles. »

Du reste, ce même cardinal de Thury proposa une autre combinaison, peu faite assurément pour plaire à la Cour de France: on cherchait un moyen de créer le nouveau royaume sans éveiller les soupçons; il était pourtant facile de tout concilier : que le duc d'Orléans commençat la guerre au nom du Pape et qu'il mit dans les places enlevées des gens à lui; une fois la conquête terminée, on n'aurait plus rien à ménager et l'on pourrait alors lui accorder ouvertement une bulle d'inféodation approuvée par les cardinaux 1.

Dans l'intervalle, le 21 juin 1393, le Pape avait donné sa réponse officielle aux ambassadeurs, en annonçant qu'il enverrait son trésorier, l'évêque de Maguelonne 2, vers le Roi et son frère, « pour parler à eux de cette matière, et savoir d'eux leur intention plus avant sur le fait de ladite entreprise, au cas qu'elle se ferait, et sur la manière de faire 3. »

Somme toute, le résultat de la première ambassade fut assez loin de répondre aux espérances du duc d'Orléans et du comte. de Vertus. Si Clément VII avait favorablement accueilli la proposition des envoyés français, en revanche la bulle d'inféodation, que l'on croyait obtenir d'emblée, n'avait même pas été l'objet d'une seule minute de discussion, et les trois cardinaux consultés par le Pape avaient refusé de prêter aucune attention à ce fameux document sur le royaume d'Adria, qui devait aplanir tous les obstacles. Cependant l'affaire paraissait en bonne voie et Jean-Galéas en serait quitte, semblait-il, pour attendre encore avant d'écraser ses adversaires.

Ces négociations, dont l'issue pouvait leur être si fatale, échappèrent-elles complètement à l'attention des Florentins? La présence à Paris de Nicolas Spinelli et des ambassadeurs mila

oir pour toute la première ambassade, le Journal de Jean de Sains. Arch. nationales, J 495, no 5.

2 Antoine de Lovier.

9 Rapport officiel de la première ambassade. Arch. nat., J 495, n° 2, fo 8; Champollion-Figeac, p. 14.

T. XXVIII. 1er JUILLET 1880.

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nais ne resta pas du moins ignorée sur les bords de l'Arno. Ce fut même le roi de France qui donna l'éveil. Déployant beaucoup plus de zèle que Jean-Galéas ne l'eût souhaité, il voulut, dès qu'il apprit du Souverain Pontife l'existence de la ligue de Bologne, faire des observations à ses alliés, les Florentins. Vers le commencement d'avril 1393, un ancien lieutenant du sire de Coucy, Mathieu d'Humières vint, au nom de Charles VI, demander à la Seigneurie de ne favoriser ni le compétiteur de Clément VII, ni l'adversaire du roi Louis II d'Anjou 2. Bientôt les intrigues de Nicolas Spinelli furent dévoilées à Florence. On sut qu'il cherchait à perdre la République dans l'esprit du Roi, qu'il l'accusait de vouloir reprendre immédiatement la guerre,et d'avoir fait entrer dans la ligue le Pape de Rome et Ladislas de Durazzo, au mépris de la majesté royale. Aussi les Florentins s'empressèrent-ils de repousser hautement de pareilles calomnies, par une lettre éloquente, écrite au Roi le 2 juillet 1393, à l'époque même où l'évêque de Noyon et ses collègues quittaient Avignon. Ils essayaient de rétablir les faits sous leur véritable jour, en affirmant que la ligue de Bologne n'était qu'une mesure de précaution, et nullement le prélude de nouvelles hostilités; en même temps, ils cherchaient à excuser leur refus d'y laisser entrer Jean-Galéas. « Le Pape de Rome, » ajoutaient-ils malicieusement, a beaucoup insisté pour que lui-même et notre frère le comte de Vertus fussent admis dans la ligue: ce que nous avons refusé et n'avons pas voulu accorder, surtout à cause du schisme et des égards que nous devons à Votre Grandeur. Nous aurions bien volontiers reçu le comte de Vertus ; mais il aurait été peu honnête de lui accorder, à lui seul, ce que nous avions refusé à tous les deux ensemble 3. » Ainsi disparaissait complètement

Mathieu d'Humières fut un des lieutenants du sire de Coucy, pendant sa campagne en Italie de 1384. - Voir Bibl. de l'Ecole des Chartes, 1880,

p. 161 et seqq. La prise d'Arezzo en 1384.

2 Arch. de Toscane à Florence: Signoria, Carteggio, Missive, Reg. I Cancell., no 22, fo 143 vo. Lettre au roi de France du 17 avril 1393.

3. Insistit et successor Summi Pontificis prius electi, ut tam ipse, quam magnificus Frater noster comes Virtutum ejusdem lige federibus adderetur. Quod quidem negavimus, nec voluimus, maxime propter scismatis respectudinem et intuitum Vestre Celsitudinis, consentire. Recepissemus autem libenter et prefatum dominum Comitem, sed inhonestum erat uni concedere, quod ambobus extiterat denegatum. »

Arch. de Toscane à Florence: Signoria, Carteggio, Missive, Reg. I Cancell. no 22, fo 128 et seqq.

l'allégation qui, l'année précédente, avait servi de base au bel échafaudage imaginé par le comte de Vertus.

Toutefois, si les Florentins étaient au courant des rapports de Jean-Galéas avec la cour de France, ils paraissent avoir tout à fait ignoré la mission du sire de Coucy et de l'évêque de Noyon. Le secret était bien gardé, et nul en Italie ne prévoyait encore d'aussi grands événements.

Les négociations suivirent leur cours dans les termes convenus, mais avec une certaine lenteur. Sept mois s'écoulèrent sans autres incidents que deux voyages successifs de l'évêque de Maguelonne, envoyé à Paris par Clément VII, la première fois peu de temps après le retour des ambassadeurs, et la seconde fois vers la Toussaint. Encore, dans ce dernier voyage, l'évêque de Maguelonne fut-il seulement chargé de presser le Roi et son frère en leur représentant « que les besognes des parties d'Italie étaient en meilleure disposition pour entreprendre le fait, que oncques ne furent. 1»

Enfin, le 26 janvier 1394, de nouvelles instructions furent remises aux ambassadeurs. On leur adjoignit, en même temps, un quatrième personnage, Jean de Trie, chambellan du Roi et maréchal du duc d'Orléans, chargé de représenter personnellement le jeune prince.

Malheureusement pour les projets de Jean-Galéas, on retomba absolument dans la même faute que l'année précédente. On fut persuadé que les vagues explications fournies à l'évêque de Maguelonne et les lettres de pure courtoisie, que le Roi et le duc d'Orléans lui avaient remises pour le Pape, avaient dissipé tous les doutes du Souverain-Pontife, que désormais on ne rencontrerait plus aucune difficulté. Aussi l'on se borna, cette fois encore, à ordonner aux ambassadeurs de réclamer une bulle d'inféodation semblable de tout point à celle du royaume d'Adria; erreur qui s'explique, du reste, fort aisément, car, pendant la première ambassade, les cardinaux ne s'étaient plaints que de l'absence de renseignements précis, tandis que l'on n'avait élevé aucune objection contre le texte même de la bulle du 17 avril 1379 2.

Instructions pour la seconde ambassade. Arch. nationales, J 495, no 2, fo 9; - Champollion-Figeac, p. 20.

Arch. nat., J 495, n° 2, f° 8-9 ; - Champollion-Figeac, p. 15-21.

Or le pape Clément VII, qui en était l'auteur, avouait lui-même que la bulle du 17 avril, « faite en hâte et soudainement, sans délibération et sans conseil, et en un lieu où lui et les siens étaient continuellement en péril de leurs états et personnes, >> contenait « moult de notables fautes 1. ».

Quelles étaient donc ces « fautes » dont on reconnaissait si franchement l'existence? En comparant la bulle octroyée au duc d'Anjou avec la cédule soumise plus tard à l'examen des ambassadeurs, on voit que, sauf certaines divergences de détail, elles se réduisent à deux chefs.

L'une de ces erreurs n'affecte pas la rédaction même de la pièce c'est plutôt un vice de forme. On admettait, en effet, que les domaines de l'Église appartenaient en commun au Pape et au Sacré-Collège; le Pape n'avait donc pas le droit d'en aliéner une partie sans l'assentiment des cardinaux, et toute bulle d'inféodation, pour être valable, devait être passée en consistoire, c'est-àdire en leur présence et après libre délibération 2. Cette formalité avait été négligée en 1379. L'imminence du danger pouvait alors, sinon excuser, du moins expliquer cet oubli des règles établies. Mais, dans les circonstances présentes, la situation n'offrant plus les mêmes difficultés, le respect des traditions, la dignité du Sacré-Collège exigeaient l'entier accomplissement des formalités voulues en pareil cas On se rappelle, d'ailleurs, que, dès les premières entrevues, Clément VII avait fortement insisté sur l'obligation de faire intervenir tous les cardinaux.

La seconde erreur était plus grave. La bulle du 17 avril 1379 portait textuellement que le Pape érigeait en royaume toutes les possessions du Saint-Siège en Italie, moins certaines provinces spécialement désignées et qu'il retenait pour ses successeurs 3. En principe et sauf, bien entendu, les réserves stipulées, une pareille rédaction ne consacrait rien moins que l'abandon général au nouveau roi de tous les droits de propriété appartenant au Saint-Siège, dans la Péninsule entière. C'était une grave atteinte à la puissance matérielle et peut-être à l'indépendance de la Papauté. On pouvait à la rigueur, si les circons

1 Cédule remise par le Pape aux ambassadeurs.

fo 1. Champollion-Figeac, p. 29.

Arch. nat., J 495, no 4,

2 Journal de la seconde ambassade. Arch. nat., J 495, no 3, fos 3-4. lation officielle, même carton no 2, fo 9 vo;— Champollion-Figeac, p. 23. 3 Voir plus haut, p. 50.

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