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à 1573), les règles et l'esprit qu'elle a conservés en se perfectionnant. Garnier, qui le premier lui donna quelque poli, était contemporain de Lope. Le théâtre de la Comédie française et celui du Marais furent ouverts au public vers le commencement du dix-septième siècle. Enfin le grand Corneille, né en 1606, et Rotrou, né en 1609, parvinrent à l'âge d'homme avant la mort de Lope. Rotrou donna même avant cet événement onze ou douze de ses pièces au théâtre; mais Corneille ne publia le Cid qu'un an après la mort du grand dramaturge espagnol. Au milieu de ce zèle universel pour la poésie. dramatique, qu'on pense quel étonnement quelle admiration devait causer l'homme qui semblait vouloir suffire lui seul à la passion de toute l'Europe pour le théâtre, qui ne s'épuisait jamais en inventions piquantes, touchantes ou ingénieuses; qui produisait des comédies en vers plus facilement qu'un autre n'aurait fait des sonnets, et qui dans le temps où la langue castillanne était le plus en vogue, remplissait à la fois de pièces de tous les genres tous les théâtres de toutes les Espagnes, de Milan, de Naples, de Vienne, de Munich et de Bruxelles. L'influence qu'il n'aurait point peut-être pu obtenir sur son siècle par le fini de ses ouvrages, il l'obtenait par leur masse; il représentait de tant de manières et sous tant de formes, aux

yeux de tant de millions de spectateurs, l'art dramatique comme il l'avait conçu, qu'il donna à lui seul une habitude au monde, qu'il établit, qu'il consolida le préjugé en faveur de son théâtre, qu'il décida irrévocablement la direction de l'esprit espagnol dans l'art dramatique, et qu'il étendit sur les étrangers une influence puissante. Elle est sensible dans le théâtre de Shakespeare et de ses premiers successeurs; elle se fit aussi remarquer en Italie pendant, tout le dix-septième siècle; mais surtout on ne peut la méconnaître en France, où le grand Corneille se forma à l'école espagnole, où Rotrou, où Quinault, où Thomas Corneille, où Scarron, ne donnèrent presque au théâtre que des pièces empruntées de l'Espagne, où les noms et les titres castillans, où les moeurs castillannes, furent même pendant long-temps en possession exclusive de la scène.

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On ne lit presque jamais les pièces de Lope de Vega; elles n'ont point été traduites, que je sache; fort peu ont été réimprimées : il est fort rare d'en trouver de détachées dans les collections du théâtre espagnol, et quant à l'édition originale, elle se trouve à peine dans deux ou trois des plus célèbres bibliothèques de l'Europes (1). Il est donc convenable de présenter

(1) Elle se trouve bien à Paris, à la Bibliothéque du Roi, mais il y manque les tomes 5 et 6.

ici avec plus de détail un homme qui a joui d'une gloire si prodigieuse, qui a exercé une influence si puissante et si durable, non-seulement sur sa patrie, mais sur l'Europe entière et sur nous-mêmes, et qui cependant n'est plus du tout à notre portée, et ne nous est connu que de nom. Je sens que les extraits de pièces souvent monstrueuses, et toujours grossièrement ébauchées, peuvent rebuter les lecteurs. qui cherchent plutôt les chefs-d'œuvre de la littérature que ses matériaux les plus rudes; je sens que la prodigieuse fécondité de Lope cesse entièrement d'être un mérite aux yeux de ceux qui sont fatigués par les détails; mais si nous n'avons plus rien à y apprendre comme art dramatique, considérons ses comédies comme un tableau des moeurs espagnoles et des opinions réguantes. C'est sous ce point de vue que je chercherai à faire remarquer en lui les préjugés et la morale des Espagnols, leur conduite en Amérique, et leurs sentimens religieux, à une époque qui répond à peu près aux guerres de la ligue. Ceux pour qui le théâtre espagnol, dans sa rudesse, est sans intérêt, ne peuvent pas être indifférens au caractère d'une nation qui s'armait alors pour la conquête du monde; et qui, après avoir balancé long-temps les destinées de la France, semblait sur le point de la réduire sous le joug, et de la forcer à recevoi

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ses opinions, ses lois, ses moeurs et sa religion.

Un trait remarquable de toutes les pièces chevaleresques espagnoles, c'est le peu d'horreur et le peu de remords qu'inspire le meurtre. Il n'y a aucune nation chez laquelle on ait vu autant d'indifférence pour la vie d'autrui ; chez laquelle le duel, les rencontres armées et les assassinats soient plus fréquens, motivés par des causes plus légères, et accompagnés de moins de honte ou de repentir. Tous les héros de théâtre, au commencement de leur histoire, ont toujours tué un homme puissant, et sont obligés de s'enfuir. Après un meurtre, ils sont exposés, il est vrai, à la vengeance des parens et aux poursuites de la justice, mais ils sont sous la protection de la religion et de l'opinion publique; ils se sauvent de couvens en couvens et d'églises en églises, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus dans un lieu de sûreté ; et ce n'est pas seulement une compassion aveugle qui les favorise, le clergé tout entier fait un devoir aux fidèles, dans les chaires et les confessionaux, de montrer sa charité envers un malheureux qui a cédé à un mouvement de colère, et d'aider le vivant devant la justice, en abandonnant le mort, Le même préjugé religieux domine aussi en Italie; un assassin est toujours sûr d'être favorisé, au nom de la charité chrétienne, par

tout ce qui tient à l'Église, et par toute la partie du peuple qui est plus immédiatement sous l'influence des prêtres ; aussi, dans aucun pays au monde les assassinats n'ont été plus fréquens qu'en Italie et en Espagne. A peine dans le dernier pays voyait-on une fête de village, sans qu'il y eût un homme tué. Cependant ce crime devait paraître bien plus grave à des peuples superstitieux, puisque dans leur croyance, le jugement éternel dépend, non point du cours de la vie, mais de l'état de l'âme au moment de la mort; en sorte que celui qui est tué, étant presque toujours au moment d'une rixe dans un état d'impénitence, ils n'ont pas de doute. que presque tous ne soient condamnés aux flammes éternelles de l'enfer. Mais les Espagnols ni les Italiens ne consultent jamais leur raison sur leur législation morale; ils s'en fient aveuglément aux décisions des casuistes, et lorsqu'ils ont subi les expiations que leur imposent leurs confesseurs, ils croient s'être lavés de tout crime. Or, ces expiations ont été rendues d'autant plus faciles, qu'elles sont la source des richesses du clergé. Une fondation de messes pour l'âme du défunt, une aumône à l'Église, un sacrifice d'argent enfin, tant soit peu proportionné à la richesse du coupable, suffisent toujours pour effacer la tache du sang. Les Grecs, dans les temps héroïques, avaient aussi

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