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ries avec un de ces hommes qui, n'ayant jamais connu le malheur, semblent en redouter l'approche. Au détour d'une allée, Dusaulx aperçoit un infortuné dont la physionomie, la démarche, l'embarras même, lui rappellent le souvenir confus de quelqu'un qu'il croit reconnaître. Il le voit s'échapper au milieu des arbres et fuir ses regards. Je veux, s'écrie-t-il alors, parler à cet homme que vous voyez là-bas, couvert des vêtemens de l'indigence.

Eh! mon cher Dusaulx, laissez là cet homme; on nous regarde; l'allée est remplie de gens de notre connaissance; que dira-t-on de nous? Dusaulx ne pouvait lui répondre; il était déjà auprès de l'infortuné; il l'embrassait; il avait reconnu un ancien ami de collège. Déjà il savait tous ses malheurs, les besoins de sa nombreuse famille, la perte de sa place par une injustice; il lui inspirait du courage par sa confiance : dès le lendemain il réalisa toutes ses espérances, et M. de Breteuil lui rendit sa place.

Dusaulx s'était marié jeune; il épousa Marie-Jeanne Lieutau, après avoir refusé une alliance plus avantageuse sous le rapport de la fortune. Cette union, qui dura plus de cinquante ans, fit constamment son bonheur. Sa veuve a publié des Mémoires sur sa vie, Paris, Didot jeune, an IX (1800). L'ouvrage est assez considérable; mais il n'a pas été mis dans le commerce. Il offre, dit M. Villeterque, une foule de traits qui disent combien Dusaulx était bon; il faudrait les citer tous pour montrer qu'il le fut toujours, toujours plus, toujours mieux; car si la bonté ne s'acquiert pas, elle s'achève, elle se perfectionne, elle ne s'arrête jamais.

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Voici maintenant la liste des écrits de Dusaulx. Mémoire sur Horace, lu à l'Académie des Inscriptions, le 11 avril 1777. Il a été inséré dans le tome XLIIIe des travaux de cette compagnie. La traduction de la première épître d'Horace, qui forme une suite de ce travail, et qu'il avait lue dans les séances suivantes, n'a pas été comprise dans le recueil. — Lettres et Réflexions sur la fureur du jeu, auxquelles on a joint une autre Lettre morale, Paris, Lecomte, 1775, in-8° de 172 pages. Cet ouvrage a été traduit en Hollandais, 1791, in-8°. Discours sur la passion du jeu, lu à l'Académie, à la séance publique de Pâques, 1775. On y trouve un curieux fragment d'un édit de l'empereur de la Chine (Youg-Tching) contre les jeux de hasard. De la passion du jeu depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, 1779, in-8°; traduit en Hollandais, 1791, in-8°. L'auteur y a refondu dans un ordre différent, et avec de plus grands développemens, le sujet des deux ouvrages précédens. Un style haché, inégal, tendant souvent à la prétention, une division en une multitude de chapitres tantôt longs, tantôt fort courts, ont nui au succès de cet ouvrage, qu'on s'accorde à trouver bon, mais que personne ne lit. (Biographie universelle, tome XII.) Nous joindrons à ce jugement celui qu'en a porté La Harpe dans sa Correspondance littéraire, lettre cx Il y a dans cet ouvrage de bonnes intentions, de bons principes et beaucoup d'anecdotes sur les joueurs. L'auteur s'élève surtout contre cette espèce de jeu d'état qu'on nomme loterie : peut-être a-t-il raison; mais il a tort d'avoir fait un très-gros livre sur un sujet

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qui pouvait tout au plus fournir quelques chapitres, d'y avoir mis un étalage d'érudition pédantesque qui sent trop l'académicien des inscriptions, et d'avoir écrit d'un style déclamatoire qui ne sent pas assez l'homme de goût. Dusaulx s'était laissé entraîner dans sa jeunesse par cette passion du jeu, dont il a décrit les excès et les dangers pour en préserver les autres. (Voyez l'Épître dédicatoire.) Le même esprit l'animait, lorsqu'il combattait dans le conseil des Anciens le projet de rétablir les loteries. Vie de l'abbé Blanchet, en tête des apologues et contes orientaux, œuvres posthumes de cet écrivain, que Dusaulx, son parent et son ami, publia dans les années 1784 et 1785. — De l'insurrection parisienne et de la prise de la Bastille; discours historique prononcé par extrait dans l'assemblée nationale, Paris, Debure, 1790, in-8° de 285 pages. Lettre au citoyen Fréron, 1796, in-8°. — Voyage à Baréges et et dans les Hautes-Pyrénées, Paris, 1796, 2 vol. in-8°. L'auteur a trop affecté la manière de Sterne, et quoiqu'il n'ait pas entièrement négligé de décrire les phénomènes de la nature qu'il avait sous les yeux, l'enthousiasme, qui perce d'un bout à l'autre de son ouvrage, en a empêché le succès. (Biographie universelle.) De mes rapports avec Jean-Jacques Rousseau, et de notre correspondance, suivie d'une notice très-essentielle Paris, an vI (1798), in-8°. En offrant au conseil des Anciens cet ouvrage, où l'on trouve des anecdotes assez piquantes, l'auteur dit : « J'ai lieu de croire qu'on y verra que je n'ai cherché qu'à expliquer Rousseau, et non à l'inculper; que je n'ai pas manqué la moindre

occasion de célébrer ce grand homme, à qui je dois la plus belle partie de mon existence morale; je n'ai guère montré l'infortuné Jean-Jacques qu'aux prises avec luimême,..... ne cessant de lutter contre un caractère de plus en plus exaspéré par une méfiance aussi active qu'involontaire. » On peut voir ce qui est dit de ce même livre dans l'édition de Rousseau de M. Lefèvre, tom. III, Appendice aux Confessions, page 162 et suiv., et dans l'Histoire de la vie et des ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, par M. Musset-Pathay, tome 1er, page 184. Enfin je lis, dans une des dernières éditions du Juvénal, que Dusaulx a écrit aussi sur la religion quelques morceaux pleins de chaleur, que les Allemands firent passer dans leur langue, et que ces différens opuscules furent imprimés à Leipsick, en 1796.

Je reviens à présent à la traduction et au discours sur les satiriques latins, afin de terminer cette notice par ce qui fait le meilleur titre littéraire de Dusaulx. L'édition de 1796 était la troisième; il en a paru une quatrième en 1803; une cinquième en 1816, une sixième enfin en 1821. Dusaulx avait une prédilection toute particulière pour Juvénal. Il n'avait pas l'humeur satirique, dit l'éditeur de 1816; mais son amour passionné pour la vertu, une sainte indignation contre les vices de son siècle, lui donnaient quelque conformité avec le poète qu'il étudiait sans cesse. C'est là en effet l'idée qu'il faut avoir de Dusaulx, et une pareille disposition est la première qualité d'un traducteur : car plus il sympathisera avec un écrivain original, plus il pourra espérer d'en reproduire le génie. Toutefois, le travail de Dusaulx ne

me paraît pas avoir été apprécié avec une critique assez attentive: il a été vanté dans des préfaces d'éditeurs comme un chef-d'œuvre continuel de force, de correction, d'intelligence et de noblesse; c'est prodiguer l'éloge avec bien de l'indulgence, on pourrait même dire, avec bien de la légèreté. Il eût été plus juste et plus vrai d'avouer que la précision y manque souvent, et la pureté plus souvent encore; que la phrase est quelquefois pénible, embarrassée; qu'avec un peu d'habitude et de goût, on se sent trop fréquemment offensé par des vices de construction, par la pesanteur du langage, par un style dénué d'élégance et qui laisse apercevoir l'effort de l'interprète, toutes choses qui forment de véritables infidélités. On va m'opposer ici le long et brillant succès qu'a obtenu cette traduction où je rencontre tant de défauts. Mais considérons seulement l'ouvrage de Dusaulx relativement au temps où il parut, à la faiblesse des traductions antérieures, aux immenses difficultés de l'entreprise; et alors nous lui accorderons avec ses contemporains les éloges que nous ne lui refusions tout à l'heure, que parce qu'on nous le donnait sans restriction pour un modèle inimitable et parfait de l'art de reproduire les anciens. Voilà donc la question résolue si l'on nous dit, Dusaulx a consacré une grande partie de sa vie à retoucher son ouvrage, il a fait des recherches consciencieuses, il a joint à chaque satire d'excellentes notes explicatives, il a donné à ses compatriotes une plus haute opinion de ce Juvénal, que des écrivains maladroits avaient défiguré dans leurs versions ridicules, nous louerons le courage qu'il a fallu pour aborder une tâche si

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