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Écrivant selon qu'il était affecté, il admet souvent les contraires : il a autant de maximes pour les ambitieux que pour ceux qui savent se contenter de leur sort. Tantôt il invite à rechercher la société des grands et des riches tantôt il avoue que leur commerce, si doux en apparence quand on les voit de loin, est redoutable en effet lorsqu'on les approche de trop près (1). Ouvrez son livre au hasard, vous y verrez qu'il exalte tour-àtour l'opulence et la médiocrité (2), la modération de l'âme et son activité dans la poursuite des honneurs ; qu'il vante et la souplesse d'Aristippe (3) et l'inflexibilité

Quæ nocuere sequar, fugiam quæ profore credam;
Romæ Tibur amem ventosus, Tibure Romam.

Lib. 1, epist. 8, vers. 7.

(1) Dulcis inexpertis cultura potentis amici,

Expertus metuit.

Lib. 1, epist. 18, vers. 82.

(2) << Le bonheur n'appartient pas exclusivement aux riches; et celui qui, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, s'est soustrait aux regards des hommes, n'en a pas été plus à plaindre. » .

Nam neque divitibus contingunt gaudia solis;
Nec vixit male, qui natus moriensque fefellit.

Lib. I,

epist. 17, vers. 9.

(3) « Aristippe, quel que fût son sort, ne s'en plaignit jamais : il cherchait le mieux, mais il était satisfait du présent :

Omnis Aristippum decuit color et status et res,
Tentantem majora, fere præsentibus æquum.

Lib. I,
epist. 17, vers. 23.

Horace ne pouvait pas ignorer que ce même Aristippe avait eu la bassesse de souffrir que Denys lui crachât au visage; et cela pour avoir le privilège de manger du turbot à la table de ce tyran.

de Caton (1). Comme si le cœur pouvait suffire en même temps aux affections les plus contraires, il approuve dans le même ouvrage et la modestie qui se cache, et la vanité qui brûle de se produire au grand jour.

Ce qui lui concilie le plus grand nombre de lecteurs, c'est que la plupart ne le trouvent ni trop vertueux ni trop vicieux ; c'est que l'extrême indulgence dont il use à propos, montre plutôt un ami qu'un censeur; c'est encore parce que les aveux qu'il fait si fréquemment mettent tout le monde à l'aise car il déclare qu'il n'avait pas la force de résister à l'attrait du moment, et que ses principes variaient selon les circonstances. Quand j'ai peu, disait-il, je sais m'en contenter et m'en féliciter mais à la moindre aisance qui me survient, je m'écrie qu'il n'y a de bonheur que pour ceux dont les revenus sont fondés sur de bonnes métairies (2).

Si nous le considérons du côté purement littéraire, voici ce qu'il exigeait des auteurs satiriques, en s'y conformant lui-même : - Il faut de la précision, dit-il, pour que la pensée marche rapidement, et qu'elle ne se

(1) « Tout l'univers dompté, excepté l'indomptable Caton: »> Et cuncta terrarum subacta,

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perde pas dans un dédale de mots qui fatiguent gratuitement l'oreille : il faut un style grave quelquefois, et le plus souvent enjoué : enfin, il est nécessaire que l'éloquence, la poésie et la critique se montrent tour à tour, mais avec réserve, et de manière qu'elles sachent se détendre, qu'elles ne déploient pas toutes leurs forces (1).

La forme dramatique, jointe au ton de plaisanterie qu'Horace a pris dans la plupart de ses satires, ne laisserait aucun doute qu'il n'eût imité la vieille comédie, quand il ne l'aurait pas déclaré lui-même. On sent que cette imitation ne regarde que le style et le dialogue; car la satire n'a point d'action proprement dite; les interlocuteurs y restent toujours dans la même situation, dans le même état (2).

(1) Est brevitate opus, ut currat sententia, neu se
Impediat verbis lassas onerantibus aures.

Et sermone opus est modo tristi, sæpe jocoso,
Defendente vicem modo rhetoris atque poetæ,

Interdum urbani, parcentis viribus, atque
Extenuantis eas consulto.

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Heinsius a rejeté du rang des satiriques ceux qui n'ont pas fidèlement suivi ces préceptes; et même il prétend que ce qui ne produit pas le rire ne saurait entrer dans le petit poëme dont il s'agit. Il prétend encore que la satire n'admet que des portraits, et point de tableaux. Verbis satira pungit singulos et lacerat, non in genere omnes, quod est præter naturam illius (Heins. de sat. Horat.). N'est-ce pas l'avoir trop bornée? La même poétique, en pareil cas, peut-elle convenir en tout temps, en tout lieu, et à des hommes diversement affectés ?

(2) Témoin et le Damasippe et le Catius d'Horace. (Lib. 11, sat. 3 et 4.)

L'aisance et la gaîté de ce poète ingénieux, son savant désordre, la familiarité de son style et les négligences volontaires que l'on remarque dans ses vers, n'ont pas manqué de censeurs 6 : mais tout atteste que son projet fut de se conformer aux sujets qu'il avait à traiter; et que ce qui nous paraît dénué de goût, ne l'était pas pour ses contemporains. On ne saurait juger les anciens avec trop de circonspection, quand les beautés répandues dans leurs ouvrages l'emportent sur les choses douteuses, et dont aujourd'hui nous ne saurions être juges compétens. Les meilleurs écrivains se permettent des agrémens de convention, qui s'affaiblissent à la longue, et disparaissent au point que l'on n'en peut plus retrouver la trace tantôt c'est une manière de parler proverbiale; tantôt l'imitation d'un langage rustique; ou bien ce sont des licences que l'on ne passe qu'aux grands maîtres.

La fonction de satirique, après Horace, qui avait épuisé tout ce qui pouvait intéresser ses contemporains, n'aurait été de long-temps exercée, si de nouvelles circonstances n'avaient pas amené de nouveaux ridicules, ou plutôt de nouvelles façons de s'avilir.

Les successeurs d'Auguste ne tardèrent point à changer la scène et à justifier les partisans de la liberté, qui durant le calme du despotisme naissant avaient présagé les tempêtes prochaines. La politique de Tibère ne ressemblait pas à celle de son prédécesseur (1) : elle avait d'autres ressources, pour aller à ses fins, que des vers,

(1) Alia morum via. TACIT., Annal., lib. 1, §. 54.

des jeux et des spectacles. Ce sombre et farouche empereur, qui se faisait violence au point de tolérer quelquefois les amusemens publics, témoignait assez par sa conduite artificieuse qu'il n'avait d'autre besoin, d'autre ambition que de consommer la servitude du peuple romain (1). Il disait néanmoins que dans une ville libre on devait penser et parler librement. Loin de se fier à ces belles paroles, chacun convenait intérieurement, avec le rhéteur Théodore, que ce monstre n'était qu'une masse de boue pétrie avec du sang (2).

Ce qu'il y eut de plus fatal, c'est que les progrès de toutes les sortes de corruption furent encore plus rapides que ceux de la tyrannie; et que celle-ci fit, à plusieurs égards, de vains efforts pour s'y opposer. Ce fut alors qu'à la honte des dames romaines, si long-temps révérées, on vit des femmes d'un rang illustre se faire inscrire sur le registre des courtisanes, afin de pouvoir se livrer impunément à la débauche (3).'

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Tout, jusqu'au vice, fut contraint de se dénaturer; la louange même devint une arme offensive (4). Des sénateurs furent assez lâches pour épier les passions se

(1) Le coup d'autorité le plus décisif qu'ait frappé Tibère, fut de transporter les comices du Champ-de-Mars au sénat. (TACIT., Annal., lib. 1, §. 15.)

(2) SUETON., Tib., §. 57.

(3) Femina famosæ, ut ad evitandas legum pœnas jure ac dignitate matronali exsolverentur, lenocinium profiteri cœperant. SUETON., Vita Tiber.

(4) Pessimum inimicorum genus, laudantes. TACIT., Agricol.,

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