soutenu par ce savant modeste, d'ailleurs plein de goût et de sagacité, je recommence une lutte inégale, mais attrayante, contre un texte qui a toujours été le désespoir des plus habiles interprètes. la Combien de fois ce travail consolateur n'a-t-il pas été interrompu, troublé par rage des factions renaissantes? combien de fois la plume ne m'est-elle pas tombée des mains? M'essayant autrefois, dans le tumulte des camps, à traduire Juvénal, je n'en avais que plus de ressort et d'énergie; c'est qu'il ne s'agissait alors que de combattre les ennemis de l'état, et non d'exterminer des concitoyens. Dans le cours de nos calamités et de mes propres malheurs, on m'a supposé une âme plus stoïque peut-être que je ne l'avais en effet. Quoique résigné, je pleurais, et sur la révolution souillée, et sur le sort de tant de victimes innocentes. Mais où m'emportent ces tristes souve nirs?....... Jamais ils ne s'effaceront de ma mémoire : quelque chose que je fasse, que je dise, j'y reviendrai toujours. O vous qui me lirez, ayez de l'indulgence et de la pitié pour un cœur brisé par la dou leur! Pardonnez le désordre de cet écrit à celui qui le traçait d'une main tremblante au sortir des prisons, où il n'attendait que la mort, moins rigoureuse sans doute que le spectacle déchirant de ceux que, d'heure en heure, on appelait au supplice, et dont la plupart le conjuraient de recevoir leurs derniers embras semens. Et c'est, je le répète, dans ces funèbres conjonctures que l'on me demandait de revoir le travail de mes années les plus heureuses, que l'on exigeait de moi ce qu'il n'est guère possible d'exécuter qu'au sein du repos, du bonheur et de la paix. Mais, j'en conjure, qu'on se représente, s'il est possible, quel dut être mon retour dans une société récemment dissoute et ravagée; quel fut l'état d'un homme qui, dans la plupart des maisons où il allait chercher, et porter peut-être des consolations, n'y trouvait que des scellés, et des orphelins manquant de tout! Ajoutez le silence de la nuit, plus affligeant encore, ne me rappelait que des idées sinistres qui, se combinant entre elles, m'offraient le possible en fait de maux, et nul remède. que Delà le retour involontaire et continuel sur nos désastres antérieurs. Que dirai-je ? les tourmens de ma captivité, adoucie cependant par la présence momentanée et le dévouement héroïque d'un homme vertueux; le fer si long-temps suspendu sur ma tête et sur celle de mes collègues ; la fleur des représentans traînée à l'échafaud; l'honneur de la nation proscrit de jour en jour, les Bailly, la Rochefoucauld, Malesherbes, Angran, Freteau, et des milliers d'autres victimes non moins recomman dables; en un mot, le sang des citoyens de toutes les classes, sans égard à l'âge, au sexe, aux vertus, aux talens, mêlé et confondu par les bourreaux fatigués d'exécutions, par des bourreaux aussi prompts que dociles, et dont les tigres qui les faisaient mouvoir accusèrent souvent la lenteur; cette fureur, ces massacres répétés d'un bout de la France à l'autre, et jusque dans nos îles, par des cannibales gorgés d'or et de sang; la guerre au dehors; au dedans le brigandage, la famine, l'incendie, le désespoir, et tant de suicides! les temples profanés, les tombeaux violés, toutes les lois naturelles et sociales enfreintes, les monumens des arts, tant anciens que modernes, détruits, et la barbarie levant sa tête hideuse au milieu des ruines ensanglantées; ce sujet de tous les entretiens, ces horreurs toujours présentes à mon esprit, et d'autres encore que le temps révèlera, m'avaient, de secousses en secousses, tellement affecté, tellement anéanti, que malgré mon retour à ce que les dilapidateurs et les anarchistes appelaient la liberté, je ne vivais plus qu'à mon insu. Cependant on imprimait cette troisième édition. Les premières épreuves à corriger me sont apportées. Le croirat-on? le texte de Juvénal, reproduit sous mes yeux après six années d'anxiétés, ce texte brûlant m'électrise tout à coup. Le cœur me bat; les sensations et les idées renaissent. Sorti de ma profonde léthargie, je m'élance à la tribune nationale, veuve hélas! de ses plus grands orateurs, pour y abjurer la vengeance, adoucir les esprits, ramener l'espérance et la concorde au sein de la Convention si long-temps divisée. J'y remontai bientôt pour jeter quelques fleurs et sur la tombe du généreux Ferraud, assassiné près de moi dans le Sénat |