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SECTION III.

DANS QUELS CAS LE MARI DEVIENT PROPRIÉTAIRE DE LA DOT.

Sommaire.

397. En principe, la propriété de la dot repose sur la tête de la femme, mais ce principe souffre des exceptions.

398. La propriété des choses fongibles passe, de plein droit, sur la tête du mari.

399. Il en est de même des objets mobiliers estimés, sauf stipulation conArt. 1551.

traire.

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400. Application de ce principe aux créances et rentes.

401. A quoi sert l'estimation quand il est dit qu'elle n'emporte pas vente? 402. La femme ne peut revendiquer l'objet mobilier non estimé contre un tiers qui l'a acquis du mari.

403. L'estimation des immeubles n'emporte vente qu'autant que cela est expressément stipulé. Art. 1552.

404. Effets de l'estimation quand la propriété de l'immeuble est transférée. 405. De l'option réservée à la femme de reprendre l'immeuble ou son estimation, lorsqu'il y aura lieu à la restitution de la dot.

406. L'estimation ne peut jamais être querellée, sous prétexte de lésion, quand elle emporte transmission de propriété.

407. Elle peut être rectifiée dans le cas inverse.

408. Le point de savoir si le mari sera ou non propriétaire de la dot dépend souvent d'un événement postérieur au mariage.

397. En principe, la propriété de la dot, dans notre droit, repose sur la tête de la femme. Cependant, la propriété passe assez souvent sur la tête du mari, et le droit de la femme se réduit à une créance. Cela arrive tantôt à raison de la nature des objets constitués en dot, tantôt par l'effet des clauses ou stipulations contenues dans le contrat de mariage.

398. Quand il s'agit, par exemple, de choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, telles que des denrées, de l'argent comptant, etc., la propriété, par la force même des choses, est transférée au mari, qui, sans cela, ne pourrait retirer aucun avantage de la dot. Le mari, comme l'usufruitier, doit donc seulement, lorsqu'il y a lieu à la restitution de la dot, rendre pareille quantité et qualité, ou l'estimation qui a été faite s'il s'agit de denrées, et pareille somme s'il s'agit de numéraire (C. civ., art. 587 et 1532 combinés).

Les droits du mari sur ces objets pourraient cependant subir quelques restrictions par l'effet de stipulations particulières; sur une certaine quantité d'hectolitres de vin constitués en dot, par

exemple, il pourrait être convenu que le mari en garderait une ou plusieurs futailles, et si le mari ne respectait pas cette réserve, il pourrait, suivant les cas, être passible des dommages. Mais de semblables restrictions, en raison de leur peu d'intérêt pour la femme, sont nécessairement fort rares.

399. Si la dot consiste en objets qui ne se consomment pas par le premier usage, il importe de distinguer si ce sont des objets mobiliers ou des immeubles, et s'ils ont été estimés ou non dans le contrat de mariage.

Si ce sont des objets mobiliers non estimés, la propriété continue de résider sur la tête de la femme, quoique ces objets soient de nature à se détériorer facilement par l'usage, comme les vêtements, le linge, etc., et le mari, à la dissolution du mariage, est tenu seulement de rendre ceux des objets qui restent et dans l'état où ils se trouvent (art. 1566).

Si, au contraire, les objets mobiliers ont été estimés dans le contrat, le mari, en règle générale, en devient propriétaire, à la charge de payer le prix de l'estimation lors de la restitution de la dot. L'art. 1551 dispose en effet : « Si la dot ou partie de la dot consiste en objets mobiliers mis à prix par le contrat, sans déclaration que l'estimation n'en fait pas vente, le mari en devient propriétaire, et n'est débiteur que du prix donné au mobilier. » Il faut donc, pour que l'estimation de ces objets ne transfère pas la propriété au mari, que le contrat s'en explique formellement, ou que cela résulte au moins clairement de l'ensemble de ses clauses.

400. La règle posée dans l'art. 1551 s'applique-t-elle aux meubles incorporels comme aux meubles corporels? La loi ne fait pas de distinction. Si donc la femme se constitue en dot des créances ou des rentes estimées dans le contrat, le mari ne saurait être tenu quitte en restituant les titres de créance ou de rente après la dissolution du mariage; il doit payer le montant de l'estimation, sauf l'application des règles ordinaires de la garantie en matière de transport de créances. Le transport, toutefois, ne doit se présumer que lorsque la créance ou la rente a été estimée à un chiffre inférieur à son capital nominal; car la simple indication du capital devrait être considérée plutôt comme une désignation servant à mieux préciser la créance ou la rente que comme estimation translative de propriété.

Ces principes doivent s'appliquer à une généralité de créances comme à une créance déterminée. Ainsi, dans le cas où la fille d'un homme d'affaires se serait constitué en dot toutes les

créances non liquidées de son père, évaluées en bloc à une somme déterminée, le mari serait toujours comptable de cette dernière somme, mais de cette somme seulement, soit qu'il eût reçu moins, soit qu'il eût reçu davantage, sauf néanmoins l'application telle que de droit des principes de la garantie; et nous ne voyons aucun motif de distinguer, comme le fait M. Sériziat (1), entre le cas où la liquidation s'est faite durant le mariage et le cas opposé, le mari pouvant, après la dissolution du mariage, continuer la liquidation comme cessionnaire.

401. L'estimation des objets mobiliers, avons-nous dit, n'emporte pas vente quand cela a été expressément déclaré; mais alors on se demande quelle peut être l'utilité de cette estimation. Elle sert d'abord à fixer les droits d'enregistrement, quand il s'agit d'une constitution de dot faite par un tiers, et soumise à ce titre à un droit proportionnel; elle sert ensuite à fixer l'indemnité due par le mari, en supposant que la femme ait perdu, par son fait, l'objet constitué. Nous verrons plus tard si le chiffre de cette indemnité peut être supérieur ou inférieur à l'estimation.

402. La femme peut-elle revendiquer entre les mains du tiers détenteur le meuble dotal vendu par son mari? M. Toullier (2) enseigne l'affirmative pour tous les cas. Il nous semble impossible d'admettre cette doctrine. La loi ne fait, en faveur de la dot, aucune exception à la règle qu'en fait de meubles la possession vaut titre, et cette règle suffit pour protéger tout acquéreur de bonne foi contre les recherches de la femme (3). 403. Passons à ce qui regarde les immeubles.

<< L'estimation donnée à l'immeuble constitué en dot, porte l'art. 1552, n'en transporte point la propriété au mari, s'il n'y en a déclaration expresse. » L'immeuble continue donc, en principe, d'être lå propriété de la femme, nonobstant l'estimation, et s'il vient à périr ou à subir une dépréciation sans qu'il y ait faute de la part du mari, la perte tombe sur la femme (4). L'esti

(1) Traité du régime dotal, nos 101 et 102.

(2) V. t. XIV, nos 104 et suiv.

(3) Sic M. Seriziat, no 107. Il n'entre pas, au surplus, dans notre plan d'examiner à quelle sorte de biens s'applique la règle en question. V., sur ce point, M. Troplong, sur l'art. 2279, et les autres auteurs qui ont traité de la prescription.

(4) On sait qu'une grave controverse s'était élevée dans l'ancienne jurisprudence française sur le point de savoir si l'estimation des biens fonds donnés en dot faisait vente. Nous avons exposé ces controverses dans notre premier volume en traitant du droit d'enregistrement. V. t. I, nos 199 et suiv. Ajou

mation ne sert qu'à fixer les droits d'enregistrement quand il s'agit d'une constitution faite par un tiers, et à déterminer l'indemnité due par le mari, si l'immeuble vient à périr ou à être dégradé par sa faute.

404. Si, au contraire, il est exprimé que l'estimation emporte vente, l'immeuble est aux risques du mari, qui, quoi qu'il arrive, doit payer le prix de l'estimation lors de la restitution de la dot; mais si à cette dernière époque l'estimation n'était pas payée, la femme pourrait exercer une action en résolution, faute du payement du prix, et cette action pourrait sans nul doute atteindre les tiers acquéreurs, à moins qu'elle n'eut été purgée de la manière indiquée par les art. 692 et 716 du Code de procédure.

405. On peut certainement convenir que la femme aura la faculté, lors de la dissolution du mariage, de reprendre l'immeuble ou son estimation, à son choix; car une pareille clause n'a rien de contraire aux lois ni aux bonnes mœurs. La perte, même totale, de l'immeuble ne saurait alors libérer le mari de l'obligation de payer le prix de l'estimation, puisque sa dette serait devenue alternative. Mais sur la tête de qui reposerait la propriété de l'immeuble tant que la femme n'aurait pas fait son choix? Sur la tête de la femme, nonobstant l'argument qu'on pourrait tirer de la clause de réméré à l'appui de l'avis contraire; car il nous semble difficile de considérer comme transmis au mari un immeuble que la femme est libre de reprendre, à sa volonté, sans observer aucune condition. La conséquence ultérieure qui s'induit de là, c'est qu'il n'y aurait lieu de percevoir aucun droit de mutation lors du contrat, et que la femme pourrait revendiquer l'immeuble entre les mains d'un tiers acquéreur, qui ne saurait échapper à son action en offrant de payer l'estimation. La propriété ne serait censée passer au mari qu'autant que le contrat lui laisserait la faculté de vendre pour son compte, et restreindrait l'option de la femme au cas où l'immeuble serait encore

tons ici que dans les pays de droit écrit, et notamment dans le ressort du parlement de Toulouse, on se prononçait pour l'affirmative, par application des lois 5 et 10 au C., et 16 ff. de jure dotium, que la jurisprudence entendait et appliquait en ce sens. V. Civ. cass., 1er mars 1809 (aff. Troin); Agen, 1er décembre 1828 (aff. Daguzan); Toulouse, 11 juin 1830 (aff. Ratier). La cour de cassation a jugé que du moins l'arrêt qui le décide ainsi, en se fondant tout à la fois sur l'ancienne législation combinée avec la jurisprudence et sur l'interprétation du contrat, ne peut, à cet égard, donner ouverture à cassation. Req. rej., 3 janvier 1831 (aff. Daguzan).

entre les mains du mari lors de la restitution de la dot; il y aurait alors un droit de mutation à payer dès l'instant du contrat, et si la femme reprenait ensuite l'immeuble, il serait dû un droit de rétrocession.

406. C'était autrefois une grave difficulté de savoir si l'époux lésé par une estimation insuffisante ou exagérée pouvait, lors de la dissolution du mariage, faire rectifier cette estimation. Les auteurs se prononçaient généralement pour l'affirmative, sans s'arrêter à l'importance de la lésion, ni à la nature des objets estimés et quel que fût l'époux lésé (1). Cette doctrine était fondée sur deux lois romaines, la loi 6, § 2, au Digeste, de jure dotium, et la loi 6, au Code, soluto matrimonio.

D'autres principes doivent être suivis aujourd'hui. Il y a lieu de distinguer entre l'estimation qui opère translation de propriété et celle qui ne produit pas cet effet.

S'agit-il d'une estimation translative de propriété, la lésion ne saurait évidemment être prise en considération, quel que soit l'époux qui l'éprouve, lorsqu'elle porte sur des objets mobiliers, puisque les ventes mobilières ne sont jamais rescindables pour lésion; elle ne saurait être prise en considération non plus, en matière immobilière, quand c'est le mari qui s'en plaint, puisque la rescision pour lésion n'est jamais admise en faveur de l'acheteur (C. civ., art. 1683).

Quand c'est la femme qui prétend avoir été lésée dans l'estimation de l'immeuble, et se plaint d'une lésion de plus des sept douzièmes, l'estimation peut-elle être réformée? Au premier abord, on est porté à adopter l'affirmative, puisque la loi ellemême, dans l'art. 1551, assimile le transfert de propriété qui s'opère, en certains cas, par l'estimation, à une vente, et que l'art. 1674 du Code civil permet la rescision des ventes d'immeubles pour lésion de plus des sept douzièmes (2).

Mais il existe entre une vente et une constitution de dot, des différences réelles qui doivent faire prévaloir la solution négative. Pourquoi, en effet, la loi autorise-t-elle dans les ventes immobilières la rescision pour lésion de plus des sept douzièmes?

(1) V. les autorités citées par M. Tessier, t. II, p. 271, note 1067.-Roussilhe, t. I, no 200, et quelques auteurs n'admettaient pourtant la rescision qu'en faveur de la femme et pour lésion de plus de moitié.

(2) Les auteurs qui ont traité la question appliquent, en effet, ici les principes de la vente. V. MM. Duranton, t. XV, no 424, et Tessier, t. II, p. 273, note 1068.

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