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sur estimation. Quelques auteurs enseignent que l'estimation ne transfère pas, par elle-même, la propriété du mobilier à la communauté, et que cette idée que l'estimation emporte vente constituant une atteinte exceptionnelle au droit sacré de propriété, ne doit être admise que dans les cas positivement exprimés par la loi (1). Mais est-ce donc étendre le principe posé dans l'article 1551 relatif au régime dotal, que d'en faire l'application, sous le régime de la communauté, à une hypothèse entièrement semblable? <«< Si la dot ou partie de la dot, dit cet article, consiste en objets mobiliers mis à prix par le contrat, sans déclaration que l'estimation n'en fait pas vente, le mari en devient propriétaire et n'est débiteur que du prix donné au mobilier. » Pourquoi donc, lorsqu'il s'agit aussi de choses mobilières, l'estimation ne vaudrait-elle pas également vente sous le régime de la communauté conventionnelle ou légale? La raison de décider est évidemment identique, si même on ne doit pas se prononcer à fortiori dans le sens de l'art. 1551, sous le régime de la communauté. Et puis, d'ailleurs, qu'on aille au fond des choses. Qu'est-ce donc qui a été réalisé, en définitive, par l'estimation donnée au mobilier? Assurément ce n'est pas le mobilier lui-même; l'intérêt de la femme ne permet pas d'en douter. Les meubles meublants, le linge, les pierreries elles-mêmes, se détériorent ou perdent de leur valeur en plus ou moins de temps; l'usage auquel ils sont destinés ou les caprices de la mode les déprécient incessamment, en sorte que la communauté venant à se dissoudre après une période de dix, vingt ou trente années, les reprises porteraient sur des objets usés ou sans valeur, si la réalisation avait pour objet le mobilier même que la femme avait en se mariant. Peut-on admettre que ce soit là le droit que celleci a voulu se réserver?... C'est donc la somme à laquelle le mobilier a été évalué dans l'inventaire, qu'elle a eue en vue; c'est cette somme qu'elle a entendu pouvoir réclamer à la dissolution de la communauté : et cela étant, il devient évident que la propriété des objets a été transférée à la communauté, et que la femme est demeurée simplement créancière de la valeur (2).

53. On comprend maintenant, d'après les distinctions qui viennent d'être faites, dans quelles limites le mari, quoique ad

(1) V. MM. Toullier, t. XIII, no 326, in fine, et Taulier, t. V, p. 182. (2) Conf. MM. Duranton, t. XIV, no 318, et t. XV, no 21; Zachariæ, t. III, p. 517 au texte et à la note 20. La cour royale de Paris a fait aussi l'application du principe dans l'arrêt déjà cité du 11 mai 1837 (aff. Thion).

ministrateur, sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, de toute la fortune propre de la femme, peut valablement aliéner, à titre onéreux, seul et sans le concours de celle-ci, les meubles corporels qu'elle possède, toucher ses capitaux ou les céder par voie de transport. Le droit du mari et son indépendance sont certains, s'il s'agit de choses fongibles, de celles qui, par leur nature, sont destinées à être vendues et de celles qui sont livrées sur estimation, puisque ces choses deviennent la propriété de la communauté, et que la femme qui les possédait n'a qu'une action en répétition de la valeur; au contraire, le mari doit prendre le consentement de sa femme, s'il s'agit de choses non fongibles et qui n'ont pas été estimées au contrat, puisque la propriété en reste toujours à la femme et qu'elle a le droit de les reprendre en nature.

Cette théorie n'est pas cependant généralement adoptée. La plupart des auteurs la repoussent, et, sur l'autorité de l'art. 1428, qu'ils font passer du régime de la communauté légale à celui de la communauté conventionnelle, ils enseignent que, dans tous les cas, le mari peut disposer seul, à titre onéreux, du mobilier personnel de la femme, puisque, d'un côté, disent-ils, cet article accorde au mari l'exercice des actions mobilières et possessoires de la femme, et que, d'un autre côté, il ne prohibe que l'aliénation des immeubles personnels de celle-ci sans son consentement (1).

Nous ne saurions admettre, pour notre part, ce système absolu; la raison même s'y oppose, et la disposition sur laquelle il est fondé ne lui prête pas un bien solide appui. D'une part, en effet, de ce que le mari a l'exercice des actions mobilières de la femme, s'ensuit-il nécessairement qu'il ait le droit de vendre seul et de sa seule autorité l'objet ou le résultat de cette action dès qu'elle a été mise en mouvement? En aucune manière; la loi suppose seulement que le mari recevra les capitaux exigibles,

(1) V. les autorités indiquées sous le n° 51, note 6. M. Zachariæ luimême, qui reconnaît, comme nous l'avons vu, que la femme demeure propriétaire des choses non fongibles et non estimées au contrat, enseigne, cependant, que le mari en peut disposer, à titre onéreux, sans le concours de la femme. Seulement, il réserve à celle-ci le droit de se faire indemniser par son mari, si la vente constitue un acte de mauvaise administration, et même un recours à exercer contre les tiers acquéreurs, si la vente a eu lieu d'une manière frauduleuse, et que les tiers se soient rendus complices de la fraude du mari. V. t. III, p. 517. C'est ce qui s'induit aussi des trois arrêts de la cour de Paris cités sous le no 51, note 5.

et qu'en administrateur diligent et éclairé il en fera un bon emploi pour la femme. D'un autre côté, pourquoi l'art. 1428, en prohibant au mari le droit d'aliénation sans le concours de la femme, ne parle-t-il que des immeubles personnels à celle-ci? C'est uniquement parce que cet article a pour objet le système de la communauté légale, système dans lequel les meubles tombent dans la communauté (art. 1401), et rentrent, par conséquent, dans la disposition générale de l'art. 1421, qui permet au mari de vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de la femme tous les biens de la communauté. Mais l'art. 1421 ne donne pas au mari le droit de vendre seul les meubles qui appartiennent en propre à celle-ci et qui ont été exclus de la communauté... Nous le croyons done, la doctrine que nous avons soutenue rentre parfaitement dans l'esprit de la loi, et peut seule se combiner avec l'idée de la propriété qui, suivant les distinctions indiquées, n'est pas altérée, dans la personne de la femme, par le système de la communauté d'acquêts.

Au surplus, cette doctrine, qui a été vivement soutenue par MM. Toullier (1) et Duranton (2), a reçu, depuis peu, l'imposante. sanction d'un arrêt de la cour suprême. Cette cour, rejetant le pourvoi dirigé contre une décision par laquelle la cour de Paris était revenue sur sa première jurisprudence, a jugé que le mari, comme maître de la communauté, n'a pas le droit d'aliéner, seul et sans le concours de sa femme, le mobilier que celle-ci a exclu de la communauté stipulée entre eux, et que surtout il en est ainsi des choses non fongibles, telles qu'une créance (3). Cet arrêt met dans tout son jour les distinctions qui viennent d'être indiquées; les principes qui y sont posés auront peut-être pour effet de ramener les opinions dissidentes; dans tous les cas, ils projettent une vive lumière sur un point de droit des plus usuels et des plus difficiles.

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54. Dissolution de la société. La communauté réduite aux acquêts prend fin par les causes mêmes qui amènent la dissolution de la communauté légale.

55. La circonstance que la communauté a été réduite aux acquêts ne change rien non plus aux droits qu'a la femme après la dissolution de la communauté. Celle-ci peut donc, à

(1) V. t. XIII, no 326.

(2) V. t. XIV, no 318.

(3) Req. rej., 2 juillet 1840 (Bourgeois c. Fernagu). V. encore dans ce sens M. Cubain, Droit des femmes, no 206.

son choix, accepter la communauté ou y renoncer; mais elle est tenue aux mêmes obligations que s'il s'agissait de la communauté légale ainsi, le défaut d'inventaire, dans les trois mois du décès du mari, sauf le cas de prorogation prévu par l'art. 174 du Code de procédure, entraînerait, en principe, la déchéance du droit de renoncer à la communauté. La cour de Limoges a décidé avec raison que les dispositions des art. 1456, 1457, 1459, sont applicables à la communauté d'acquêts (1).

Avant la promulgation du Code civil, il en était autrement, sous ce rapport, du moins à l'égard des sociétés d'acquêts formées dans les pays de droit écrit. Spécialement, dans le ressort du parlement de Bordeaux, la femme pouvait renoncer pendant trente ans à la société d'acquêts, sous la condition seulement de fournir un état affirmatif de la succession, et de rendre compte des biens. Par suite de cette jurisprudence, qui est attestée par les anciens auteurs (2), la cour de cassation a jugé qu'il n'était pas nécessaire, pour la validité ou l'efficacité d'une renonciation de la veuve à la société d'acquêts formée dans le ressort du parlement de Bordeaux, que cette renonciation eût été précédée d'un inventaire dans les trois mois du décès du mari (3).

Toutefois, on remarquera que cette décision est antérieure à la promulgation du Code civil. La solution, on le comprend bien, eût été toute différente, si, quoique formée sous l'empire des anciens principes, la société d'acquêts ne s'était dissoute, par la mort du mari, qu'après la publication du Code. En effet, le principe une fois admis qu'il en est de la communauté d'acquêts comme de la communauté légale, c'est-à-dire que sous l'un et sous l'autre régime, l'efficacité de la renonciation, par la veuve, est subordonnée à la confection d'un inventaire dans les trois mois du décès du mari; il est clair que cette formalité doit être remplie par la veuve, bien qu'elle en fût dispensée par la législation sous l'empire de laquelle s'est formée la société qui a existé entre

(1) Arrêt du 19 juin 1835 (Pauty et Chastenet c. veuve Barrot). Nous avons cité, en traitant de la renonciation à la communauté légale, quelques décisions qui ont fait fléchir la rigueur du principe, en considération de circonstances toutes particulières. Il est bien entendu que ces exceptions devraient, par parité de raison, être admises dans le cas de communauté réduite aux acquêts.

(2) V. Salviat, vo Acquêts, et Lapeyrère, lettre C, nos 18 et 58.

(3) Req. rej., 22 ventôse an ix (Lagarelle c. Dupin). L'arrêt a été rendu sur un réquisitoire prononcé par M. Merlin, et reproduit par ce savant magistrat, dans ses Questions de droit, vo Société d'acquêts, § 1er.

elle et son mari. Il n'y a pas là d'atteinte au principe de la nonrétroactivité des lois; c'est ce qu'a décidé la cour de Limoges par l'arrêt que nous venons de citer. La cour a très-justement considéré que pour faire une saine et judicieuse application du principe de la non rétroactivité des lois, ce principe éminemment tutélaire de l'ordre social doit être entendu en ce sens, que si la loi nouvelle ne peut, sans être entachée de rétroactivité, porter atteinte à un droit acquis antérieurement à sa promulgation, elle ne saurait être arguée de ce vice, lorsqu'elle se borne à régler l'exercice de ce droit, ou à imposer pour sa conservation une condition ou une formalité dépendant de la volonté de l'ayant droit, parce qu'alors celui-ci ne peut raisonnablement accuser la loi de lui avoir enlevé son droit, et ne doit en imputer la perte qu'à sa propre incurie. D'où il suit que le Code civil a pu, sans effet rétroactif, soumettre la renonciation de la femme associée aux acquêts, lorsque la dissolution de la société arrive sous son empire, à des formalités qui ne lui étaient pas imposées par la loi en vigueur, au moment où la société a été stipulée, parce que la prescription de ces formalités ne porte aucune atteinte au droit en lui-même, qu'il en règle seulement l'exercice, et qu'il est au pouvoir de la femme de s'en assurer la conservation. Nous avons eu nous-mêmes l'occasion plusieurs fois de rappeler cette distinction, qui pose nettement les limites dans lesquelles doit être faite l'application de la loi nouvelle aux contrats de mariage passés sous l'empire de l'ancien droit (1).

56. En cas de renonciation, la femme reprend en nature ses immeubles d'abord, et ensuite, suivant les observations que nous avons présentées, le mobilier qui lui est resté propre. Faute par le mari de représenter en tout ou en partie le mobilier de sa femme, il en doit payer la valeur estimative, à moins qu'il établisse que ce qu'il ne présente pas a péri par cas fortuit ou par suite de l'usage auquel le mobilier était destiné. S'il s'agit d'objets mobiliers dont la propriété, suivant les distinctions que nous avons indiquées, a été acquise à la communauté, le mari est débiteur envers la femme d'objets d'une pareille quantité, qualité et valeur au moment de la dissolution de la communauté, ou de la valeur à laquelle ils avaient été estimés au moment de la livraison.

Il est clair, d'ailleurs, que par sa renonciation la femme est

(1) V. notamment notr cchapitre des Dispositions générales, t. Ier, nos 163 et suiv.

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