Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

dira tristement Maynard aux Muses. Hélas! c'est maintenant Monsieur de Rosny qui est du petit coucher et Monsieur de Rosny n'aime pas les poètes. Ils le lui rendent bien d'ailleurs. Un de ceux qu'il avait éconduits, l'Écossais Jean Barclay, le travestit d'assez plaisante façon sous le pseudonyme de Doromise dans sa Satire d'Euphormion, où il raconte son entrevue avec le ministre : « Je luy dis... que je pourrois ayder le public, et luy profiter, par le moyen des belles connoissances que j'avois tirées des Muses; mais je m'apperçus aussi tost que le bon personnage n'avoit jamais oüy parler des Muses... Je luy dis... que j'avois poly et civilisé mon esprit par le moyen et l'estude des bonnes lettres. Il n'eust pas plustost ouy prononcer le mot de lettres qu'il hocha la teste par mespris il ne voulut jamais permettre que je parlasse davantage, et, me voyant hors de contenance, il se prit à rire et à me dire que je n'estois pas un homme du monde... >>

Encore si le roi eût aimé les lettres! mais le roi n'a aucun des goûts de son prédécesseur. « Le roy Henri IV, dit le cardinal du Perron, n'entendoit rien ni à la musique, ni à la poésie », et le savant Scaliger a constaté avec un peu d'amertume qu'il n'appréciait pas davantage les « doctes >> : « Le Roy, dit-il, n'ayme que les bizarres s'il voit quelqu'un qui parle sagement, il s'en moque... » Aussi les beaux esprits du royaume pouvaient bien lui adresser des sonnets dans le genre de celui de La Valletrye, un obscur poète du temps:

...

Si vous voulez aussi que l'on cognoisse un jour

Qu'à l'or moins qu'à l'honneur vous portastes d'amour,
Grand Roy! vous l'obtiendrez de nous pour peu de chose,
Car tout ce qui respire en ce monde est d'accord
Qu'à faire sentir bon un prince après sa mort

Il n'y a que nos mains qui en donnent les roses,

le Béarnais faisait la sourde oreille. Il ne savait ouvrir sa bourse que pour satisfaire ses quatre passions dominantes ; les femmes, le jeu, la chasse et les bâtiments.

>>

Tel roi, telle cour. De Nervèze supplie en vain les courtisans de « faire estat des sciences et des exercices de l'esprit et Vital d'Audiguier écrit avec amertume : « C'est grand cas que l'ignorance soit montée jusqu'à ce point, qu'en la cour de France, où les lettres ont fleury jadis avec tant d'honneur, il faille rougir aujourd'huy de sçavoir écrire... »

Cependant, il y avait encore en France des esprits cultivés à qui ne pouvaient suffire les divertissements un peu grossiers de l'entourage du Vert-Galant et qui étaient sensibles au « plaisir parfait d'estre en bonne compaignie... » Ne pouvant plus le goûter, comme autrefois, auprès des souverains, ils vont le chercher en dehors de la Cour, dans des réunions sans apparat, dont le seul but est de grouper des gens de même monde et de mêmes aspirations, le seul charme, la conversation familière entre gens d'esprit.

Bien entendu, ce sont des femmes qui président à ces réunions. Femmes fines et lettrées, dont quelques-unes ont connu la cour des Valois et transmettent à la société nouvelle le goût des choses de l'esprit, comme la duchesse de Retz, dont on admirait l'éloquence et le savoir lorsqu'elle discourait à l'Académie du roi Henri III, ou Mme de Simier, qui se souvient d'avoir été la belle et galante Françoise de Vitry dans le fameux «< escadron volant » de la reine mère, mais qui fait oublier sa beauté passée par le charme de son esprit; ou cette autre fille d'honneur de Catherine, Magdeleine de Saint-Nectaire, qui vit retirée dans son petit logis des Tournelles, mais qu'on aime à visiter, dit Tallemant, « parce qu'elle a de l'esprit et sait toutes les nouvelles »; ou encore la duchesse de Rohan et sa fille, toutes deux poètes'.

1. Catherine de Parthenay-Soubise, duchesse de Rohan. Enfermée dans La Rochelle pendant la Ligue, elle composa et fit représenter une tragédie Holopherne, pour ranimer le courage des assiégés. On a d'elle encore une satire très mordante : L'apologie du Roy. Sa fille Anne, princesse de Léon, composa des stances sur la mort de Henri IV et sur celle de la duchesse de Nevers.

On va aussi chez la sœur du roi, Catherine de Navarre, mariée, bien malgré elle, au duc de Bar, et qui égaye sa mélancolie en compagnie de la femme la plus spirituelle de la Cour, Mme de Neufvy; chez Mlle de Guise, bientôt princesse de Conti, protectrice des poètes et des romanciers; chez la vicomtesse d'Auchy, un peu bas bleu, «< incroyablement avide de lectures de comédies, de lettres, de harangues, de sermons mesme », dit Tallemant des Réaux, et il ajoute avec malice : « Comme elle estoit un peu vaine, tout le monde, et principalement les poètes, estoit admis à lui en conter. » Malherbe « lui en conta »> et la célébra en vers ennuyeux sous le nom de Caliste.

Autour de ces femmes d'esprit, quelques gentilshommes venaient goûter le plaisir de « la bonne compagnie » : Bassompierre le magnifique, qui étonne la Cour de son faste et qui aime les bonnes lettres et les protège; M. de Bellegrade, patron de Malherbe et d'Yvrande; le duc de Longueville, à qui Vital d'Audiguier dédie des stances:

Mars pour ton naturel, Apollon pour ton art
Te couronnent tous deux d'un laurier honorable.
Chacun de ces dieux-là n'en a qu'un pour sa part,
Toi seul les as tous deux pour te rendre admirable.

Charles de Brienne, comte de Luxembourg, surnommé « l'Apollon de France », et surtout le jeune duc de Nemours, Henry de Savoie, « le premier, dit Tallemant, qui se soit adonné à faire des galanteries en vers et qui se soit mis en peine de se rendre capable de desseins de carrousels et de ballets ».

Ainsi, lorsque la reine Marguerite revient à Paris, si elle peut constater l'inexpérience de la vie de cour chez les souverains et la plupart des courtisans, elle trouve aussi chez quelques esprits plus fins des aspirations confuses vers la politesse des mœurs et les plaisirs délicats. Nul ne pouvait mieux qu'elle suppléer à cette inexpérience et contenter ces aspirations.

A la Cour, elle ramène la magnificence, conseille la

gaucherie de la reine, donne au roi récalcitrant l'exemple du faste, anime tout le monde de sa présence enjouée. Un jour, elle fait courir la bague à l'Arsenal, avec un appareil magnifique, en présence de Leurs Majestés, de toute la noblesse et même des gentilshommes de l'ambassade espagnole, venus pour admirer le spectacle et qui se font bafouer par les courtisans'. Ou bien elle dirige les préparatifs du grand ballet de la reine, qui fut pendant des mois l'affaire capitale de la Cour; on devait le danser le 28 janvier 1609, mais on le retarda de quelques jours, parce que la reine Marguerite, qui en était, dit L'Estoile, « l'organisatrice et la maîtresse véritable », s'était trouvée malade à ce moment.

Ce ballet de la reine, donné en l'honneur de Dom Pèdre, ambassadeur d'Espagne, émerveilla les contemporains. C'est qu'il était très différent des mascarades improvisées, mêlées de chants et de danses, qui avaient jusqu'ici tenu la place du ballet. Marguerite, qui avait organisé celui-ci, avait voulu qu'il rappelât les spectacles pompeux qui avaient fait autrefois ses délices, à la cour des rois ses frères. L'action s'y déroulait au milieu d'un grand luxe de décors et de costumes, coupée par des récits rimés et chantés, dont Malherbe avait fait les vers et Chevalier la musique. Il n'en subsiste que quelques fragments, mais on sait par L'Estoile que « le refrain du ballet et de la bellade fust une querelle de gentilshommes prise au logis de la roine Marguerite ». La représentation commençait par l'arrivée d'une naïade, montée sur un dauphin, et qui chantait en s'accompagnant du luth : c'était Angélique Paulet, la future « lionne » de l'hôtel de Rambouillet; on l'appelait alors la petite Paulette, à huit ou neuf ans qu'elle pouvait avoir, et sa voix déjà célèbre ravit tous les assistants par sa douceur harmonieuse, « joint, dit L'Estoile, que cette petite chair blanche, polie et délicate, couverte d'un simple crespe fort délié, mettoit en goust et ap

1. Voir L'Estoile, Journal du règne de Henry IV.

pétit plusieurs personnes ». Ce ballet eut lieu en deux endroits : à l'Arsenal et chez la reine Marguerite, où Dom Pèdre en fut si charmé qu'il voulut en faire « prendre un plan et l'envoier à l'archiduc pour le faire imprimer en Espagne en tablature de taille-douce' ».

C'est encore la reine Marguerite qui fut chargée de recevoir, en 1612, l'ambassadeur extraordinaire du roi d'Espagne, le duc de Pastrana, qui venait demander au nom de son souverain la main de Madame, sœur de Louis XIII. C'est dans l'hôtel de la rue de Seine qu'eurent lieu le bal et la collation dont un contemporain fit imprimer les merveilles".

Grâce à lui, nous savons que les seigneurs et dames de la Cour étaient assis sur de grands degrés en gradins tout autour de la salle, tandis qu'on avait tendu sur la cheminée un grand dais de drap d'or, « au-dessus duquel estoient les chaires du Roy, de la Reine et de Madame » ; la reine Marguerite, assise près de Madame, étincelait des feux de ses pierreries, « vêtue d'une robbe de drap d'argent, avec la manche ouverte en arcade, toute parsemée de diamans, comme le devant du corps de sa robe. La houppe couverte de perles et de diamans, et son moule plein de poinçons de diamans, où pendoient de grosses perles avec un collier de gros diamans ». La toute jeune Madame était en satin vert brodé d'or, avec « sur la teste un gros bouquet de fleurs d'orphèvrerie »; le petit roi Louis XIII en vert également, tout parsemé de pierres précieuses; Marie de Médicis en noir, parée de grosses perles. Au milieu du ruissellement des pierreries, des broderies d'or et d'argent dont les gentilshommes, aussi bien que les dames, étaient chargés, les seigneurs de l'ambassade espagnole faisaient une tache sombre et

1. L'Estoile, Journal du règne de Henry IV.

2. F. Fassardi, Le grand bal de la royne Marguerite, devant le Roy, la Royne et Madame, le dimanche 26 aoust. En faveur de M. le duc de Pastrana, ambassadeur extraordinaire des alliances de France et d'Espagne. Paris, Jean Nigaud, 1612, in-12.

« VorigeDoorgaan »