Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Mais c'était encore la demi-solitude, après la réclusion d'Usson, et Marguerite préféra s'installer en plein cœur de Paris, à l'hôtel de Sens, que le cardinal de Pellevé mit à sa disposition.

Moins d'un an après, au mois d'avril 1606, l'assassinat de son favori Saint-Julien vint lui faire prendre cette nouvelle résidence en horreur. On connaît les circonstances de ce drame, que tous les historiens de Marguerite ont rapporté avec force détails : le jeune écuyer tué d'un coup de pistolet à la portière du carrosse de la reine; elle, outrée de douleur et de rage, « jurant de ne boire ne manger qu'elle n'en eût vu faire la justice », et faisant décapiter le lendemain même, devant son hôtel et en sa présence, le meurtrier, Vermont, âgé de dix-huit ans. Quelques heures après, elle quittait l'hôtel de Sens, « protestant de jamais n'y rentrer ».

On fit là-dessus de cruels pasquins :

La roine Venus, demi morte
De voir mourir devant sa porte
Son Adonis, son cher amour,
Par vengeance a devant sa face
Fait desfaire en la même place
L'assassin presque au même jour.

Là, de ce sang jugeant coulpable
Son œil et ce lieu miserable,
Elle quitte l'hôtel de Sens
Comme un hôtel de sang infâme,
Où a laissé la bonne femme
Les reliques de son bon sens...

C'est alors qu'elle décida de se faire bâtir un hôtel sur le quai Malaquais, en face du Louvre. Les travaux commencèrent aussitôt et durèrent deux ans.

Pendant ces deux ans, on ne sait quel logis abrita la

Le château du Bois de Boulogne (Paris, 1856), et les planches gravées par Androuet du Cerceau dans Les plus excellens bastimens de France (publié par H. Destailleur. Firmin Didot, 1868-1870).

reine. Il est probable qu'elle passa la plus grande partie du temps à Paris, sans préjudice de quelques séjours à Boulogne et à sa nouvelle maison d'Issy, qu'elle avait achetée en 1606 au sieur de La Haye et dont elle fit sa retraite de prédilection. C'était une élégante maison de campagne entourée d'un beau parc plein d'eaux courantes, de fontaines, d'ombre fraîche et de fleurs. A quelque distance de la « grande maison », Marguerite fit bâtir un pavillon qu'elle nommait un peu précieusement « le Petit-Olympe », et où elle aimait à venir goûter la fraîcheur et le calme, durant les après-midi d'été, entourée de sa Cour et de ses musiciens'.

La construction du nouvel hôtel fut achevée en 1608, et, de l'autre côté de l'eau, Henri IV put faire d'amères réflexions sur la prodigalité de son ancienne femme, en contemplant cette belle demeure toute neuve, aux allures de palais, avec ses trois grands bâtiments couverts d'ardoises, celui du milieu surmonté d'un dôme à lanterne, tandis que les deux autres se terminaient en pavillons'. La façade donnait rue de Seine et l'intérieur sur un grand jardin, où l'on descendait par un double perron. L'enclos

1. Des poètes de l'entourage de la reine chantèrent les délices des jardins d'Issy; Daniel Périer, en vers latins, et Alexandre Bouteroue, en vers français, dans une petite pièce intitulée : Le PetitOlympe d'Issy, à la royne Marguerite, duchesse de Valloys, 1609.

La maison d'Issy fut plus tard convertie en séminaire par la Société de Saint-Sulpice. Renan y passa deux ans et, dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse, il raconte avec une malice discrète comment, lorsque l'ancienne propriété de la reine Margot passa aux mains des Pères, on sanctifia le joli pavillon qu'elle avait habité, comment on retoucha les peintures profanes, dont les Vénus devinrent des Vierges et les Cupidons des anges, et comment un pieux badigeonnage vint ensevelir les décorations qui ne se prêtaient pas aux retouches et les galants emblèmes à devises espagnoles qui ornaient si délicatement les espaces vides...

Rien ne reste aujourd'hui de la demeure de la reine, mais on peut voir une gravure représentant la « grande maison » dans l'ouvrage de l'abbé Faillon, Vie de M. Olier, 1841, t. III, p. 227.

2. On trouve une gravure représentant cet hôtel dans l'ouvrage de Ch. Duplomb, L'hôtel de la reine Marguerite, Paris, 1881, ouvrage d'ailleurs très incomplet.

du palais s'arrêtait à la rue des Saints-Pères; mais, de l'autre côté de cette rue, en prolongement du jardin, un grand parc s'étendait, loin dans le Pré-aux-Clercs, en longeant la Seine, jusqu'à la halle Barbier, située rue du Bac. C'est dans ce parc que Louis XIII enfant s'amusait, nous dit Héroard, à forcer des lièvres à la course.

A l'intérieur, l'hôtel comprenait des salons d'apparat, dont un très vaste, la « grand'salle », où avaient lieu les fêtes, bals et ballets, et où la reine Marguerite avait même, dit-on, fait dresser un théâtre', puis les appartements de la reine et une multitude de chambres destinées à loger tous les officiers, écuyers, gentilshommes d'honneur, gentilshommes servants, dames, filles d'honneur et gouvernantes des filles, secrétaires, musiciens de la grande et de la petite musique, pages et laquais, sans compter les savants et les poètes que la reine s'attachait sous des titres divers et qui venaient encore augmenter sa maison. Ces chambres étaient tendues de nattes; les chambres de la reine et les salles d'apparat étaient couvertes de « tapis de Teurquye», ornées de tapisseries et de tableaux, paysages, peintures allégoriques ou religieuses 2, ou portraits, comme ce portrait du roi dont Marguerite, en bonne épouse, avait orné sa chambre. Rien n'avait été épargné pour donner un cadre fastueux au train royal qu'elle entendait mener jusqu'à la fin de ses jours.

Tout en s'entourant des félicités terrestres, la reine, qui était voluptueuse et dévote, ne perdait pas de vue le salut de son âme, et, suivant un vœu fait à Usson, elle donna une partie de son jardin aux Pères Augustins

1. Voir Henry Sauval, Les galanteries des rois de France, 1738, t. II, p. 249.

2. Le 6 juin 1609, le trésorier a donné « huict escus pour six tableaux de paysage pour la chambre de Sa Majesté »; en septembre 1611, 19 escus baillés à un peintre, luy estoient deubz 7 escus pour ung portrait du bon pasteur et le reste des douze saisons de l'année »; le 9 décembre 1611, « la somme de 21 escus au Père François pour avoir fait mettre en bois 16 tableaux... 12 apostres et 4 autres tableaux... » (Livres de comptes de la reine Marguerite. Arch. nat., KK 179-181, années 1608-1615).

déchaussés pour y bâtir un hospice et un couvent, et y fit elle-même construire une chapelle, la chapelle des Louanges. Les Augustins avaient mission de l'entretenir, et deux moines y devaient chanter, nuit et jour, les louanges de Dieu, ce qui valait à la confrérie une rente de six mille livres.

Sa nouvelle demeure à peine achevée, Marguerite s'y installa, et malgré son humeur changeante n'en bougea plus que pour quelques séjours à Issy ou à Boulogne; elle habita l'hôtel de Seine jusqu'à sa mort.

II.

LA REINE MARGUERITE ET LA COUR DE HENRI IV.

Le plus grand attrait de l'hôtel de la rue de Seine aux yeux de la reine Marguerite, c'est peut-être qu'il n'était séparé du Louvre que par la largeur du fleuve. Elle n'avait qu'à passer l'eau pour retrouver la Cour et l'illusion de la royauté.

La Cour, il est vrai, n'était plus le « vray paradis du monde et escole de toute honnesteté » dont parle Brantôme et dont Marguerite avait conservé le souvenir.

Rien ne subsistait de ce qui avait fait le charme de la cour des Valois; les vices, en revanche, en avaient fort bien. survécu. C'était la même corruption; mais, au lieu d'être voilée par l'élégance des manières, elle s'étalait brutalement. «Ils sont tous nés dans un siècle de fer », disait le connétable de Fresnes-Forget en parlant des courtisans de Henri IV.

La licence du langage était beaucoup plus grande. La vieille Catherine n'était plus là, elle qui ne tolérait pas une expression libre en sa présence, bien qu'elle tolérât le vice et en fit même un instrument de sa politique. Dans son antichambre, raconte Brantôme, on discourait « avec ses belles et honnestes filles... tant sagement et modestement que l'on n'eût osé faire autrement; car le gentilhomme qui y failloit en estoit banny et menacé, et

[ocr errors]

en crainte d'avoir pis, jusqu'à ce qu'elle pardonnoit et faisoit grâce... » On est moins sévère à la cour du VertGalant. Le roi donnant l'exemple, les mots les plus crus, les plaisanteries les plus grosses sont, comme le dit Nervèze dans son Guide du Courtisan, « imputées à galanterie et bienséance », et si les femmes comme Marie de Balzac d'Entragues ou sa sœur, la marquise de Verneuil, peuvent se complaire au milieu de cette cour débraillée et l'amuser de leur cynisme spirituel, les délicates la fuient, et Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, se cloître dans son hôtel en rêvant d'une société décente et polie.

Henri IV aurait voulu, pourtant, faire sa cour << plantureuse, belle et du tout ressemblable à celle que la royne-mère (Catherine de Médicis) entretenoit »>. Mais, comme le lui avait dit le maréchal de Biron, ce n'était pas en son pouvoir. Pas plus que la délicatesse des mœurs, on n'aurait retrouvé au Louvre la somptuosité des fêtes qui avaient enchanté les courtisans de Henri III. Il y a bien de temps à autre quelques ballets, auxquels Marie de Médicis aime à prendre part, mais dans ces mascarades burlesques, hâtivement improvisées, prétextes à «< porter momons » et à débiter aux dames quelques tirades gauloises, on ne retrouve aucun souvenir du fastueux déploiement dramatique qu'étaient les ballets de l'ancienne cour. De pareilles fêtes coûtaient trop cher; et puis, personne n'aurait été capable de les organiser. « On parle de faire quelques galanteries à ce carême-prenant, écrit de FresnesForget, et l'on se vantait de carrousels; mais il s'est trouvé que personne de nos courtisans n'en savait la mesure... »

Quant aux lettres, à la poésie, il n'en est plus question. Où est le temps où Desportes recevait de la main de Henri III huit cents couronnes d'or pour un poème?

C'estoit lors que les grands de France

Se piquoient de vous rechercher

Et qu'en depit de l'ignorance

Vous estiez du petit coucher,

« VorigeDoorgaan »