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de Chinon, où figurent des peintures pareilles, en pareille fraîcheur. Durant ces propos sort le grand Flasque, appelé Phlosque par la Lanterne, gouverneur de la Dive, et accompagné de la garde du temple, qui se compose de bouteillons français. En voyant les arrivants couronnés de lierre, il leur permet l'accès et commande qu'on les mène à la princesse Bacbuc, dame d'honneur de la Bouteille et pontife de tous les mystères, ce qui fut fait. Nos gens descendent cent huit marches de marbre sous terre, sans lumière aucune. Notons au passage une allusion piquante à la descente des tonneaux en cave.

A la fin des degrés, les voyageurs rencontrent un portail de fin jaspe, tout compassé et bâti à ouvrage et forme dorique, en la face duquel était écrite cette sentence, en lettres ioniques d'or très pur: 'Ev olvo áλýéta, c'est-à-dire : En vin vérité. Ils franchissent deux portes de bronze, lisent les deux inscriptions bien connues et pénètrent dans le temple. Le pavé, tout en mosaïque, excite leur admiration jonchées de pampres et raisins en constituaient les ornements. Sur la voûte du temple se déroulait une autre mosaïque représentant la bataille que Bacchus gagna contre les Indiens. Il faut lire cette description, qui est du meilleur Rabelais (ch. xxxix et XL). Toute l'histoire du mythe dionysien revit en ces pages, où abondent les images et les notations heureuses. Pendant que Pantagruel et ses compagnons contemplent la lampe mémorable qui éclaire le temple, la vénérable pontife Bacbuc s'offre à eux, avec sa face joyeuse et riante. Les voyant accoutrés suivant les règles, elle les admet au milieu du temple, où se trouve la belle fontaine fantastique, but suprême de leur long pèlerinage, et dont les splendeurs l'emportaient sur tout le reste. L'eau qui en sort produit un son harmonieux à merveille.

Après quelques explications sur ce phénomène, Bacbuc commande d'apporter hanaps, tasses et gobelets d'or, d'argent, de cristal, de porcelaine, et elle invite ses compagnons à boire de la liqueur que l'on entendait sourdre

de la fontaine sacrée, ce qu'ils firent volontiers. Sur une question de la pontife, ils répondent qu'ils viennent de boire de la bonne et fraîche eau de fontaine, limpide et argentine :

Gens pérégrins, repart Bacbuc, avez vous les gosiers enduits, pavés et émaillés, comme eut jadis Pithyllus, que de cette liqueur déifique onques n'avez le goust de saveur recongneu? Apportez icy, dit-elle à ses demoiselles, mes décrottoires que savez, afin de leur racler, émonder et nettoyer le palais.

On offre donc à chacun beaux jambons, joyeuses langues de bœuf fumées, bonnes saumades, cervelas et autres ramoneurs de gosier. Les pèlerins en mangent assez pour « écurer» leurs estomacs et voir venir la soif. Bacbuc les avertit que, buvant de cette liqueur mirifique, ils sentiront le goût de tel vin qu'ils auront imaginé. Panurge en fait l'essai, et de s'écrier aussitôt : « Par Dieu, c'est icy vin de Beaune, meilleur qu'oncques jamais je beus. » Frère Jean reconnaît, de son côté, le vin de Grave, galant et voltigeant. Pantagruel opte pour le vin de Mirevaux, qu'il imaginait avant boire. Il est seulement trop frais :

Beuvez, dist Bacbuc, une, deux ou trois foys. Derechef, changeans d'imagination, telle trouverez au goust, saveur ou liqueur, comme l'aurez imaginé. Et doresnavant, dictes qu'à Dieu rien soit impossible.

Le moment solennel arrive: Panurge va obtenir le mot de la Dive Bouteille. Bacbuc l'accoutre du costume requis et lui fait remplir divers rites. Elle prononce des conjurations en langue étrusque, lisant parfois les formules dans un rituel que tient une de ses mystagogues. Seul, conduit par le pontife, Panurge entre par une porte d'or en une chapelle ronde, éclairée de la lumière du soleil, grâce à d'ingénieuses transparences et à une ouverture propice à travers la roche. Au milieu de celle-ci, une autre fontaine de figure heptagonale, pleine d'une eau toute transparente, dans laquelle était à demi posée la sacrée Bouteille, toute

revêtue de pur et beau cristallin en forme ovale, excepté que le limbe était quelque peu plus ouvert que cette forme ne le comportait'.

Nouveaux rites, après l'accomplissement desquels Bacbuc, déployant son livre rituel et soufflant dans l'oreille gauche de Panurge, le fait chanter une épilénie, qui figure dans la célèbre gravure de la Bouteille, que l'on trouvera dans toutes les éditions du cinquième livre.

A la suite de cette chanson, Bacbuc jette quelque substance dans la fontaine, et soudain l'eau commence à bouillir à force. Bacbuc l'écoute d'une oreille en silence, ayant auprès d'elle la pontife agenouillée, quand de la Bouteille sort un bruit analogue à celui d'une pluie d'été soudaine. Lors fut ouï ce mot: Trinc. Sur une réflexion de Panurge, Bacbuc le prit doucement sous le bras, lui disant : « Ami, rendez grâces aux cieux vous avez eu promptement le mot de la Dive Bouteille. Je dis le mot plus joyeux, plus divin, plus certain qu'encore d'elle j'aie entendu, depuis que je sers son sacré Oracle. » Il s'agit maintenant d'interpréter ce beau mot.

Bientôt, l'eau redevient calme, et Panurge regagne le grand temple avec Bacbuc. Celle-ci fait boire à son compagnon tout le contenu d'un gros flacon en forme de livre et rempli de vin de Falerne. Elle lui explique le sens de ce Trinc, mot panomphée, célébré et entendu de toutes les nations et qui signifie : Buvez.

Ici, nous maintenons que non pas rire, mais boire est le propre de l'homme je dis boire simplement et absolument, car aussi boivent les bêtes, je dis boire vin bon et frais. Notez, Amis, que de vin divin on devient, et n'y a d'argument tant sûr, ni art de divination moins fallace. Vos Académiques l'affirment, rendans l'etymologie de vin, lequel ils disent en grec OINO être comme vis, force, puissance. Car pouvoir il a d'emplir l'âme de toute vérité, tout savoir et philosophie.

1. On n'a pas à traiter ici des rapports du cinquième livre avec le Songe de Poliphile. Nous renvoyons à l'examen qui en a été fait dans les Navigations de Pantagruel.

Panurge est saisi d'un enthousiasme bachique qui lui fait entonner un péan, auquel s'associent Pantagruel et Frère Jean. Tous trois « rythment » tour à tour sur le futur mariage, objet de la consultation de l'Oracle; chacun d'eux célébrant à sa façon le jus de la vigne et la Bouteille trismégiste. Panurge quitte son accoutrement mystique et développe la tirade finale.

Dans une page émouvante, empreinte d'une éloquence singulière, la pontife prend congé de ses hôtes, en leur adressant des conseils d'une portée vraiment prophétique. Elle leur annonce les découvertes futures, et pour ainsi dire illimitées, de la science, et spécifie, en une image d'une clairvoyance divinatrice, que la Vérité est fille du Temps. Le retour des voyageurs s'accomplit par un pays délicieux, à travers lequel ils gagnent le port où les attendent leurs navires.

Cette conclusion grandiose est entièrement digne de l'œuvre; elle en constitue le couronnement naturel et logique. La révélation qu'elle contient est bien celle vers laquelle tendait Rabelais, dès l'aurore de sa carrière littéraire, au moment où il lançait son Pantagruel, en 1532 : En vin vérité. Admirons, en terminant, la continuité de son effort littéraire, durant les vingt années qu'il dura. Il est resté fidèle, jusqu'au dernier jour, aux goûts de sa jeunesse et, en particulier, aux souvenirs joyeux du vignoble paternel. L'immortel créateur des lettres françaises, en qui nous pouvons saluer, à bonnes enseignes, un buveur émérite, n'a cessé de rendre à la source généreuse où notre génie national a sans doute puisé certains de ses traits les plus caractéristiques, le témoignage de sa tendre et vibrante gratitude. Enfant de la Devinière, - la maison du Devin, dont le clos produisait le vin pineau, il a placé, par une pensée filiale, l'ultime épisode de son roman dans le temple de l'Oracle de la Dive Bouteille.

Abel LEFRANC.

UNE LETTRE INÉDITE

D'AGRIPPA D'AUBIGNÉ

A MARIE DE MÉDICIS

Parmi les documents inédits que contient le tome I des papiers d'Agrippa d'Aubigné conservés au château de Bessinges se trouve la minute, ou la copie, d'une lettre destinée à la reine régente Marie de Médicis. Elle couvre le bas des feuillets numérotés 190 et 192 à 198, le haut des pages étant occupé par des notes, d'une autre encre, relatives à l'Histoire universelle. Des « réclames » permettent de souder entre eux ces fragments. Certaines parties sont effacées par les pliures anciennes du papier; quelques mots sont illisibles; dans l'ensemble, le document n'offre pourtant que peu de parties obscures ou inintelligibles.

Il est fort curieux. Agrippa d'Aubigné se présente à la reine comme un «< homme de village », qui a eu d'ailleurs la confiance du feu roi pendant trente ans, et dont les avis méritent d'être considérés. Après ce préambule, il s'enhardit à proposer, « à l'acquit de sa conscience, non à la vanité de son honneur », un remède aux maux qu'il appréhende pour l'État. Que la reine, pour soulager ses épaules du fardeau des affaires, établisse un Conseil d'État, et, pour remédier aux angoisses du pays, qu'elle réunisse les États généraux. Et voici le programme qu'Agrippa d'Aubigné esquisse pour cette tenue d'États généraux : 10 ils jureront fidélité au roi; 2o ils nommeront un Conseil d'État, sans toucher aux personnes des princes du sang et des grands officiers; 30 ils décideront de se réunir de nouveau au bout de cinq ans pour reconnaître la majorité du roi et lui laisser désormais la libre élection de son Conseil.

Ce troisième article nous donne la date de cette lettre. Louis XIII devait atteindre sa majorité en octobre 1614. C'est

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