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tiennent conte, veu que de ce qui est nécessaire en la vraye il s'en treuve fort peu en celle de nos drogueurs et apothicaires'. >>

Comme Belon, Paré s'indignera plus tard de voir «< comme on nous fait avaller indiscretement et brutallement la charongne puante et infecte des pendus, ou de la vile canaille de la populace d'Égypte, ou de verolez, ou pestiferez, ou ladres ». Et Jean de Renou demande que l'on raye de la pharmacopée cette « liqueur espaisse, laquelle on exprime des cadavres, et de laquelle on se sert aujourd'huy, à la grande honte des médecins 3 ». Mais les superstitions sont tenaces; et Lémery louera encore la momie comme « détersive, vulnéraire, résolutive; elle résiste à la gangrène, elle fortifie; elle est propre pour les contusions et pour empêcher que le sang ne se caille dans le corps ».

Belon ne s'intéresse pas seulement à la matière médicale, mais encore à l'hygiène. Ses voyages lui ont ouvert les yeux sur les vices de notre crasseuse civilisation. Il admire chez les Turcs l'organisation balnéaire et vante le bienfait des ablutions rituelles, si précieuses à la netteté et santé du corps. Il dénonce les méfaits de notre allaitement artificiel, inconnu en Orient : les Ottomans « ne font point de bouillie et n'ont de telles nourritures que nous avons accoustumé bailler aux petits enfans en Europe. Les femmes ne leur baillent autre chose fors la mamelle jusques à ce qu'ils ayent un an ou dix mois ». Là-bas, point de ces langes empuantis où nos nourrissons croupissent dans l'ordure prenant note de l'ingénieux artifice par lequel les Levantins empêchent les enfants au berceau de se souiller, Belon dessine sur son carnet « la canelle », différente

1. Thevet, Cosmogr., t. I, 1. II, p. 44.

2. Paré, Discours, p. 8.

3. Les œuvres pharmaceutiques du s' de Renou, éd. par L. de Serres. Lyon, Chard, 1626, in-fol., p. 434.

4. Lémery, Dict. univ. des drogues simples. Paris, veuve d'Houry, 1733, in-4o, p. 586.

<< pour les masles » et « pour les femelles », qui draine proprement au dehors les superfluités de la boisson'. Il loue enfin l'éducation des Turcs qui habitue la jeunesse à la dure et fait «< qu'ils ne sont tant assottez de leurs enfans comme on l'est au pays des Latins ». Ainsi fait-on des hommes de vie frugale, endurcis aux fatigues et privations; alors que chez nous « ceux qui ont accoustumé coucher en draps, dessus la plume, dedens un lict, et manger tous les jours de la soupe chaude et boire du vin d'eslite à tous repas, perdroyent incontinent leur courage s'ils dessacoustumoyent ce train là2 ».

(A suivre.)

1. Obs., p. 396.

Dr Paul DELAUNAY.

2. Obs., p. 412.

ROCQUETAILLADE

Au chapitre vi de Gargantua, Rabelais, ayant narré comment son géant naquit de l'oreille de Gargamelle, allègue à l'appui de ses dires quelques nativités merveilleuses et pourtant jugées dignes de foi. Parmi les cas les plus étranges figure celui de Rocquetaillade qui « naquit du talon de sa mère ». Qui est ce personnage? On pourrait songer à une fantaisie de l'imagination de Rabelais. Mais on sait combien fréquemment cette imagination se borne à élaborer des données réelles. Il est prudent de ne pas trop imputer à l'imagination de Rabelais. La méthode la plus féconde est celle que notre président, M. Abel Lefranc, n'a cessé de nous recommander pour nos études : ne jamais renoncer à la recherche des réalités qui peuvent se dissimuler sous la fiction rabelaisienne. Cette fois encore cette investigation aboutit à des résultats inattendus : Rabelais n'a imaginé que la nativité merveilleuse de Rocquetaillade; ce personnage a existé au xive siècle; autour de son nom s'était formée une légende et l'on peut dire pour quelles raisons cette légende a retenu l'attention de Maître Alcofribas, au moment où il rédigeait le Gargantua.

Pendant les séjours que Rabelais fit à Lyon en 1532 et 1534, il put visiter, dans le voisinage de ce grand Hôpital du Rhône où il exerçait ses fonctions de médecin, le cloître du couvent des Cordeliers. Là, contre le mur de l'église, reposait dans un sépulcre de pierre, orné d'une effigie en relief et décoré de peintures, noble homme Bernard de Rochetaillée. Les honneurs de cette sépulture privilégiée lui avaient été accordés en raison des services rendus à l'ordre des Franciscains par son fils, frère Jean de Rochetaillée, en latin Joannes de Rupe Scissa, dit vulgairement

Rocquetaillade, son nom ayant pris cette forme au temps où il vivait dans les provinces de langue d'oc.

Il était né dans le deuxième quart du xive siècle, à Rochetaillée, à quatre lieues au nord de Lyon, sur la rive gauche de la Saône, entre Neuville et Fontaine. Après avoir étudié pendant cinq ans à Toulouse, il avait renoncé au monde pour prendre l'habit des Franciscains au couvent de Villefranche-en-Beaujolais. Ce monastère, le plus proche qui fût de Rochetaillée, était le plus ancien que l'ordre comptât en France. Vers 1216, Guichard IV de Beaujeu, beau-frère du roi Philippe Auguste, traversant l'Italie au retour d'une ambassade à Constantinople, avait demandé à François. d'Assise de lui confier quelques-uns de ses disciples pour les emmener dans ses terres. Il les installa à Villefranche, où ils fondèrent un couvent de frères mineurs. Après leur mort, ils furent inhumés dans ce « minoret ».

Leurs vertus exemplaires et leur prédication déterminèrent plusieurs gentilshommes du pays à entrer dans leur couvent. Le plus fameux devait être Jean de Rochetaillée. Ses vœux prononcés, il renonça au monde, mais non aux études. Pendant cinq ans il s'adonna à la philosophie et à la théologie. Il étudia encore l'alchimie et chercha l'art d'abstraire la quintessence des choses. Puis il prêcha dans la vallée du Rhône et en Auvergne. Avec une hardiesse assez fréquente chez les religieux qui, ayant fait vœu de pauvreté, n'avaient rien à perdre, ni rien à craindre des grands, il dénonça le luxe et l'avidité des prélats. Aux alentours de 1360, dans la chaire d'une église d'Avignon, il racontait un étrange apologue. Autrefois, disait-il, le paon, le faucon et d'autres oiseaux découvrirent dans la gent volatile un oiseau fort beau et plaisant, mais tout nu. Ils le vêtirent, par compassion, de leurs plus belles plumes. Celui-ci en conçut de l'orgueil et devint si outrecuidant que les autres oiseaux durent lui ôter cette parure de plumes qu'ils lui avaient donnée bénévolement. « Ainsi, messieurs, disait frère Jean de Rocquetaillade au

pape et aux cardinaux, il vous aviendra et n'en faites doute. Car, quand l'empereur, les rois et les princes chrestiens. vous auront osté les biens et richesses qu'ils vous ont données autres fois, lesquelles vous employez en bombance, orgueil et superfluité, vous demeurerez tous nuds. Où trouvez-vous que saint Pierre et saint Sylvestre chevauchassent à deux ou trois cens chevaux? Au contraire, ils se tenoyent simplement enclos et cachez dans Rome'. »

On devine l'impression que de telles paraboles pouvaient faire sur les cardinaux et le pape. La sainteté de Rocquetaillade, son savoir, peut-être aussi la noblesse de sa famille le mettaient à l'abri de leur ressentiment. Pourtant il fut emprisonné. Là, en sa grande nécessité, dit-il, Dieu ne l'abandonna pas. Il l'inspira même, et des loisirs de cette prison sortit un traité en latin sur la propriété de la quintessence des choses.

Lorsque Rocquetaillade mourut, il laissa, dit un historien franciscain, l'exemple d'une vie admirable, «< ayant fait un grand profit à la vigne de Dieu par ses prédications ». Il avait donné tous ses biens de Rochetaillée au couvent de Villefranche. Il y fut inhumé. Rabelais, s'il eut la curiosité de visiter la ville capitale du Beaujolais, où Jean Le Maire de Belges avait passé quelques années comme clerc de finances de Pierre de Beaujeu, put voir la sépulture de Rocquetaillade, à côté de celles des disciples de saint François ramenés d'Italie par Guichard IV. Elle fut détruite par une inondation en 1584.

Les invectives de Rocquetaillade contre la cour pontificale d'Avignon furent bientôt légendaires. Il est fait mention de l'apologue des oiseaux dans la chronique de Guillaume de Nangis et dans Froissart. En même temps on lui prêta le don de prophétie. Dans sa prison, il aurait

1. D'après Innocent Gentillet, Discours... contre Machiavel (1576), p. 300.

2. Jacques Foderé, Narration historique et topographique des couvens de l'ordre de Saint-François et monastères Sainte-Claire, érigez en la province anciennement appellée de Bourgongne, à présent Saint-Bonaventure. Lyon, 1619, p. 306.

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