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à engendrer des vertus héroïques. On en arrive à si peu envisager la nécessité d'une hétéronomie surnaturelle, à tellement négliger le rôle de la Grâce qu'au xvIIe siècle, se produira fatalement, avec une reprise de la tradition augustinienne, la réaction du jansénisme, historiquement opportune, malgré ses

excès.

Tel qu'il se présente, ce livre, écrit peut-être en un style un peu rapide, clair et coulant sans doute, mais souvent trop mou, trop approximatif et comme gêné dans le maniement du vocabulaire philosophique, constitue un abondant répertoire de faits, généralement bien classés, et de considérations historiques qui ont leur prix. Remercions M. Busson de contribuer ainsi à rectifier tant d'erreurs ou tant d'à peu près qui compromettent la portée des pages, au demeurant assez brèves, consacrées dans tel ou tel manuel à la vie intellectuelle du xvie siècle. Grâce à lui, on comprendra mieux, - derrière le merveilleux épanouissement lyrique de la Pléiade, - l'existence et les caractères d'un rationalisme, tantôt tempéré et serein, tantôt belliqueux ou insidieux, qui, fréquemment, malgré les guerres de religion, réussit à liguer contre lui protestants et catholiques, et qui annonce l'offensive anti

chrétienne des siècles suivants.

J.-Roger CHARBONNEL.

QUELQUES CONJECTURES

A PROPOS DE BOYSSONÉ

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M. Delaruelle demandait récemment' qu'on récrivît la vie de Boyssoné. Je suis bien d'avis, comme lui, que la vie de cet ami de Rabelais2 mérite d'être récrite, je dirais même d'être écrite, du moins pour toute une partie, la plus intéressante peut-être, celle qui nous renseignerait sur son premier séjour à Toulouse et ses relations avec Caturce et Dolet. Par malheur, c'est aussi la plus difficile à connaître, la correspondance manuscrite ne datant que de 1533, et le dépouillement des archives notariales et même parlementaires n'ayant pas encore livré tous leurs secrets. C'est ce qui peut rendre les biographes de Boyssoné excusables de s'être souvent contentés d'à peu près. Mais ils le sont moins d'avoir affirmé sans preuves et d'avoir ainsi entraîné à leur suite trop de naïfs, quorum pars... fui, qui ont involontairement trompé la confiance d'autrui. Je voudrais donc revenir sur quelques dates mal ou peu précisées, sur quelques circonstances insuffisamment éclaircies, sur quelques conjectures excessivement aventurées. Les miennes s'efforceront de ne s'appuyer que sur les faits, ou, s'il m'arrive de les pousser un peu loin, de n'y point contredire pour les problèmes épineux, j'aspire au moins à les bien poser.

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Et, d'abord, quel est le vrai nom de ce célèbre inconnu?

L'affaire, qui me paraissait à peu près réglée, vient d'être remise sur le tapis par une étude fort documentée dont je ne laisserai pas de faire mon profit, tout en rejetant la conclu

1. Annales du Midi, n° de janvier-mars 1924.

2. Boyssoné parle plusieurs fois de Rabelais dans la Correspondance manuscrite de la bibliothèque de Toulouse: lettre à Scève (p. 72-73), à Langey (p. 127-128), à Bigot (p. 134, 137). Une lettre est adressée à Rabelais lui-même (p. 180-181). Il a, dans ses Carmina, fait plusieurs épitaphes pour Théodule, fils de Rabelais (fol. 18, 45 et 112). On peut se demander si ce n'est pas la brouille de Rabelais avec Dolet qui a fait disparaître celui-ci de la correspondance de Boyssoné après 1542. La dernière mention de Dolet est dans une lettre de cette date (p. 143-145).

sion'. Le nom de Boyssoné, que l'auteur veut qu'on écrive Boyssone, viendrait de la forme Boysson latinisée, — Boyssonis au génitif, et se tirerait de l'ablatif : A Boyssone2. A l'appui de cette nouvelle explication, M. le chanoine Tournier cueillis dans les arapporte de très nombreux exemples,

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chives, de divers ablatifs de noms propres, et aussi d'un génitif Boyssonis3, auquel du reste je n'ai présentement rien à objecter, sauf qu'il ne s'applique pas à la personne de notre humaniste. Mais je ne nie pas ce que l'analogie donne de séduisant à la théorie de M. Tournier je veux seulement me justifier aussi brièvement que possible de conserver encore à Boyssoné son nom traditionnel.

La première raison, qui m'avait déjà paru suffisante, c'est qu'il a été connu de son vivant sous ce nom. Je rappelle pour mémoire le vers de Marot:

Viens Boyssoné, Vilars et La Perrière3,

l'éloge par Rabelais du « très docte et vertueux Boyssoné », l'exhortation de Buttet :

Mais toi, dès la fleur de l'enfance
Heureux Boissonné la suivant...7

enfin le titre d'un de ses dizains imprimé dans les Annales de Foix de La Perrière :

JEHAN DE BOISSONE, DOCTEUR regent de tHOLOZE.

1. L'humaniste toulousain Jehan de Boyssone, par M. Clément Tournier (Revue historique de Toulouse, janvier 1924). Il ne s'agit pas seulement dans cet intéressant article du nom de Boyssoné, et un certain nombre de questions le concernant sont amorcées de façon à exciter une curiosité que la suite de l'étude ne manquera pas de satisfaire. P. 250.

2. Art. cité,

3. Art. cité, p. 251.

4. Cf. l'éd. des dizains de Boyssoné, p. 18.

:

5. Épigr. Il convie trois poètes à dîner. M. Guiffrey le cite ainsi : « Viens Boyssonné, Villas et La Perrière » (préface, p. 188). 6. Pantagruel, III, 29.

7. La vertu. Ode XV, citée par Mugnier, Marc-Claude de Buttet. Paris, Champion, 1896, p. 51.

8. Les Annales ont paru en 1539. Le dizain cité après la préface est celui qui porte le n° XXI de la première centurie, p. 104 de notre édition.

On trouve encore le nom de Boyssoné sur le registre des délibérations des Jeux floraux et sur diverses pièces d'archives, officielles ou privées 2, rédigées en français. Nulle part on ne trouve Boysson. Il semble donc que, quel que fût le nom réel de Boyssoné, Buysson, du Buysson ou plus probablement encore Bouyssou, - il conviendrait encore de lui laisser dans l'histoire le nom qu'il se serait forgé, de même que nous ne songerions pas à appeler Calvin Cauvin, Molière Poquelin ou Voltaire Arouet. Je crois, néanmoins, que l'on peut trouver des

1. Livre rouge, procès-verbal de 1535, t. I, fol. 19 ro, de Boyssonne ou Boyssone (lecture douteuse); 1556, avril, fol. 123 vo, de Boyssone; mai, fol. 124 v°, lecture douteuse de Boyssonne ou Boyssone; 1557, fol. 135, de Boyssone; fol. 136 v°, de Boyssonne; 1560, fol. 163, de Boyssone.

2. J'ai cité ailleurs nombre de ces pièces, en particulier une inédite sur un marchand de Castres de ce nom, p. 20, n. 2, in fine. A ce propos, M. de Santi veut bien me signaler que les Boysson ou Buysson-Bauteville, éteints aujourd'hui dans la famille RoquetteBuisson, sont originaires d'un pays contigu au Lauraguais. Producteurs de pastel, il est naturel qu'il aient essaimé sur Castres, qui consommait ce produit en quantité pour la teinture de ses laines et de ses draps. Le registre de Fleury-Vindry parle d'une Jeanne de Boyssonné épousée par Gaspard Molinier (n° 198). Coras était marié à une dame Catherine Boysson (ibid., n° 209), mais celle-ci intervient avec son mari dans un acte où elle est dite Catherine Boyssonnée (fonds des notaires de Agia, reg. 55, 1551-1552, fol. 43). Il y avait en 1922 à Castres une personne portant le nom de Bois

sonnet.

3. M. le chanoine Tournier cite l'arrêt rendu contre Luscus, oncle de Boyssoné, du 12 janvier 1509. Le premier, Jehan de Boyssone, d'abord appelé ainsi, est ensuite dans le reste de l'arrêt ledit du Buysson (série B, reg. 14, fol. 50). Dans l'arrêt du 16 janvier (ibid., fol. 55), il est appelé une fois Boysson et plusieurs fois Boyssone. Boyssone reste donc le nom normal. On croit seulement devoir le traduire par un équivalent français.

4. Lui-même a fait allusion à cette signification de son nom :

Dumus enim a vulgo patrio sermone vocatur

Boyssonus, spinis arbor acutus nimis.

Est igitur gentile, vides, mihi nomen acutum.

(Eleg. lib., fol. 39.)

Il joue encore sur cette étymologie dans son épître latine Ad Praelianum (Carmina, fol. 73 vo). Or, dans le dialecte local (sermo patrius), le buisson se dit bouissou (cf. Dictionnaire de la langue romane castraise de Vaissier). C'est un nom fréquemment porté dans le Midi.

raisons moins empiriques de faire de Boyssoné son vrai nom. L'ablatif Boyssone supposerait un génitif Boyssonis, par lequel on ne désigne jamais notre humaniste, et un nominatif Boysso ou Boysson que je n'ai trouvé non plus nulle part. Pour rendre compte de Boyssonus, M. le chanoine Tournier imagine que, tout en gardant la signature déjà célèbre Johannes de Boyssone, le neveu de Luscus estima« inélégante »> cette traduction du mot buisson. « Son purisme cicéronien lui préféra celle de Boyssonus, qu'il fabriqua pour l'insérer dans ses poèmes et ses épîtres'. »

Un pur cicéronien eût-il ainsi consenti à faire de l'élégance, - si élégance il y a, au prix de ce que nous appellerions aujourd'hui un barbarisme? J'en doute un peu quand je vois les amis de Boyssoné, Visagier et Buttet, des raffinés eux aussi, appeler tout bonnement Truchon Truco et Pélisson Pelisso3. Pourquoi aurait-il fui, lui et ses relations, toute occasion de dire Boysson ou Boysso, Boyssonis, Boyssonem? Je ne vois, pour ma part, qu'une explication, toujours la même d'ailleurs c'est qu'à tort ou à raison il considérait qu'il s'appelait bien Boyssoné.

La forme Boyssonus, en effet, n'est pas une forme théorique et « fabriquée », mais une forme réelle bas latine, tandis que Boysso, Boyssonis, est la déclinaison de la forme française Boysson latinisée. Boysso n'est pas latin, Boyssonus, au contraire, est signalé dans Du Cange comme remontant au moins au XIIe siècle :

Boyssonus ex Gallico : Buisson. Minor boscus. (Aresta Can

1. Art. cité, p. 253.

2. Buttet, Épître à Monthelon :

Et Truco doctrina vir consummatus in omni.

On trouvera l'épître dans l'ouvrage cité de Mugnier, Buttet, p. 100. Cf. la forme Truchon dans l'inscription d'une médaille à son effigie: 10 TRUCHOn probses delphin (op. cit., p. 158, n.).

3. Cf. Vulteii, Epigr., p. 68 :

Doctrinae et scriptis respondet candida vita
Pelisso, exemplum dant tua fata mihi.

Cf. aussi dans le livre de Mugnier sur Boyssoné une citation de la
Rapina de Bigothier :

Haec eadem Pellisso meus sentire videtur.

REV. DU SEIZIÈME SIÈCLE. XI.

(Op. cit., p. 65.)

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