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tout qu'on explique son attitude par une timide prudence. Ce serait rabaisser les hommes de cette époque, profondément croyants et sincères, incapables également de trahir la cause de l'Église qu'ils voyaient menacée et de renier des formes de foi qu'ils avaient conçues comme plus pures. Rien de plus dramatique, à ce point de vue, que le cas de conscience d'un Buttet, dont M. Mugnier nous rappelle le dernier entretien avec Bèze: d'après le livre de raison de Jean de Piochet, Bèze était venu le visiter peu de jours avant sa mort et l'exhorter « à avoir bon courage et sa totale fiance en Dieu et au mérite et passion de son fils Jesu-Christ, notre seul et vrai médiateur ». Et l'agonisant de répondre : « M. de Bèze, je vous remercie de la poyne qu'avez prise de me venir visiter en ce mien besoing, et suivant ce que m'avez proposé je vous dis que toute ma fiance, mon espoir de salut je l'estime et le recognois de mon Dieu et créateur pour le mérite de son fils Jesus Christ, nostre médiateur, et avec iceluy par l'intercession de la Vierge glorieuse sa mère, saints et saintes du paradis, lesquels, ayant avec eux la charité, intercèdent journellement pour nous, misérables pecheurs de ce monde. » Bèze insista : « Ha! Monsieur de Buttet, je ne vous tiens pas de si peu de jugement que veuillez bailler à Jesus Christ compagnons pour intercéder pour vous, vu qu'il est le seul et vrai médiateur. » Buttet ne se rendit pas : « Quant à moy, dit-il, vous me prenez mal pour penser une chose et en dire une aultre. Je pense selon ma croyance et ce que ma religion qui est la catholique, continue dès la mort de Notre Seigneur Jesus Christ, me commande : croyant parfaitement qu'en icelle est notre salut, en laquelle je veux mourir, sans jamais changer d'opinion, ainsi que vous avez fait, lui faisant banqueroute et adhérant aux nouvelles opinions que vous continuez à soutenir.» « Ce dit, ajoute Jean de Piochet, Buttet se retourna de l'austre costé du lict, et Bèze se retira, disant qu'il resvoit et que l'appréhension de la mort le travailloit'. »

Et c'est cependant ce Buttet qui affirme dans son testament << la cognoissance et asseurance de son salut en Nostre Seigneur Jesus Christ, nostre seul sauveur et rédempteur », qui y fait des legs en faveur d'établissements d'instruction et de propagande réformées, tout en demandant que son corps « soit enseveli à Chambéry au tombeau de ses ancestres », c'est-à-dire

1. Mugnier, Buttet, p. 32-33.

dans « l'église de Sainte-Marie l'Égyptienne, soit des Franciscains de l'observance, où l'on n'aurait pas reçu la dépouille mortelle d'un protestant' ».

Buttet, Boyssoné me font l'effet de ces êtres quelque peu hybrides que Montesquiou jadis célébrait sous le titre de chauves-souris, précurseurs à demi conscients, n'osant s'évader encore d'un passé qui les tient à ses fortes chaînes. On ne sait où repose le corps du régent de Toulouse : lui aussi, sans doute, eût été travaillé de l'appréhension de n'être pas admis au tombeau où les générations de ses ancêtres reposaient en paix. Car, sans nul doute, son âme était croyante et cherchait Dieu.

Ce n'est pas la partie la moins intéressante de la vie de Boyssoné que celle qui fut consacrée à l'amour et à la poésie. Les deux problèmes que je voudrais exposer en dernier lieu concernent son Livre d'amours dédié à Glaucie et les Trois centuries.

J'ai traité ailleurs 2 avec détail la question de l'originalité de Boyssoné dans la partie de la deuxième centurie qu'on peut appeler son Livre d'amours et de la priorité possible de ce Livre sur celui de Scève. On sait que jusqu'ici on est d'accord pour considérer que ce dernier, paru à Lyon en 1544, était le prototype en France de ce genre d'écrits. Brunetière, qui a consacré à Scève une de ses bonnes études 3 critiques, a montré l'importance de Délie dans l'histoire évolutive de la littérature, Scève étant, selon lui, un de ces poètes de transition qui nouent la chaîne. En continuant Marot, il nous mène à Ronsard de la « prose rimée » de l'un il nous fait passer à la « poésie » de l'autre. Tout cela est non seulement bien dit, mais juste, en somme, à condition que nous ne prenions pas Scève pour un phénomène isolé. Brunetière, qui ignorait beaucoup de choses de Toulouse, ne disait-il pas volontiers en ses moments d'humour que le plus beau monument en était Sainte-Cécile... d'Albi?

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pas, — et c'était son droit,

Brunetière ne connaissait notre Boyssoné, ce Méridional du type modeste, qui, sans oser risquer l'impression, composa, lui aussi, son livre d'amours. Je ne reviendrai pas ici sur les

1. Mugnier, Buttet, p. 31 et 32.

2. Revue d'histoire littéraire, n° d'avril-juin 1924.

3. Série 6.

raisons matérielles et morales qui m'ont fait conclure que Glaucie de Toulouse avait pu être chantée quelque temps avant Délie de Lyon, ni sur les indiscrétions de Visagier qui laissent entrevoir, à travers l'amphigouri tébaldéen ou séraphinesque et sous les traits idéalisés qui permettront plus tard de tenter de l'identifier avec Minerve, la physionomie très réelle d'une petite provinciale évoluée, comme nous dirions dans notre jargon d'aujourd'hui. Cette sémillante fille qui faillit, semble-t-il, mettre aux prises, autour de son «< chaste corps », deux excellents amis également épris d'elle n'était certainement pas Minerve, mais elle était digne de l'être ou de le paraître3, et comme Pallas protégeait sa cité elle fut appelée Glaucie, autrement dit : celle qui est aimée de Minerve ou qui mérite bien de la « ville palladienne ».

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Je m'arrête ici, ne me flattant aucunement d'avoir donné aux divers points que j'ai traités ce caractère convaincant de certitude qui est la récompense de l'effort en histoire. Il faut savoir souvent se contenter, à défaut de cette joie suprême, du plaisir fort appréciable encore, quoique austère, de la recherche à peu près orientée. Je n'ignore pas davantage combien il reste encore à trouver sur Boyssoné. En particulier, je voudrais bien, une fois ou l'autre, préciser la date de ses divers ouvrages, et non seulement des faits mais de la composition et de la mise en recueil. Ce travail est relativement aisé pour la correspondance, où, quoique pour certaines périodes les lettres aient l'air d'avoir été confiées en vrac1 au secrétaire, il semble bien qu'elles suivent en gros l'ordre chronologique. Pour les poèmes latins je suis presque disposé à croire qu'ils ont été recueillis les premiers par Boyssoné, peut-être rédigés de sa main et

1. Hendécasyllabes, 9.

2. Boyssoné et Richier. Cf. la lettre prudente à Visagier. Il lui recommande de bien faire entendre à Richier qu'il n'a jamais eu de passion que pour Minerve. Quod ut tu scriptis confirmes vehementer te rogamus, p. xxxi vo, p. 62, l. 7 et suiv.

3. Elle a paru telle à deux des historiens de Boyssoné. M. M. Guibal (De Johannis Boyssonei vita, p. 109) et M. de Boysson (op. cit., p. 19).

4. Les premières notamment, celles qui sont antérieures au départ pour Chambéry. Dans la suite, les interversions ont l'air de repentirs.

5. On reconnaît d'un bout à l'autre la même écriture, et dans celle-ci le jambage nonchalant et ouvert du J et le B surmonté d'un jonchet crochu sur la droite qui frappent dans sa signature.

sûrement revisés par lui'. Quant aux dizains, frappé de ce fait que les centuries étant incomplètes, il y avait, à la suite de la première et de la troisième, des pages, rayées d'avance par le scribe, qui semblaient attendre leur complément, j'en avais conclu, un peu sommairement, que le livre s'était fait en quelque sorte au jour le jour et sinon sous la dictée, du moins sous la direction du poète. M. Delaruelle, en s'appliquant de près à la chronologie des diverses pièces, aboutit à des constatations qui m'obligent à modifier grandement cette première vue. Je persiste à croire d'ailleurs que l'ordre chronologique relatif n'implique pas que le recueil ait été fait à la mort du poète et certaines comparaisons d'écriture2 m'induisent à penser que la copie doit avoir été entreprise avant 1540. Mais ne pouvant traiter à fond la question, je préfère momentanément la laisser, me réservant d'y revenir si l'on y trouve quelque intérêt. Henri JACOUbet.

J'ai eu entre les mains, depuis la rédaction de cet article, un certain nombre de pièces relatives au procès de Caturce. Il s'agit d'extraits de la procédure du Parlement et de pièces connexes prises dans les archives de l'archevêché, aujourd'hui perdues. Elles montrent (fol. 53 vo) que Boyssoné était en prison en juillet 1532. On voit bien le parallélisme des deux procédures, celle du Parlement et celle de l'official. La fiche relative à l'abjuration de Boyssoné n'existe pas, mais nous avons celle de certains de ses coaccusés que l'intervention de l'Église arracha comme lui aux rigueurs du bras séculier; on y voit aussi que l'affirmation de Dolet sur Caturce est exacte et que ce dernier avait bonne envie d'échapper au bûcher (cf. fol. 5 vo, 15 vo et 16). Il y a quelque chose de pathétique dans son appel desespéré au témoignage d'hommes qui pourraient peut-être d'un mot le sauver et qui se tiennent, sans doute par prudence, loin de l'affaire.

C'est M. Loirette, archiviste du département de la HauteGaronne, qui a bien voulu me communiquer la copie personnelle qu'il a de ce document, aujourd'hui aux archives de l'Aude.

1. L'écriture de ces retouches est différente, mais constante. Au contraire de la première, elle est courante. Ce sont des corrections d'auteur.

2. La gothique est celle qui se trouve sur le manuscrit des Annales de Toulouse, qui s'alourdit à partir de cette époque et se romanise. Les titres des dizains sont très analogues à la ronde des lettres datées de cette époque.

COMPTES-RENDUS.

EUVRES DE MARGUERITE DE NAVARRE. Comédies, publ. par Ed. SCHNEEGANS. Strasbourg, J. H. Ed. Heitz, 1924. Petit in-16, xxvII-264 pages. (Bibliotheca Romanica.)

La Bibliotheca Romanica qui, ces dernières années, avait publié les Lais de Marie de France, les Psaumes de Marot, les Odes de Ronsard, nous donne aujourd'hui les Comédies de Marguerite de Navarre, et nous ne saurions trop applaudir l'éditeur érudit qui n'hésite pas à offrir aux seiziémistes des textes trop rares. Si l'on trouve assez facilement les œuvres complètes ou des morceaux choisis de Marot ou de Ronsard, on ne rencontre pas tous les jours les Marguerites de la Marguerite des Princesses, et les exemplaires de l'édition Frank ne se trouvent pas sans peine. C'est dommage, car, s'il y a des longueurs dans l'œuvre de la sœur de François Ier, il y a aussi de beaux vers, et il faut regretter qu'on ne les connaisse pas davantage.

M. Schneegans publiera-t-il les poésies complètes? Le titre du volume qui vient de paraître le laisse entendre, - et, bien qu'il ne soit peut-être pas nécessaire de réimprimer l'œuvre entière de la reine, nous ne pouvons que le féliciter de la tâche qu'il entreprend : mieux vaut publier à nouveau toutes les poésies, même si l'on n'en veut lire qu'une partie, que laisser les lettrés déplorer l'impossibilité où ils sont de lire Marguerite d'Angoulême.

M. Schneegans nous donne les Comédies: il publie en un mince volume les quatre comédies imprimées en 1547 par les soins de J. de la Haye; il y joint les deux pièces découvertes par M. A. Lefranc. Il n'y a pas, sans doute, de lien étroit entre les deux groupes de comédies : les premières visent surtout à traduire poétiquement des épisodes de l'histoire sacrée, les dernières à nous faire connaître certains sentiments intimes de la reine. Il n'importe : il y a là un groupe d'œuvres homogènes, et qui relève, en définitive, de la même inspiration, s'opposant

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