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Comme il est naturel dans un ouvrage de critique littéraire, certains jugements et certaines interprétations de l'œuvre examinée peuvent être discutés. Voici, par exemple, quelques points sur lesquels je ne serais pas d'accord avec M. Cohen : Page 34. A propos du fragment du Discours à Pierre Lescot, admiré de Sainte-Beuve :

Je n'avois pas douze ans qu'au profond des vallées...

Echo me respondoit et les simples Dryades,
Faunes, Satyres, Pans, Napées, Oréades,

Et les Nymphes, suivant les fantastiques Fées,
Autour de moy dançoient à cottes dégrafées.

M. Cohen nous montre, dans le cortège qu'enveloppe l'adolescent, des divinités païennes et d'autres « apportant dans les plis de leur robe transparente l'âme celtique et française ». C'est évidemment << les fantastiques Fées » du texte de Ronsard qui sont ici désignées. Mais on peut se demander si ce terme de Fées n'est pas pour Ronsard l'équivalent de divinités femmes. C'est, en effet, le mot dont plusieurs de ses contemporains, parmi lesquels Amyot, se servent pour désigner les demi-déesses : les Néréides, par exemple, les Parques, etc. Je crois donc qu'ici Ronsard distingue les nymphes des demi-déesses: Dryades, Napées, Oréades, qu'il appelle des fées; mais qu'il ne songe

stérile. « Plongeant toujours dans le même sol, une plante finit par en épuiser les éléments nutritifs; il n'y a qu'à se résigner à l'arracher et à la renouveler. Alors on est parfois forcé de la remplacer par un plant étranger, plus rétif aux maladies nationales et qui, se nourrissant de notre terre, donnera des fruits qui ne seront plus étrangers. N'est-ce pas pur vin de France que produisent aujourd'hui nos ceps américains du Bordelais? »

Les erreurs que contient ce passage feraient frémir tout le vignoble beaujolais que j'ai présentement sous les yeux! Jamais son sol ne fut épuisé. Les plants français n'en ont pas été arrachés parce que le sol ne pouvait plus les nourrir, mais parce qu'ils résistaient mal au phylloxera, maladie introduite d'Amérique en France par des plants importés. Et si les vignes actuelles produisent du pur vin de France, c'est qu'elles sont toujours des plants français, greffés sur des tiges américaines, capables de résister au phylloxera. Quant aux ceps américains, à l'Othello ou au Noah, sur lesquels on n'a pas greffé de plants français, le vin qu'ils produisent est en abomination aux vrais amateurs des délicats vins de France.

nullement aux fées gauloises ou françaises et que le décor évoqué est purement païen'.

Page 113. A propos des sonnets pétrarquistes de Ronsard, M. Cohen rappelle que la priorité appartient pour les poèmes pétrarquistes à Du Bellay ou à Pontus de Tyard, l'Olive et les Erreurs amoureuses étant de la même année 1549. Ces deux ouvrages ont, en effet, été imprimés en même temps, le second, publié à Lyon, est même légèrement antérieur au premier. Mais il y a lieu de rappeler qu'au témoignage d'Étienne Pasquier les sonnets de l'Olive couraient, en manuscrits, de mains en mains depuis longtemps. Et l'on sait par l'exemple des poésies de Mellin de Saint-Gelais quelle large diffusion pouvaient avoir des poèmes manuscrits.

Page 171. Pour chanter l'or, dit Ronsard dans l'hymne qu'il consacre à ce métal, il ne faut pas être poète, mais

Argentier, général ou Trésorier d'un Roy

Ayant toujours les doigts jaunes de bon aloy.

Une note indique, d'après le Dictionnaire de Furetière, que général signifie ici contrôleur général chez le roi. Au xvIe siècle, ce mot désignait également un trésorier général. Le général Guillaume Prud'homme, dont Marot a écrit la déploration funèbre, était trésorier général de Normandie. On peut donc comprendre il faut être trésorier général ou trésorier d'un roi.

Page 258. A propos des amours d'Hélène, M. Cohen cite le sonnet L, « qui développe une théorie nettement sensualiste et antiplatonicienne ». D'autres traits hostiles à Platon et à l'amour idéaliste se rencontrent dans ces sonnets. Lorsqu'on les rassemble, on s'aperçoit que le raisonnement opposé par Ronsard à Hélène ressemble fort à celui que tiendra plus tard le Clitandre des Femmes savantes, blâmant chez Armande le dédain du mariage. Citer Platon, lui dit-il encore, ou le traité d'Hermès Trismegiste, c'est fort bien pour paraître savante à la cour; mais qu'Hélène n'espère pas en imposer à Ronsard avec cette science. Ce n'est que vanité, au prix de la volupté qu'il recherche. « Aimer l'esprit, Madame, c'est aimer la sottise. » Appelons les choses par leur nom : chez Hélène de Surgères les affectations de la femme savante exaspéraient Ronsard.

1. « Les Muses, les neuf belles fées » dira plus tard Malherbe dans l'Ode à Marie de Médicis.

Page 265. Je ne crois pas pourtant que la lettre à Scévole de Sainte-Marthe dans laquelle il la qualifie si durement, lui reprochant de manquer de jugement en poésie et d'être avare, ne soit postérieure que de trois années à la composition des amours d'Hélène, comme il faudrait l'admettre si cette lettre devait être datée de 1577. Elle a été écrite un « 5e de juillet... » Or, le 2 juillet 1577, le roi Henri III arrivait à Poitiers et y était reçu solennellement par toutes les autorités locales. Scévole de Sainte-Marthe, qui avait une charge de contrôleur des finances, et qui, le 4 mars précédent, avait été reçu par le roi à Blois, devait certainement figurer parmi les notables poitevins qui accueillirent le souverain à son entrée dans leur cité. Je crois donc que cette lettre, qui a été écrite au moment où se préparait une nouvelle édition des amours d'Hélène, est du 5 juillet 1583, lorsque Ronsard remaniait et reclassait ses Sonnets pour Hélène en vue de l'édition qui parut en 1584 (il fit passer dans les Sonnets pour Hélène trente-cinq sonnets qui étaient auparavant dans les Amours diverses).

Il y avait dix ans que Ronsard avait cessé de célébrer Hélène de Surgères. On s'explique alors qu'il ait pu parler de sa maîtresse sans aménité, d'autant qu'il était sexagénaire et que la goutte le rendait dolent et grognon.

Le volume de M. Cohen, comme son enseignement, ne peut manquer de suggérer aux étudiants et aux érudits le désir d'examiner quelques-uns des problèmes que soulève l'œuvre de Ronsard. Il éveillera des vocations de ronsardisants. Quel meilleur hommage apporter au poète pour le quatrième centenaire de sa naissance!

Jean PLATTARD.

CHRONIQUE.

LE PONTIFICAL » DE MGR BOHIER. En 1522 étudiait, à Poitiers, in utroque jure, un jeune homme plein de distinction: il s'appelait François Bohier; il était doublement baron, de Saint-Cirgues en Auvergne et de Chenonceaux en Touraine; c'était un lettré, comme ces gentilshommes qui cueillaient alors, au delà des Alpes, tant de belles fleurs grecques et latines et qui les cultivaient amoureusement dans le beau jardin de la France. Il appartenait à cette heureuse classe d'étudiants qui fréquentaient les universités de province avec le nonchaloir délicat des esprits de la Renaissance, mais qui étaient, trop souvent pour leurs familles, légers d'esprit et de pochette. Malgré les subsides de ses parents, le jeune François Bohier voyait souvent le diable dans le fond de sa bourse. Un jour, son libraire, nommé Petit, qui n'ignorait pas que l'étudiant était le propre neveu du cardinal Briçonnet, pair de France, lui proposa un superbe Pontifical des presses de Lyon : « Maître François, insinua le libraire, voilà une occasion splendide et unique le texte est d'une pureté à rendre jaloux Alde Manuce; Son Éminence, votre oncle, de regrettée mémoire, ne posséda jamais pareil exemplaire. Admirez-moi ces capitales et ditesmoi si ces lignes, harmonieusement espacées, n'ont pas la belle ordonnance des cérémonies qu'elles règlent et de la liturgie qui les inspire? » L'étudiant fit observer qu'il n'avait pas d'écus pour acquérir le Pontifical et, qu'au surplus, le livre ne pourrait lui servir qu'autant qu'il deviendrait évêque. Le libraire répliqua que son jeune client, protégé par l'ombre du grand cardinal, parviendrait certainement un jour à la dignité épiscopale; il lui réservait donc l'exemplaire et l'étudiant, plutôt amusé par l'aventure et la bizarrerie du marché sub conditione, signa à Petit un billet aux termes duquel il s'engageait à acheter le fameux Pontifical le jour où il deviendrait évêque. Vingt-cinq ans après cette promesse d'achat et de vente,

François Bohier était choisi comme coadjuteur par son oncle, Denis Briçonnet, évêque de Saint-Malo. Il ne fut pas plutôt en possession de la bulle qu'on lui annonça la visite d'un libraire il était alors à Paris. Ce libraire n'était autre que Petit; il avait quitté Poitiers depuis un certain temps et s'était installé à Paris jouxte le Palais. Il apportait au nouveau prélat le beau Pontifical et le billet signé par l'étudiant de Poitiers, il y avait un quart de siècle. L'entretien fut très cordial et l'évêque rappela avec joie les agréables jours passés à Poitiers chez son ancien ami, le bibliopole. Il prit possession du Pontifical si ardemment convoité jadis, le paya, sans doute, généreusement et ordonna même de faire timbrer le maroquin à ses armes, avec cette devise: S'il vient à point me souviendra. Il voulut mème conserver matériellement le souvenir de cet épisode de sa vie de bibliophile, et il en écrivit le récit, de sa plus belle main, sur la feuille de garde du Pontifical de 1511, aujourd'hui déposé à la Bibliothèque nationale, Réserve B, 96 bis. Étienne DUPONT.

(Journal des Débats du mardi 29 avril.)

DISCIPLES DE RONSARD. M. Louis Pize évoque, dans la Revue du Vivarais, le souvenir de deux poètes qui furent de fervents disciples du maître des Amours et des Odes, Jacques et Marie de Romieu, le frère et la sœur.

Représentants d'une famille noble venue d'Espagne, établie à Arles à la fin du xire siècle, puis divisée en trois branches dont la première se maintint en Provence, la seconde se fixa en Auvergne et la troisième aux environs de Pradelles, les Romieu vinrent au monde vers 1540 à Viviers.

Jacques était chanoine, « docteur es droicts » et secrétaire de la Chambre du roi. Il passa une partie de sa jeunesse en Italie et fit paraître, en 1584, à Lyon, un recueil de noble ordonnance dans lequel l'influence de Ronsard s'accuse nettement, malgré un « stile fort barbare ou du moins fort raboteux et fort dur» qui déplaisait à Colletet. Avec une ardeur remarquable, le disciple défend son maître contre Claude de SaintThomas:

Osant admonester, ignare de science,

Un tout divin Ronsard, l'Apollon de la France.

et, tout en célébrant le Rhône, les montagnes et le «< plaisir

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