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grammaire hébraïque? Nous n'avons, sur ce point, que l'affirmation de Tschudi; nous pouvons dire, en tout cas, que jamais cette grammaire ne vit le jour chez le grand imprimeur bâlois. D'ailleurs, il est exact que Giustiniani avait souci de remédier à cette disette de livres dont souffraient tant ses étudiants. Comme il nous le dit luimême, il fallait en acheter au loin, au prix de grandes dépenses et d'une grande perte de temps. C'est alors qu'il eut l'idée de s'adresser à un imprimeur parisien. Il obtint qu'on fondit pour lui des caractères, et c'est ainsi qu'après dix-huit mois d'efforts il pouvait, au début de l'année 1520, offrir à ses patrons, Poncher et Guillaume Petit, la première impression hébraïque qui fût sortie des presses parisiennes. Dans son ardeur, il promettait même de ne pas s'arrêter en si beau chemin et s'engageait à donner au public non seulement des livres hébreux, mais aussi des livres arabes et chaldéens'.

On remarquera, au passage, l'intérêt que présentent, pour l'histoire de la typographie parisienne, les faits qui viennent d'être exposés. Gilles de Gourmont montre ici la même initiative, la même ouverture d'esprit qu'il avait montrées au temps de François Tissard et d'Aleandro. C'est chez lui, comme on sait, qu'avaient paru leurs publications grecques 2. Il avait même, dès 1509, réussi à im

1. Je n'ai fait, dans les lignes précédentes, que résumer ou même traduire la lettre de dédicace qui a été déjà citée plus haut (p. 325, n. 3). Il s'y trouve, on l'aura remarqué, un détail concret qui demande une vérification. Giustiniani dit en propres termes : « vix post decimum octavum mensem obtinuimus ut codices typis his nostris excuderent. » Comme la lettre est datée du 28 février 1520, cela ferait remonter au mois de septembre 1518 le moment où il entreprit de réaliser à Paris des impressions hébraïques. Or, à pareille date, il devait être en Angleterre ou en Flandre. Il aura voulu, pour rehausser le mérite de son entreprise, exagérer le temps qu'elle lui avait coûté.

2. Cf. le livre de J. Paquier sur Jérôme Aléandre (thèse de Paris, 1900) ou bien les différentes études d'E. Jovy dans les Mémoires de la Société des sciences et des arts de Vitry-le-François (années 1899, 1900 et 1913). Sur les impressions grecques données par Gilles de Gourmont après le départ d'Aléandre, on peut voir deux articles sur

primer pour Tissard un tout petit peu d'hébreu'. Cette fois-ci il s'agit d'une impression de plus d'importance. Pour Gourmont, c'est un titre de plus à figurer dans l'histoire de la renaissance des études anciennes. Mais ici c'est Giustiniani qui nous intéresse et c'est à lui qu'il faut revenir. Nous avons pu déterminer à peu près l'époque où ses cours avaient commencé. Il reste à savoir maintenant combien de temps ils ont duré. Au début de 1520, nous voyons qu'il continue d'enseigner : dans une lettre-préface en tête d'un de ses opuscules, il déclare que, s'il a pu achever le présent travail, c'est grâce aux fêtes de Noël, pendant lesquelles il a suspendu son enseignement (quibus a publico legendi munere mihi otium datum est2). C'est là le dernier témoignage que je connaisse sur l'activité de Giustiniani comme professeur. Nous nous bornerons donc, faute de mieux, à enregistrer l'indication de M. Allen, et nous admettrons qu'il quitta la France en 1522 pour regagner son siège épiscopal3. Pendant quelques années, les étudiants ne trouveront plus à Paris le moindre enseignement de l'hébreu. C'est ainsi que l'un deux écrit

L'étude du grec à Paris de 1514 à 1530, qui ont paru ici même en 1922 (p. 51-62 et 132-149).

1. Je vois en effet que, dans son Essai sur les débuts de la typographie grecque à Paris, M. Omont mentionne une Grammaire hébraique de Fr. Tissard (cf. Mémoires de la Société de l'hist. de Paris, t. XVIII, p. 21-23), mais la description qu'il en donne laisse penser que dans ce volume les caractères hébreux prennent très peu de pages.

2. Cf. Liber beati Job: quem nuper hebraicæ veritati restituit A. Justinianus Nebiensis episcopus quinque linguarum interpres, Paris, Gilles de Gourmont, 1520, in-4°. Le passage cité est au verso du feuillet de titre.

3. Cf. la notice mentionnée à la p. 326, n. 3. Comme M. Allen y signale que, dans ses Annales de la république de Gênes (Annali, etc., Gênes, 1537), Giustiniani a donné son autobiographie (aux p. 223-225), je suppose que la date du retour en Corse aura été prise là. En tout cas, je vois dans la même notice qu'à la bibliothèque de Nîmes une lettre, inédite, de Giustiniani à Jean de Pins est datée du 18 février 1521, à Paris. Et comme l'obligeance de mon ami H. Jacoubet m'a assuré une copie de cette lettre, je crois bon d'ajouter qu'elle ne présente aucun intérêt.

en 1524: «< Pour ce qui est de la langue hébraïque, je pense qu'il suffit que je l'apprenne à un autre moment, car il y a ici peu de gens qui la connaissent; ou bien ceux qui la sauraient ne donnent pas à tout le monde la facilité de les aborder'. >>

Il reste maintenant à parler des éditions qu'a données Giustiniani pendant son séjour à Paris, et dont plusieurs ont été déjà citées dans les notes. Celles qui ont pour nous le plus d'intérêt, ce sont celles qui attestent ses études hébraïques. C'est d'abord cette courte grammaire pour laquelle il obtint que Gilles de Gourmont fit fondre des caractères hébreux. Elle remonte au XIIe siècle, mais la renommée de l'auteur était encore vivante à l'époque où nous nous plaçons. C'est Rabelais qui cite Rabi Kimy» comme un des plus illustres « massorets3 ». C'est Reuchlin qui utilise ses travaux'; c'est Sébastien Munster qui les réédite".

La traduction du livre de Job offre un intérêt différent. Ce n'est point pour les étudiants qu'elle a été faite; elle a été entreprise sur la demande du prélat à qui l'opuscule est dédié. Ce protonotaire apostolique, qui était en même temps professeur de droit civil et canonique, montrait pour ces questions d'exégèse plus de curiosité que beaucoup de ses collègues. Il savait du grec et s'étonnait que, pour le livre de Job, la Vulgate (communis tralatio) ne fût

1. Cf. Herminjard, Correspondance des réformateurs, t. I, p. 241 (lettre de Jean Canaye à Guillaume Farel).

2. Cf. supra, p. 328 et la n. 1.

3. II, 17 « Et ainsi l'expose Rabi Kimy, et Rabi Aben Ezra, et

tous les massoretz... >>

4. Cf. L. Geiger, Renaissance und Humanismus in Italien und Deutschland (paru en 1882 dans l'Allgem. Gesch. de W. Oncken), p. 507.

5. En 1536, il réédite à Bâle la grammaire hébraïque, en l'accompagnant d'une traduction latine. D'autre part, la troisième édition de son Dictionnaire hébraïque (Bâle, 1535) se donne comme ayant été enrichie « ex Rabbinis, præsertim ex radicibus David Kimhi (cf. la description de Ch. Beaulieux, Revue des bibliothèques, 1909, p. 305).

6. Pour la description de l'opuscule, cf. supra, p. 329, n. 2.

pas conforme au texte grec. Il avait voulu savoir si elle était du moins conforme au texte hébreu et, comme Giustiniani l'avait assuré du contraire, il lui avait demandé de publier le livre « en lui rendant sa conformité au texte hébreu authentique ». Giustiniani se mit à la besogne et il eut fort à faire dans le manuscrit latin dont il se sert couramment, les passages à corriger étaient presque innombrables'. Je me contente de reproduire les affirmations de Giustiniani. Quant à dire quelle est la valeur de sa traduction, c'est affaire aux hébraïsants.

Voici maintenant deux livres qui purent servir à nourrir l'éternelle querelle de l'Église contre la Synagogue. C'est d'abord une traduction latine d'un ouvrage bien connu, «<le Guide des égarés », du célèbre Maimonide. Si l'on en croit Giustiniani, le premier traducteur de l'œuvre s'était plus soucié de rendre le sens que d'écrire en un style élégant. Cela donnerait à penser que la traduction par lui publiée représente, sur l'ancienne, un progrès très sensible. En réalité « on s'est aperçu que, loin d'avoir fait une œuvre originale, Giustiniani s'était contenté de recopier, en l'arrangeant un peu, l'ancienne version latine, représentée par le manuscrit de Münich3 ». L'autre livre nous offre une œuvre moins illustre. Pour en montrer le caractère, le mieux est d'en transcrire intégralement le titre Victoria Porcheti adversus impios Hebræos, in

1. Cf., au verso du feuillet de titre, dans l'opuscule en question, la lettre de dédicace à laquelle j'ai déjà fait un emprunt. Elle est ainsi intitulée: Aug. Justinianus Episcopus Nebiensis Domilutio Protonotario apostolico ac juris utriusque interpreti S., écrite de Paris, 16 janvier 1520.

2. Rabi Mossei Ægyptii Dux seu Director dubitantium aut perplexorum... (d'après la revision de Giustiniani), Josse Bade, 1520, in-fol. L'indication de Giustiniani que j'utilise se trouve au verso du feuillet de titre, dans la dédicace à Étienne Poncher, l'archevêque de Sens. Je note que ce volume contient en divers endroits des caractères hébraïques. Le fait est intéressant pour l'histoire de la typographie parisienne. Mais sans doute Josse Bade n'avait pas assez de caractères pour faire comme de Gourmont et pour imprimer tout un livre, même court, en hébreu.

3. Revue des études juives, t. XXXIX (1899), p. 157.

qua, tum ex sacris literis tum ex dictis Talmud ac caballistarum et aliorum omnium authorum quos Hebræi recipiunt, monstratur veritas catholicæ fidei. Ex recognitione R. P. Aug. Justiniani ordinis Prædicatorum, episcopi Nebiensis'. Comme on le voit par le colophon du livre, l'auteur était un moine génois, de l'ordre des Chartreux; il s'appelait, paraît-il, Porchetto de' Salvatici et il semble avoir vécu au xive siècle. En éditant son œuvre, Giustiniani prétendit aider les théologiens catholiques à retourner contre les rabbins les armes dont ceux-ci se servaient. Il paraît même avoir songé à reprendre la controverse dont s'était mêlé Porchetto. Dans sa lettre-préface2, il déclare qu'il sait par expérience quelles peines et quelles dépenses attendent ceux qui veulent approfondir les doctrines secrètes des Juifs. Lui-même il a lu une bonne partie des livres hébreux qui sont cités dans la Victoria Porcheti. Il a réussi à se les procurer et il les garde précieusement.

Les autres publications de Giustiniani n'ont que peu ou point de rapport avec ses études ordinaires. Mais nous sommes à une époque où l'on a besoin de livres tout autant que de maîtres. Les humanistes qui arrivent d'Italie ont apporté avec eux un bagage, plus où moins précieux, de livres et de manuscrits. En ce temps de ferveur intellectuelle, ils trouvent toujours des libraires pour publier les œuvres inédites ou mal connues dont ils sont, à Paris, les seuls détenteurs. C'est ainsi que Giustiniani a pu éditer, pendant son séjour en France, des œuvres aussi diverses que celles dont il va être question. D'abord les Questions sur la Genèse »; c'est la traduction latine d'un ouvrage que Giustiniani, se fiant à l'ancien manuscrit

1. Chez Gilles de Gourmont, 1520, in-fol. Le colophon, en même temps qu'il renseigne sur l'auteur, indique que le livre a été imprimé par Guillaume Desplains aux frais de Gilles de Gourmont et de François Regnault.

2. Cf., au verso du feuillet de titre, la lettre à Guillaume Petit, évêque de Troyes et confesseur du roi, datée de Paris, 1 avril 1520.

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