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vertit par de belles momeries, et l'on joue des moralités. Les contemporains d'Amyot, quand ils voulaient avec lui pénétrer dans le monde antique, ne s'y trouvaient sans doute pas trop dépaysés.

C'est justement ce qu'il a voulu. Comme on l'a dit déjà plus d'une fois, comme l'a très bien prouvé M. Sturel', ce serait une complète erreur d'attribuer à la naïveté, à la maladresse, cette habitude de remplacer le terme propre par un équivalent. Amyot n'écrivait pas pour les érudits, et, s'il avait voulu être tout à fait exact, il n'aurait certainement pas été compris par le public auquel il s'adressait. Aujourd'hui, ceux qui lisent des traductions d'auteurs anciens ont, le plus souvent, appris le grec et le latin, ou du moins ont quelque teinture des institutions et des coutumes grecques et latines. Des mots comme archonte, stratège, tribun, licteur, gladiateur ne sont pas nouveaux pour eux. De tels mots, au contraire, auraient été inintelligibles pour la plupart des courtisans au temps d'Amyot. Songeons combien de mots grecs et de mots latins sont entrés dans notre vocabulaire depuis le xvIe siècle, non seulement pour désigner des choses antiques, mais aussi pour exprimer des idées générales de tous les temps. Rappelons-nous Rabelais et sa Briefve declaration d'aucunes dictions plus obscures contenues on quatriesme livre des faicts et dicts heroïcques de Pantagruel : cette liste est pleine de mots grecs et de mots latins qui, depuis, nous sont devenus familiers: misanthrope, sarcasme, satyricque, soloecisme, periode, nectar, ambrosie, metamorphose, parallele, phare, atome, coenotaphe, hieroglyphicque, obelisce, pyramide, paroxysme, parasite, et beaucoup d'autres. Voilà les mots que Rabelais jugeait indispensable d'expliquer à ses lecteurs. On peut comprendre ainsi quelles difficultés rencontraient les écrivains qui voulaient, à cette époque, parler de l'antiquité ou traduire les auteurs anciens.

1. Jacques Amyot traducteur des Vies parallèles de Plutarque, p. 222-232 et 345-354.

De notre temps, peut-être, on résoudrait ces difficultés autrement. On expliquerait par une note chaque mot inusité. Mais quel aspect revêche auraient donné au texte les notes multipliées à toutes les pages! Quelle fatigue et quel ennui pour le lecteur à chaque instant arrêté par la glose! Il fallait trouver d'autres moyens. Si nous examinons ceux qu'Amyot a employés, nous constaterons qu'il a su assez habilement concilier le souci de l'exactitude et le désir d'être compris.

Souvent il emploie un procédé très simple, qui se rapproche beaucoup de celui de l'annotation, mais qui a l'avantage de ne pas interrompre la lecture et de fondre la note dans le cours de la phrase: c'est l'explication introduite par c'est-à-dire ou toute autre formule analogue:

<< Il fut premierement eleu par les voix du peuple Tribun militaire, c'est-à-dire, Capitaine de mille hommes de pied. » Caton le Censeur, 3'. Le texte grec dit: xiλtapytas ἔτυχε πρῶτον.

« Il fut en la Grece en estat de Tribun militaire, ou Coulonnel de mille hommes de pied. » Ib., 12.

« Il prit dix legions avec trois cohortes Praetorienes, qui sont les compagnies coulonnelles, ordonnees pour la garde du Capitaine. » Antoine, 39. En grec: tpeïs otfatnyiδας σπείρας ὁπλιτῶν.

« Sertorius... à son retour à Rome, fut incontinent eleu Quaesteur ou Tresorier general de la Gaule » (tapiag ànоdeixvuτat). Sertorius, 4.

[Bocchus] envoya secrettement querir Lucius Sylla, qui estoit lors Quaesteur, c'est-à-dire, tresorier general soubs Marius » (ταμίαν μὲν ὄντα Μαρίου). Marius, 10.

« Catulus estant Censeur requeroit à Caton, qui pour lors n'estoit que Questeur, qui est comme general des finances, que pour l'amour de luy il voulust laisser eschapper un clerc de finances, auquel il faisoit faire le proces. »

1. La traduction des Vies des Hommes illustres est citée d'après l'édition Vascosan in-8° (1567). L'indication des chapitres correspond à la coupe adoptée dans les éditions modernes du texte grec.

Instruction pour ceux qui manient affaires d'Estat, 13'. « Il donna au peuple l'esbatement de voir combatre trois cents et vingt couples de gladiateurs, c'est-à-dire, escrimeurs à oultrance. » César, 5.

« Seulement y praticque lon la luicte, et le Pancration qui est l'escrime à faire du pis que l'on peut. » Propos de table, L. II, Quest. 4.

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Quelques uns de ses Eunuques, c'est-à-dire, valets de chambre chastrez, qui estoyent demourez aupres de luy, le releverent. » Artoxerxes, 11.

<< Ses femmes et damoiselles... estoyent habillees en Nymphes Nereides, qui sont les Fees des eaux, et comme les Graces. » Antoine, 26. En grec Nnpniowy youσat xai Χαρίτων στολάς.

« Il y a d'autres jeux qui s'appellent Mimes, dont les uns se nomment Hypotheses, comme moralitez et representations d'histoires, et les autres Paegnes, folastreries, comme farces. » Propos de table, L. VII, Quest. 8. En grec : μῖμοι τινές εἰσιν, ὧν τοὺς μὲν ὑποθέσεις, τοὺς δὲ παίγνια καλοῦσιν.

Quelquefois l'explication précède le mot difficile :

<< Derriere lesquelz estoit le battaillon des vieux routiers gens de pied, que lon surnomme les Argyraspides. » Sept Livres de Diodore Sicilien, XVII, 122. En grec: "Ov δὲ τούτων ὑπετάγη τὸ τῶν ἀργυρασπίδων πεζῶν τάγμα.

« Il fut un an Prevost annuel de la ville d'Athenes, que lon appeloit Archon Eponymos. » Aristide, 5.

« Il avoit autrefois gentilment dansé la morisque armee, qui se nomme Pyrriche. » Propos de table, L. IX, Quest. 15. En grec : ὠρχήσατο γὰρ πιθανῶς τὴν πυρρίχην.

Il y avoit en la ville de Capoue un nommé Lentulus Batiatus, qui faisoit mestier de nourrir et entretenir grand

1. Les Œuvres morales de Plutarque sont citées d'après l'édition in-8° de Vascosan (1574). L'indication des chapitres correspond à la division adoptée dans les éditions modernes du texte grec.

2. La traduction de Diodore de Sicile est citée d'après l'édition in-fol. de Vascosan (1554). L'indication des chapitres correspond aux divisions de cette édition.

nombre de ces escrimeurs à oultrance, que les Romains appellent gladiateurs. » Crassus, 8. En grec: povoμáyous. Ailleurs, un simple mot ajouté au texte aide discrètement le lecteur à comprendre un mot nouveau pour lui. C'est ainsi que, dans les phrases suivantes, Amyot juge utile de dire que la Pythie est une prophetisse, que les thesmothètes et les archontes sont des officiers, c'est-àdire des magistrats :

<< Il... en rapporta celuy tant renommé oracle, par lequel la prophetisse Pythie l'appelle Aimé des Dieux. » Lycurgus, 5. Le texte grec dit simplement : IIvía.

<< Ne plus ne moins que par le sort on eslit à Athenes les officiers qui s'appellent Thesmothetes et Archontes. » De la Fortune d'Alexandre, II, 8. En grec : κλήρῳ θεσμοθετοῦσι καὶ ἄρχουσι.

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Dans certaines phrases, le mot français correspondant à tel ou tel mot grec est par lui-même sans obscurité, mais, dans un cas déterminé, a besoin d'une explication tout à fait précise. Cette explication, Amyot n'hésite pas à l'intercaler dans le texte :

« Les mille hommes d'ordonnance, qui estoyent soudorez aux despens du public, tant en paix qu'en guerre, dedans la ville d'Argos... essayerent d'oster l'authorité souveraine à la commune. » Alcibiade, 15. En grec: èπéбEVтo xxтZÀÚe!v ἐν Αργει τὸν δῆμον οἱ χίλιοι.

Dans la phrase d'Amyot, les mots en italique ne servent, on le voit, qu'à traduire et à expliquer of xíàtot. Voici d'autres phrases dans lesquelles le procédé est à peu près

le même :

« On en forma une fort grande image à la semblance de Sylla mesme, et une autre d'un massier portant les haches devant luy. » Sylla, 38.

Le mot massier est un équivalent à peu près satisfaisant pour faire comprendre le rôle du licteur précédant le consul. Mais ce n'est pas une masse que porte le licteur, et pour éviter de présenter au lecteur une image inexacte, Amyot croit nécessaire d'ajouter une explication : portant les haches devant eux.

« Il separa les haches d'avec les faisceaux de verges que les massiers portoyent devant le Consul. » Publicola, 10. Dans le texte grec, nous ne trouvons que la proposition principale : τοὺς τε πελέκεις ἀπέλυσε τῶν ῥάβδων. Τoute la proposition relative est ajoutée pour faire comprendre de quels faisceaux de verges il s'agit.

Se servant du mot notaire pour traduire σημειογράφος, il ajoute une définition, car personne, sans doute, n'aurait pu deviner le sens pris par ce mot dans la phrase où nous le rencontrons : « Lon n'usoit point alors, et ne sçavoit on que c'estoit de Notaires, c'est-à-dire, d'escrivains qui par notes de lettres abbregees figurent toute une sentence, ou tout un mot, comme lon a fait depuis. » Caton d'Utique, 23. Le texte grec dit : οὔπω γὰρ ἤσκουν οὐδ ̓ ἐκέκτηντο τοὺς καλομένους σημειογράφους.

Assez souvent il trouve en grec un mot de sens un peu large, qui tire du contexte sa signification précise dans le passage donné. Amyot ne trouve pas en français un mot dont la signification soit aussi souple. Il juge très légitime de se servir d'un mot dont le sens, plus étroit, convient exactement à la circonstance dans laquelle il l'emploie.

C'est le cas qui se présente pour le mot pétns. Il peut désigner les licteurs, et Amyot le traduit très bien par le mot sergent : « [Camillus] commanda à ses sergens qu'ils deschirassent les habillemens de ce mauvais homme. » Camillus, 10. En grec toisinpétats. Ailleurs, pés, ὑπηρέτης, désignant les envoyés d'Archias, est traduit par hallebardier, et, quelques lignes plus loin, s'appliquant aux mêmes hommes, par sergent : « Nous entendismes un grand rabbatement, et vint un valet nous dire que c'estoyent deux hallebardiers d'Archias [ὑπηρέτας τοῦ ̓Αρχίου δύο] qui battoient à la porte, estant envoyez à grande haste devers Charon... Charon leur demanda... s'il y avoit rien de nouveau : nous n'en sçavons rien, dirent ces sergens. » De l'esprit familier de Socrates, 27. Dans un autre passage, pour rendre ce même mot úηpéns, Amyot emploie le mot greffier: « Estant ja hors d'aage de se marier, il

REV. DU SEIZIÈME SIÈCLE. XII.

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