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qu'il n'a pas voulu commencer ceste entreprise à la façon dont Homere, Virgile, l'Arioste, Ronsard et le Tasso ont donné commencement à leurs œuvres si célèbres, il est venu traicter premier sur les mesmes reigles poétiques le suject et la representation de cette fameuse journée de Lépante... >>

Un disciple beaucoup plus fidèle fut Claude Garnier, le plus passionné des partisans de Ronsard. Faisant sienne la belle ambition de son maître, Claude Garnier aspire à être

celui qui, vizant à l'immortalité

Sçait comme il faut produire, emplumé de bravades
Non des sujets d'une heure, ainçois des Iliades'!

et, pour commencer, il entreprend de donner une suite à la Franciade de Ronsard et de conduire Francion aux Enfers dans son Livre de la Franciade, à la suite de celle de Ronsard, où il applique docilement les préceptes que son maître avait donnés comme les fondements de la poésie héroïque française, dans sa préface de la Franciade.

L'inspiration, Ronsard avait nettement indiqué où il fallait la chercher : chez Homère et chez Virgile. Luimême avait donné l'exemple. Garnier le suit, remplissant son poème de souvenirs homériques ou virgiliens, débris du VIe livre de l'Enéide ou du XIe chant de l'Odyssée.

Il n'est pas moins docile dans l'exécution du poème. Ronsard avait dit : « Tu n'oubliras à faire armer les Capitaines comme il faut, de toutes les pièces de leurs harnois..., car cela apporte grand ornement à la Poésie héroïque. » Et Garnier nous arme Hector de pied en cap, n'oubliant ni le casque à panache, ni le garde-col, ni les devants, ni le « corcelet »>, ni la lance, ni, pour chacune de ces pièces, la très homérique description des sujets qui y sont représentés, depuis « la grand'boule des cieux >> jusqu'à la ruine de Troie.

1. Prosopopée de Philippe Desportes, par Claude Garnier, parisien, s. 1. n. d.

Ronsard avait dit encore : « Tu imiteras les effects de la nature en toutes tes descriptions, suivant Homere. Car s'il faict bouillir de l'eau en un chaudron, tu le verras premier fendre son bois, puis l'allumer et le souffler. » Et, dans le Livre de la Franciade, la description des gestes de la Parque fileuse occupe toute une page. Et encore « Tu n'oubliras les noms propres des outils de tous mestiers. » Et Garnier, lorsqu'il dépeint la fondation de Troie par Neptune et Apollon, charge ces dieux de tout l'attirail des maçons'. Avec tout cela, il avait bien cru faire une épopée. Il aurait pu faire quelque chose d'approchant s'il avait aussi bien pénétré l'esprit des enseignements de son maître qu'il en avait suivi la lettre. Ronsard avait voulu créer une poésie noble, puissante; s'il n'y avait pas entièrement réussi, il avait su du moins conserver partout la gravité de ton qui convient à l'épopée. Chez Garnier, on tombe constamment de l'enflure dans l'afféterie, dans des grâces alambiquées, dont la mièvrerie contraste ridiculeusement avec le caractère du sujet. C'est, par exemple, le vol des ombres sur les rives du Styx, qu'il compare au vol des « oisyllons » au printemps2; ou encore ce tableau que fait l'amoureuse Hyante des beautés de Francus, rappelant la première fois qu'il lui apparut :

1.

2.

une blonde ceinture

Frisoit ta lèvre, et la vive teinture

De ton beau teint comme à ces jouvenceaux
Joignoit l'œillet aux lis qui sont nouveaux...

Ces Dieux courbez à guise de maçons
Portoient la pierre en diverses façons.
Bannis des Cieux, ores à la trüelle
Ils ajançoient la muraille nouvelle
Des Phrigiens, ores avec le plon

Joint à la corde ils mesuroient en long
D'yeux mi-fermez les moilons et les pierres
Au compas ore et tantost à l'equerre.

Comme l'on voit les oisyllons en l'air

Encourtinez de peintes ailerettes

Quand le Printems s'embellit de fleurettes...

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Tes blons cheveux s'escoulloient par ondées

Vers ton oreille, où les Graces guindées

S'entr'égayaient ores haut, ores bas...

... On pourrait mieux résister aux allarmes
D'un large camp perruqué de gendarmes
Qu'à ces beautez...

Qu'aurait dit Ronsard de voir ainsi traduite la puissance fatale de l'amour antique?

Qu'aurait-il dit, surtout, de cette grande épopée de l'Amour victorieux, que Garnier, en 1609, présentait au public en ces termes : « L'Amour victorieux, que je fay marcher à la manière qu'Homère faizoit marcher les Princes grecs, Virgile les Empereurs romains, et Ronsard les Roys de France? »

En réalité, ce poème allégorique relève plutôt des imaginations du Roman de la Rose que des épopées d'Homère ou de Virgile, ou même de Ronsard. Comment le poète, attaqué par Amour, sur l'ordre de Vénus, est armé par Calliope, et tout d'abord victorieux; comment Amour lui livre un nouveau combat, aidé de Désespoir, Feintize, Dépit, Bel-Accueil et autres lieutenants, tandis que le poète est assisté de Franchize, Repos, Joye et Soulas, qui ne l'empêchent pourtant pas de succomber; comment Amour enferme son cœur à la clé dont il engage les amans » et le rend esclave de la belle Harmonie; les souffrances de l'amoureux, ses flammes, ses glaces, ses pleurs et ses soupirs, et enfin sa joie quand Jupiter ordonne à l'Amour de « deffermer son cœur », tout cela fait la matière de quatre livres, écrits en vers de six pieds, dont le mètre sautillant achève de donner au poème l'allure d'un poème de mirliton.

Persuadé néanmoins d'être un grand poète épique, Claude Garnier prétendit être aussi un grand lyrique et continuer l'œuvre du chef de la Pléiade dans son essai d'adaptation de l'ode pindarique.

L'ode pindarique était appréciée à la cour de Marguerite, comme tout ce qui venait de Ronsard; quelques dis

ciples de bonne volonté y avaient essayé leurs forces, vite découragés après un ou deux essais'. Garnier, lui, met au contraire une sorte d'acharnement à enfermer son inspiration essoufflée dans le cadre pompeux des strophes, antistrophes et épodes. C'est tantôt l'ode monumentale Sur la naissance de Mgr le Dauphin, qui se déroule tout au long de soixante-dix pages, dans ses Royales couches2, tantôt les odes A la Royne, A Lucine pour les secondes couches de la Royne, ou l'ode à Philippe Desportes, ou celle Sur la majorité du roy Louys XIII, ou celle enfin qu'il composa pour l'édition de 1609 des Euvres de Ronsard, chez Buon, et qu'on retrouve, heureusement remaniée, dans l'édition de 1623:

A genous, poetes de France
Adorez l'immortelle voix
L'immortelle voix d'excellence

Du grand Homere des François...

Dans cette ode, la meilleure qu'il ait composée, la chaleur de son enthousiasme avait su donner à ses vers quelques mâles accents et un bel élan lyrique aux strophes. Malgré tout, ses tentatives n'eurent aucun succès; il ne put faire revivre l'ode pindarique. Comment aurait-il réussi, là où Ronsard avait échoué?

Garnier puisa d'ailleurs chez son maître de meilleures inspirations. En étudiant ses odes, il avait admiré avec quel génie Ronsard savait varier le rythme de ses strophes et l'adapter aux émotions qu'il voulait traduire, et il tenta d'acquérir à son tour cette variété et cette souplesse. Il n'y mit pas toujours beaucoup de discernement, mais il lui arrive de temps à autre de rencontrer de

1. Par exemple Isaac de Laffenas, qui avait fait précéder son premier ouvrage, L'umbre du Mignon de Fortune (1604), d'une ode pindarique au lecteur, et Du Mas, dont on trouve une ode pinda rique à M. de Châteauneuf dans ses Euvres meslées, à la suite de Lydie, fable champestre (1609).

2. Les royales couches, en l'honneur de S. M. la Royne et de Mgr le Dauphin, par Claude Garnier. Paris, Abel Langelier, 1604.

jolis effets, comme dans sa Muse infortunée', où la combinaison de l'alexandrin et du sixain donne aux vers une cadence plaintive, imitée sans doute de la Complainte de Glauque à Scylle, de Ronsard :

En Cour on n'aime plus

Ces vers ronsardisez, que l'on dit superflus
Et de la vieille guerre

Il faut que le bon mot se glisse dans les vers
Comme fait la chenille entre les rameaux vers
Et forcer la nature

Ou que tournant le dos à la veine des Grecs
On batte la mesure

Des chantres espagnols quand ils font leurs regrets.

Dans la plupart des odes de Garnier, on remarque ce même souci d'adaptation du rythme à la pensée, autant que le lui permettait un génie médiocre, mieux inspiré, toutefois, par le lyrisme de Ronsard que par sa poésie héroïque.

Ces efforts persistants pour continuer, sous toutes ses formes, l'œuvre de Ronsard furent, à n'en pas douter, encouragés par la reine Marguerite. Elle protégea Claude Garnier, qui lui dédie le Pourtraict de Mgr le Dauphin en son enfance3, et un de ses gentilshommes, Lescalopier de Brunel, recommande le poète au dauphin dans une pièce liminaire de l'Amour victorieux. Enfin, une dernière preuve de la sympathie que rencontrait le disciple de Ronsard à la cour de la reine Margot, c'est qu'en 1624, la reine étant morte, c'est un ancien gentilhomme de sa maison, M. de Belin, qu'il prend à témoin de la méchanceté du siècle :

O Belin! quels effects! en quel temps sommes-nous!
L'ignorance a la palme, elle a toute la gloire
Quand Ronsard reviendroit, il iroit au-dessous

1. La muse infortunée contre les froids amis du temps. A M. des Yveteaux, 1624.

2. En tête des Meslanges, à la suite de l'Amour victorieux.

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