Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

société propriétaire de ses œuvres a publié après sa mort sous le titre de Mémoires inédits. Dans cet ouvrage, dont la partie qui comprend la période de 1790 à 1815 a seule été achevée, l'imagination tient moins de place que dans les Confidences; les faits sont notés avec un souci d'exactitude d'autant plus remarquable qu'il n'a jamais été dans la vocation de l'auteur. C'est là que pour la première fois Lamartine se décide à faire connaître le lieu et la date de sa naissance : « Je suis né à Mâcon, jolie ville de la basse Bourgogne, en 1790'. »

Par un reste de cette faiblesse que Michelet reproche aux favoris des Muses, son aveu est incomplet, il garde pour lui le jour et le mois, comme s'il craignait d'en avoir trop dit.

N'étant pas tenu d'observer la même réserve, nous suppléerons ce qui manque en disant, avec un document indiscutable, avec l'acte de baptême qui existe à deux exemplaires, dont l'un est conservé aux archives de la ville, et dont l'autre est déposé au greffe du tribunal civil, que Lamartine est né à Mâcon le 21 octobre 1790 2.

Inscrit sur le registre de l'église de Saint-Pierre avec les prénoms d'Alphonse-Marie-Louis, il fut l'aîné d'une famille de huit enfants qui, lui excepté, appartenaient tous au sexe féminin.

Son père, Pierre de Lamartine, que l'on appelait le chevalier, parce qu'en raison de ses services, comme capitaine de cavalerie au régiment Dauphin, il avait obtenu la croix de chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, avait 38 ans lorsqu'il se maria, le 6 mars 1790, avec Françoise-Alix des Roys, qui en avait 24. Alphonse étant venu au monde le 21 octobre 1790, il en résulte que sa mère était accouchée à 7 mois et demi, avant le terme ordinaire des grossesses.

1. Mémoires inédits de Lamartine, 1881, in-12, p. 4.

2. Lex, Lamartine. Souvenirs et documents. Centenaire de sa naissance.

* **

Il a dû en coûter beaucoup à Lamartine de reconnaître qu'il était né à Mâcon. Car nous avons maintes preuves qu'il eût préféré naître à Milly, et que si la chose avait dépendu de lui, c'est là qu'il eût placé son berceau.

Telle était la force de cette préférence que dans plusieurs endroits de ses écrits il ne s'est fait aucun scrupule de lui donner le pas sur la vérité. Il faut citer d'abord l'harmonie intitulée : Milly ou la terre natale, ce cri du cœur jeté en face du plus beau spectacle de l'univers et qui a eu son retentissement dans tous les cœurs sensibles, cette évocation et ces regrets de l'humble village où s'écoula son heureuse enfance, et qui, tout pauvre qu'il est, éclipse à ses yeux les splendeurs sans rivales du golfe de Naples. Certains biographes, interprétant les mots d'après leur sens naturel, et peu familiers avec les réticences de la poésie, s'y sont trompés, et il y avait certes bien de quoi.

Ils auraient pu commettre une erreur du même genre en lisant ces deux vers dans lesquels, à quarante années de distance, Lamartine désignait le lieu où il souhaitait de jouir de l'éternel repos.

O forêt de Saint-Point! Oh! cachez bien ma cendre
Sous le chêne natal de mon obscur vallon!

Un simple mortel ne serait-il pas fondé à croire que Lamartine a voulu dire qu'il était né sous un chêne de la forêt de Saint-Point?

Le roi saint Louis rendait bien la justice, assis à l'ombre du chêne de Vincennes. Qu'y aurait-il de prodigieux à ce qu'un arbre de cette espèce eût été témoin de la naissance d'un poète ? Mais

cette hypothèse, que le mot natal rend des plus vraisemblables, doit, à la réflexion, céder la place à un sentiment plus juste de la réalité et du dictionnaire: natal est détourné de sa signification ordinaire et employé pour natif qui, on en conviendra, eût fait une assez triste figure dans l'alexandrin de Lamartine, et qui en eût effacé l'harmonie à laquelle il tenait plus qu'à l'exactitude

même.

*

L'inexactitude voulue qui apparaît dans l'harmonie de Milly ou la terre natale se retrouve avec non moins de précision dans une autre pièce parue à une date postérieure, et dont voici la genèse. Devenu célèbre du jour au lendemain de la publication des Méditations, Lamartine était inondé des premiers rayons de la gloire qui, au dire de Vauvenargues, ne le cèdent en douceur qu'aux premiers rayons de l'aurore. On le recherchait, on l'adulait, on brûlait pour lui l'encens des éloges hyperboliques. Mais tout cela ne le captiva pas longtemps. Sa vocation l'emportait vers les libres horizons et le plein air de la montagne. De même que les féeries de la mer napolitaine ne l'avaient pas empêché de soupirer après son village de Milly d'une simplicité voisine de l'indigence, de même les séductions accumulées de la capitale ne purent l'étourdir au point de le rendre infidèle à ses pénates champêtres. Et le voici qui, cédant à un accès de nostalgie irrésistible, fait faux bond à ses admirateurs des deux sexes, dont les plus fervents n'étaient pas du côté de la barbe, et laissant là toutes les ambitions écloses au souffle de la renommée, il songe au vallon paternel, et, sûr d'être entendu de lui malgré la distance, il lui annonce son prochain retour en termes attendris :

[ocr errors]

Oui, je reviens à toi, berceau de mon enfance,
Embrasser pour jamais tes foyers protecteurs!

Je suis né parmi les pasteurs !

La vérité m'oblige à déclarer que le mot pasteur, pris à la lettre, constitue une nouvelle inexactitude et ne se trouve ici que pour la rime. La population de Milly se compose presque exclusivement de vignerons au service d'un maître avec lequel ils partagent par moitié les produits de la terre; chaque ménage y possède une ou deux têtes de bétail, autant de chèvres, et par exception quelques moutons. Ces embryons de troupeaux vont paître sur les communaux du Craz où ils sont conduits par les enfants qui apprennent l'état de bergers dès leur premier âge. Quoiqu'il n'eût aucun troupeau à conduire, le jeune Alphonse se mêlait à eux, les traitant comme ses égaux, ne donnant aucun signe de fierté; montrant déjà le philanthrope prodigue qu'il serait plus tard, il se mêlait à eux et les accompagnait dans leurs courses à travers la montagne. Il ne paraît pas que sa mère, pourtant si attentive, d'une sollicitude si constamment éveillée, lui ait jamais interdit d'y prendre part. Cela tient évidemment à ce qu'elle le considérait à la fois comme un jeu bienfaisant et comme un moyen hygiénique de fortifier les muscles de son cher garçon. Ces petits pâtres en sabots étaient loin de ressembler aux bergers de Théocrite et de Virgile, ils ressemblaient encore moins aux pasteurs des temps bibliques, mais le mot était nécessaire pour terminer l'hémistiche et rimer avec protecteurs. Il avait, en outre, l'avantage de faire passer devant les regards du poète une image de cet Orient qu'il aimait tant, où l'on voit défiler les longues caravanes projetant leur maigres silhouettes sur l'immensité sablonneuse du désert qui semble se confondre avec l'immensité du ciel.

*

Les manifestations en prose que je vais passer en revue après les manifestations en vers sont très formelles, et ne peuvent laisser place au moindre doute.

On lit dans les Confidences, à la page 69 : « Le village obscur où le ciel m'avait fait naître, et où la Révolution et la pauvreté avaient confiné mon père et ma mère, n'avait rien qui pût marquer ni décorer la place de l'humble berceau d'un peintre ou d'un contemplateur de l'oeuvre de Dieu 1. »

Quelques pages plus loin, après avoir fait la description de son <«< obscur village », avec une profusion de détails où l'on sent vivre la reconnaissance infinie du cœur, il dit : « Voilà l'Éden où je me réfugie quand je veux retrouver un peu de cette rosée du matin de la vie, et un peu de cette lumière colorée de la première heure, qui ne brille pure et rayonnante pour l'homme que sur ces premiers sites de son berceau 2. »

Berceau est décisif, et si un biographe en a induit, comme cela est arrivé, je crois, que Lamartine est né à Milly, c'est le biographe qui a eu raison contre l'auteur des Confidences.

Dans le Cours familier de littérature dont la publication a commencé en 1855, en deux livraisons mensuelles, il y a un chapitre ayant pour titre les Premières années, qui débute par ce passage souvent reproduit :

« La contrée où je suis né, bien qu'elle soit voisine du cours de la Saône, où se réfléchissent d'un côté les Alpes lointaines, de l'autre des villes opulentes et les plus riants villages de France, est aride et triste. » Cette contrée, vous la connaissez tous, c'est

1. Confidences, 1862, in-12.

2. Id., p. 76.

« VorigeDoorgaan »