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dépouillant des attributs sacrés de la légitimité conjugale pour les abaisser au niveau des amants d'aventure. Le mot amants est en toutes lettres dans les Confidences, je ne l'invente pas. Comment la plume de Lamartine ne s'est-elle pas brisée avant de le tracer?

A-t-il éprouvé un repentir tardif de ce crime de lèse-maternité? On serait presque tenté de le croire en lisant les premières pages du livre intitulé: le Manuscrit de ma mère, où il a reproduit en guise d'introduction tout ce qu'il avait raconté dans les Confidences au sujet de l'arrestation de son père et des incidents qui ont marqué la durée de sa captivité. Il a eu soin, toutefois, de retrancher celui de la corde à nœuds, soit que le passage rappelé plus haut du journal maternel lui eût fait comprendre la nécessité d'opérer cette amputation, soit que son imagination s'étant refroidie, il n'eût pas retrouvé à ce moment la désinvolture qu'il lui avait fallu pour lancer cet énorme racontar dans la circulation des excentricités littéraires.

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Puisque nous sommes en train de contrôler la véracité de Lamartine et de faire le procès à la folle de son logis, je veux encore lui demander compte d'une assertion qui se trouve à la page 41 de ses Confidences: « Ma mère, qui me nourrissait alors, fut laissée seule dans l'hôtel de mon grand-père, sous la surveillance de quelques soldats de l'armée révolutionnaire. »

La Terreur a commencé le 31 mai 1793, après l'exécution des Girondins, et a pris fin le 27 juillet 1794, à la chute de Robespierre. Lamartine étant né le 21 octobre 1790 avait par conséquent 2 ans 6 mois et 20 jours au commencement de la Terreur. Ce simple rapprochement de date suffit à démontrer que sa mère ne le nourrissait plus depuis longtemps. N'insistons pas.

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Nouvelle assertion extraordinaire à la page 4 des Mémoires inédits « Je suis né en pleine Révolution française, temps de passion, de folie, de fureur des partis. Mes plus anciens souvenirs me reportent à un père emprisonné, à une mère captive dans sa maison solitaire, sous la garde de l'armée révolutionnaire; aux chants de la Marseillaise et du Ça ira dans les rues, répondant aux angoisses des familles; aux coups sourds de l'instrument du supplice sur nos places publiques; à la marche des soldats effarés sur nos routes. Je chantais moi-même ce que j'entendais chanter, écho inintelligent du monde où je venais de naître en pleurant et en souriant à la fois. »

De ce passage combiné avec le précédent, il ressort que les premiers souvenirs de Lamartine remontaient à l'époque où sa mère le nourrissait, et que cette époque était contemporaine des excès sanglants auxquels s'abandonnait la Révolution en délire. Or, il n'avait alors que 2 ans et demi, et si cet âge est trop avancé pour qu'un enfant ait encore besoin d'être allaité par sa mère, il ne l'est point assez pour que chez le même enfant la faculté de la mémoire ait eu le temps de parvenir à son entier développement. Soyons donc bien certains que Lamartine, eût-il été cent fois plus intelligent et mieux doué qu'il ne l'était, eûtil été pour la précocité un émule de Pic de la Mirandole, n'a pu conserver le moindre souvenir de ce qui s'est passé à Mâcon sous la Terreur, et que la prétention contraire de sa part provient de l'indifférence dédaigneuse qu'il a toujours montrée à l'égard des dates, et aussi de la tendance plus forte que sa volonté qui le portait, malgré tout, à s'identifier avec les événements dont il se faisait l'historien.

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Pour établir que la petite maison de la rue des Ursulines n'est pas la maison natale, nous avons autre chose que les impossibilités, les invraisemblances morales et les graves présomptions dont l'examen nous a retenus jusqu'à présent; nous avons des faits positifs, des documents probants, puis, comme couronnement de la démonstration, la déclaration formelle de Lamartine se rectifiant lui-même et retrouvant l'exactitude du biographe, quand il n'est plus le jouet de son imagination.

Voici comment il s'exprime dans les Confidences, p. 42, au sujet de la maison de la rue des Ursulines : « Sur les derrières de l'hôtel de mon grand-père, il y avait une petite maison basse et sombre qui communiquait avec la grande maison par un couloir obscur et par de petites cours étroites et humides comme des puits. Cette maison servait à loger d'anciens domestiques retirés du service de mon grand-père, mais qui tenaient encore à la famille par de petites pensions qu'ils continuaient de recevoir, et par quelques services d'obligeance qu'ils rendaient de temps en temps à leurs anciens maîtres; des espèces d'affranchis romains, comme chaque famille a le bonheur d'en conserver. »>

Ainsi, d'après ce passage des Confidences, la petite maison de la rue des Ursulines était une sorte de refuge et de Prytanée pour les domestiques en retraite. Aucun membre de la famille Lamartine n'y logeait à l'époque de la Révolution.

Cette famille était fort nombreuse. Outre le grand-père déjà nommé, vieillard âgé de plus de 80 ans, et la grand❜mère presque aussi âgée que lui, elle comptait six enfants, dont trois fils, qui, par ordre de naissance, étaient : François-Louis de Lamartine, l'aîné; l'abbé de Lamartine, et Pierre de Lamartine, le père de notre poète.

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Les trois filles étaient Mile Eugénie de Lamartine, Mm Marie-Suzanne de Lamartine du Villars, chanoinesse comtesse du chapitre de Saint-Martin-de-Salles en Beaujolais, et Mlle Sophie de Lamartine, connue sous le nom de Mme de Monceau.

Il y avait de plus une vieille tante, sœur du grand-père, qu'on appelait Mme de Luzy, et qui avait été 30 ans supérieure des Ursulines.

Quand la Révolution décréta la loi des suspects et entra dans la période rouge, toute la famille, sans distinction d'âge ni de sexe, fut arrachée de l'hôtel et transportée dans la prison d'Autun. Il y eut cependant une exception pour le chevalier qui fut incarcéré à Mâcon. Puis, autre exception, qui celle-là était une faveur, la jeune femme du chevalier, Mme de Lamartine, fut laissée seule dans l'hôtel, sous la surveillance de quelques soldats de l'armée révolutionnaire.

Voilà ce qui nous est révélé par les Confidences. D'où une conclusion importante: c'est que Lamartine père ainsi que sa jeune femme habitaient l'hôtel, autrement dit la grande maison, et que c'est dans l'hôtel que la Terreur est venue les chercher pour conduire l'un en captivité et pour faire à l'autre la grâce imprévue de la laisser en liberté.

La Révolution avait un système qu'elle appliquait avec un esprit de suite remarquable et qui consistait à s'emparer des biens, après s'être assurée des personnes. L'hôtel fut donc mis sous le séquestre, lisons-nous à la page 42 des Confidences, et Lamartine ajoute qu'alors sa mère se retira seule, avec une femme ou deux, dans la petite maison qui est actuellement le n° 18 de la rue des Ursulines.

Elle se retira dans cette maison, non parce que c'était sa maison, mais parce que l'hôtel ayant été placé sous séquestre, elle ne pouvait y demeurer.

Un autre attrait l'y attirait encore, dit le narrateur des Confidences c'était le voisinage de la prison où était enfermé son mari. A la bonne heure! voilà le fait qui correspond à un sentiment très naturel et très pur. Lamartine a voulu le rehausser en le décorant de détails romanesques; il n'a réussi, suivant moi, qu'à lui ôter le cachet de simplicité qui convient à la vérité.

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A nous en tenir aux Confidences, il est donc bien certain que la maison natale n'est pas celle de la rue des Ursulines.

Avec le livre posthume intitulé: Mémoires inédits, cette certitude va d'abord recevoir un choc dont elle se remettra d'ailleurs très vite.

A la page 9 déjà citée, Lamartine nous fournit, aussi exactement qu'il est en son pouvoir de le faire, des détails concernant son grand-père, sa fortune et ses enfants qui étaient au nombre de six, comme je l'ai dit précédemment. Arrivant au troisième, qui était son père, voici comment il s'exprime : « Le troisième était le chevalier de Lamartine, mon père, sorti récemment de prison, marié depuis trois ans et à qui mon grand-père avait donné, pour y loger sa femme et ses enfants, une petite maison attenant au grand Hôtel de famille avec lequel elle communiquait par un long couloir. »

Cette donation n'a jamais existé que dans l'imagination de Lamartine, comme il est facile de s'en convaincre en se reportant à la page 15 des Mémoires inédits. Le grand-père est mort, Lamartine ne nous dit pas en quelle année; avec lui il ne faut

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