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lui faisait désirer ce voyage, c'est qu'il était sur le point de devenir doyen des cardinaux. « Il n'y en a plus que trois devant lui qui sont fort vieux et fort incommodés, et il faut être à Rome pour être doyen '. » Le doyen du Sacré Collège jouissait de grands honneurs et de prérogatives fort enviés. C'était lui qui consacrait le Pape nouvellement élu. C'était lui qui avait l'administration de l'Église pendant que le Saint-Siège était vacant.

Comme le cardinal de Janson, le cardinal de Bouillon eut le titre de chargé des affaires, seul titre que portassent les cardinaux envoyés à Rome, pendant l'absence d'un ambassadeur ou pour le seconder. Il reçut « une gratification annuelle de 36.000 livres et 24.000 livres pour son ameublement ». Il devait partir à la fin du mois de janvier 3. Mais nous l'avons vu à Cluny présent au chapitre qui nomma son neveu coadjuteur à la fin d'avril. Il ne s'était donc mis en route qu'à ce moment et s'était arrêté à son abbaye. De là il continue sa route, atteint Marseille le 28 mai, s'embarque et arrive à Rome, souffrant de la fièvre, le 3 juin 1697.

1. Dangeau, t. VI, p. 50, l. c., 21 janvier 1697.

2. Note de Boislisle, Mémoires de Saint-Simon, t. IV, p. 75.

3. Dangeau dit, t. VI, p. 60, 21 janvier 1897 : « M. le cardinal de Bouillon s'en va à Rome à la fin du mois. »

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CHAPITRE IV

Fénelon.

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L'AFFAIRE DES MAXIMES DES SAINTS

Le cardinal et Fénelon. Fénelon et Mme de Maintenon.
Le livre des Maximes des Saints.

Mme Guyon. L'évêque de Chartres.

et les Maximes des Saints.
princesse des Ursins.

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Bossuet et Fénelon. Appel au Pape. Attitude du Roi. Ses lettres au cardinal. Ses violences envers Fénelon. La congrégation Attitude du cardinal. Le cardinal et la Alarmes des parents du cardinal. Cabale de Opinion de Madame. — Redoublement de la querelle de Bossuet et de Fénelon. - Lettres du Roi au cardinal. — Lettres du cardinal au Roi. Le cardinal relevé de ses fonctions de chargé des affaires. Injonctions du Roi. Condamnation du livre des Maximes des Saints. Belle conduite du duc de Beauvilliers. Soumission de

Mme de Maintenon.

Fénelon.
Omer.

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Les évêques juges de Fénelon. Bassesse de M. de SaintMort du duc de Bourgogne.

Le 6 août 1651, au château de Sainte-Mondane, sur les bords. de la Dordogne, à quelques kilomètres de Turenne, naît Fénelon, à l'ombre, pour ainsi dire, du vieux donjon, car la vicomté de Turenne confine au pays fénelonien. Il passe toute son enfance auprès de son berceau, dans une contrée pastorale, arcadienne, qui parle à son imagination et développe chez lui le sentiment de la nature. A 12 ans, mis au collège de Cahors, il en sort pour entrer, quelques années après, à celui du Plessis, chez les Jésuites, à Paris. Il y reste jusqu'à 24 ans. A ce moment, il est placé à Saint-Sulpice, sous la direction de l'abbé Tronson, qui lui inspire cet amour pour ses semblables, cette charité, cet enthousiasme qui le poussent à vouloir se consacrer aux missions du

Levant, arracher la Grèce, la Grèce de ses souvenirs classiques, au joug des infidèles, lorsque, heureusement, l'archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, qui pense, fort justement, qu'il est possible d'utiliser ce beau zèle en lui donnant un aliment, un débouché moins lointain et plus pratique, le nomme supérieur des Nouvelles catholiques, communauté qui a pour objet de faire des prosélytes et d'affermir les conversions récentes. Le Roi luimême s'est fait le promoteur de cette œuvre pie et autour de lui, bien vite, se sont groupés divers personnages importants et bien pensants, parmi lesquels Turenne, qui vient d'abjurer. On sait l'attachement de l'archevêque pour celui qu'il a voulu faire son coadjuteur; on sait l'affection toujours agissante de Turenne pour son neveu. Aussi, grâce à ces deux intermédiaires, les relations s'établissent-elles aisément entre le cardinal de Bouillon et l'abbé de Fénelon. La connaissance faite, la sympathie va naître. Quoi d'étonnant? N'ont-ils pas le même berceau, les mêmes goûts, les mêmes inclinations pour les belles-lettres et surtout pour la littérature grecque et latine? Il n'est pas jusqu'à leur caractère qui n'ait des points de ressemblance. Issus tous deux de grande famille féodale (Fénelon, d'une maison moins illustre que celle du cardinal, est alliée pourtant aux La Trémoïlle, aux Montmorency, aux Talleyrand-Périgord), tous deux, ils ont la fierté, l'orgueil de la race et l'esprit d'indépendance qu'ont fomentés chez les nobles les troubles de la Fronde. A la sympathie mutuelle succède bientôt une véritable et sincère affection qui jamais ne se démentit. Cette affection a sa base dans la considération qu'ils ont l'un pour l'autre. « Je l'aime pour le moins autant que vous pourriez l'aimer, disait le cardinal à l'abbé de Chanterac, et je l'estime plus que je n'ai jamais estimé personne dans l'Église. De la part de Fénelon, le sentiment est le même. Ils ont plaisir à être ensemble et ils cherchent les occasions de se ren

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contrer. C'est chez le duc de Beauvilliers et chez le duc de Chevreuse, tous deux amis du cardinal, et qui viennent de faire l'abbé de Fénelon précepteur des enfants de France, qu'ils se voient le plus souvent. L'abbé y trouve, un jour, Mme de Maintenon : << Celle-cy disnait une fois touttes les semaines avec eux (les deux ducs et leurs femmes), en cinquième, porte clause, la clochette sur la table, en leur maison de la ville, pour estre plus en repos. Fénelon ne fut pas longtemps sans estre admis en sixième à ces mystérieux repas '. » Nature rêveuse et tendre en même temps que « esprit coquet qui, depuis les personnes les plus puissantes jusqu'à l'ouvrier et au laquais, cherchait à être goûté et voulait plaire 2,» il ne tarde pas à charmer la veuve de Scarron, qui incline, dans ce moment, à quelque sentimentalité et au besoin de se réfugier, de s'abandonner en Dieu, par la douceur, la délicatesse de ses entretiens. « Sa spiritualité l'enchanta. >> L'abbé se sent attiré vers les mystiques, dont la vertu tranquille et sereine, dont l'amour de Dieu, sans crainte du châtiment, sans espérance des récompenses, mais désintéressé et souverainement pur, plaisent à son cœur et le remplissent d'une joie intime et infinie. Dans cet état d'âme, il rencontre Mme Guyon. « Leur sublime s'amalgama 3. » Il la présente au petit troupeau ». Tout de suite, elle en est l'âme. « La douceur d'ange était sur son visage, dit Michelet, et le cœur fondait à la regarder. » Le duc de Chevreuse est plus ému que tout autre au contact de cette troublante prosélyte : « Ne sentez-vous pas, disait-il, qu'on ne peut être assis près d'elle sans éprouver d'étranges mouvements?» Mme de Maintenon est ravie de sa nouvelle amie. Son humilité, son maintien réservé la touchent et la gagnent. Elle la

((

1. Écrits inédits de Saint-Simon, publiés par Faugère, 1. c., t. IV, Mélanges,

P. 452.

2. Mémoires de Saint-Simon, édition Boislisle, I. c., t. II, p. 340. 3. Id., t. II, p. 341.

fait venir deux fois à Saint-Cyr, l'y fait coucher un soir, puis enfin l'y installe. Y eut-il, en ce temps-là de grande intimité avec la dispensatrice des faveurs, intrigue de la part de l'abbé de Fénelon, qui se serait promis des bonnes dispositions à son égard de la femme toute puissante plus que de la spiritualité? Y eut-il intrigue aussi de la part du cardinal de Bouillon, qui aurait persuadé, en haut lieu, de concert avec les deux ducs, que personne n'était plus propre que lui à être chargé des affaires à Rome et qu'il était de toute justice que son neveu fût nommé son coadjuteur à Cluny? Nous ne savons; mais ce qui est certain c'est que Fénelon fut promu, peu après, à l'archevêché de Cambrai1, ce qui eût satisfait pleinement « le petit troupeau », si l'on n'avait pensé à l'archevêché de Paris, pour l'avoir plus près de soi; que le cardinal de Bouillon fut envoyé à Rome, et qu'en chemin. pour cette destination, il installa son neveu à la coadjutorerie de Cluny si désirée.

Mais l'archevêque de Cambrai et le cardinal laissent derrière eux des ennemis et, parmi eux, le plus dangereux, le diocésain de Saint-Cyr, le directeur unique, l'évêque de Chartres, Godet des Marets, qui semble peu à craindre et dont « l'extérieur de cuistre rassurait, » mais qui va saper, de ses mains rustaudes, le séraphique édifice qu'on s'est plu à édifier. Bien vite, il fait naître des scrupules chez sa paroissienne, évente le petit coin. intime où se cachent ses velléités de rêve et de mysticisme et la rappelle brutalement à ses devoirs et à la charge d'âmes qui lui sont confiées. Cette nouvelle doctrine, qui consiste à s'anéantir, à absorber sa personnalité dans l'amour divin, qui fait consister la vie, la joie de l'âme à ne vouloir rien, à ne désirer rien, profitable ou tout au moins inoffensive à des cœurs bien trempés,

1. L'archevêque de Cambrai jouissait d'un revenu de 100.000 livres et avait droit au titre de duc.

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