Hiersemann JOURNAL DES SAVANTS. JANVIER 1833. Lai d'Ignaurès, en vers du XII° siècle, par Renaut; suivi des Du Baro mors et vis; li Molnier de Nemox; li Neps del pastur, LES publications des monuments de notre ancienne littérature se qui font une suite heureuse aux lais de Marie de France, publiés par M. de Roquefort, et aux collections de feu M. Méon. Les éditeurs regardent le lai d'Ignaurès comme une production du XII siecle on y trouve le nom du trouvère Renaut, sur lequel on n'a pu se procurer encore aucun renseignement; quant à l'époque de la composition, les derniers vers du lai disent: C'est la matère de cel lay; Ici le vous definerai (*): (*) terminerai. L'apielent le lay del prison; et on a conclu de ce passage que la distinction des Poitevins et des Français permet de croire qu'au temps où le trouvère écrivait, le comte de Poitiers était encore un des grands vassaux de la couronne, puisque ce ne fut qu'en 1205 que Philippe-Auguste réunit définitivement le comté de Poitou à la couronne, en exécution de l'arrêt de la cour des pairs qui en avait prononcé la confiscation contre Jean-sans-Terre. Ce n'est là qu'une forte conjecture, que Legrand d'Aussi avait déjà fait valoir lorsqu'il donna en prose une analyse de ce lai, dans ses fabliaux, tom. III, page 365, sous le titre de lai du prisonnier ou d'Ignaurès. Ignaurès était un chevalier breton, de grand mérite et de grande renommée; au premier jour de mai, il se levait de bon matin, allait dans la forêt, avec cinq jongleurs et des instruments de musique, et apportait le mai; il aimait beaucoup de dames qui l'appelaient le rossignol. Il y avait au château de Wriol douze pairs: Il n'était Chevalier erent preu et sage, Riche erent de terre et de rente; De haut lignage, de grant gent; A toutes XII s'acointa. pas riche, et cependant il faisait grande dépense : Molt demainne cortoise vie, Et quant-tornoi estoient pris, Son bonheur se prolongea pendant une année, mais un jour de fête que S'en alerent par aventure Les grans dames esbanoier (") (*) se divertir. imaginant un singulier genre d'amusement, elles convinrent qu'une d'elles, remplissant les fonctions de confesseur, entendrait les aveux des onze autres, et que chacune, à son tour, nommerait son amant. La première, Affublée d'un mantiel gris, Au prestre vint, se fist 1 ris. Que querés vous, ce dist li maistres? Quant ele ot que son dru noma. Les dix autres dames arrivent successivement à confesse; toutes déclarent aimer le chevalier le plus digne, et ce chevalier, c'est toujours Ignaurès. Quand la confession franche et sincère de toutes ces onze dames est achevée, elles sont étrangement surprises et fortement courroucées d'avoir eu à faire la même confidence, en nommant chacune le même amant, et celle qui a reçu leurs aveux déclare à son tour qu'il est aussi le sien. Elles ne parlent plus d'amour, mais de vengeance. Une d'elles invite Ignaurès à se trouver le dimanche suivant dans le même jardin où s'étaient faites les confessions. Toutes y sont déjà venues, Bien garnies de bons coutiaus K'eles orent sous les mantiaus. Quand il y est arrivé, et que la porte a été fermée à clef, elles l'entourent, l'interpellent sur sa fourberie; il se défend en soutenant avec audace qu'il ressent pour chacune d'elles un vif et véritable amour. Elles lui imposent la condition de se réduire à une. Fai mon commant, ce dist li prestre, U tu morras jà, par ma teste: Mais li vostre amors m'atalente (*). (*) plaît. Les autres furent sans doute affligées, car on verra bientôt qu'elles l'aimaient encore véritablement, mais elles déclarèrent le tenir quitte. Cependant on remarqua bientôt son assiduité auprès de la dame son unique maîtresse. Le trouvère dit à cette occasion: Soris qui n'a qu'un trau poi dure. Il fut dénoncé par un malveillant, El chastiel ot 1 losengier, Molt losengier et molt cruel; qui, un jour que les douze pairs étaient réunis en un festin, leur fit confidence de leur mésaventure commune. D'un seul homme estes tous hurhot. Les infortunés furent assez curieux pour demander le nom de l'auteur de leur honte; le dénonciateur prononça celui d'Ignaurès. Alors les pairs jurent de se venger, et comme l'amant se rendait souvent chez la dame à laquelle il avait été réduit en renonçant aux onze rivales, le trouvère répète le proverbe : La soris ki n'a c'un pertuis Est molt tost prise et enganée. Il fut surpris en flagrant délit par le mari, et soudain jeté dans une prison. La dame se hâta de faire connaître aux autres intéressées l'extrême péril d'Ignaurès. Elle disait par son message : Ensi con joie en ot chascune, Au message creantet ont |