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convaincus que l'homme est faible dans la solitude, que ses facultés intellectuelles s'y dégradent et s'y éteignent; si chacun de nous réfléchissait que ce qu'il retranche à la vie commune, il se le retranche doublement à lui-même; si chacun de nous songeait que la force et la pensée publiques ne reposent que sur la force et la pensée particulières, sans doute alors le monde changerait de face et l'ordre renaîtrait là où nous ne voyons plus que le chaos. Tous sentiraient alors qu'ils doivent être jugés par tous, et la vérité jaillirait éclatante de ce jugement universel. Comptables envers tous, artistes, poètes et philosophes, tous comprendraient mieux la sainteté de leur mission et ne se contenteraient plus des applaudissements éphémères de quelques panégyristes ignorants, prévenus ou stipendiés. Le monde n'accepterait plus comme des oracles les scandaleux arrêts d'une critique vénale, et les ténèbres les plus épaisses se dissiperaient au flambeau d'un examen désintéressé. Sans doute la discussion s'éveillerait impétueuse et passionnée; sans doute bien des doctrines, bien des systèmes resteraient épars et gisants sur ce vaste champ de bataille, et malheur à l'œuvre informe et débile qui viendrait s'aventurer dans cette ardente mêlée; mais pour les doctrines pleines de vie, pour ces croyances auxquelles appartiendra l'avenir, les plus rudes assauts valent mille fois mieux que notre inerte silence, et le combat n'est pour elles qu'un moyen de hâter leur triomphe. Si sûre et si puissante que soit la raison d'un homme, elle a toujours besoin que la raison commune la fortifie et lui garantisse qu'elle ne s'égare pas la raison de tous, Messieurs, c'est ce sol natal que la raison de chacun a besoin de toucher à chaque instant pour se relever quand elle est vaincue, pour étendre plus loin ses conquêtes lorsqu'elle est victorieuse.

Certes, Messieurs, la liberté ne nous manque pas; c'est plutôt nous qui manquons à la liberté. Toutes les opinions peuvent se produire, mais combien peu sont soumises à une discussion impartiale et sérieuse, à un examen approfondi

qui les renverse ou qui les consolide! Faibles et pusillanimes, nous aimons mieux tout croire que de rien discuter, tout absoudre que de rien condamner. Nous accueillons, nous acceptons tous les dogmes, même les plus contraires, comme nous acceptons toutes les renommées que le caprice du jour nous impose; et nos intelligences énervées se prêtent à ces singulières transactions avec une déplorable facilité. Oui, si la foi consistait uniquement à tout croire et à tout admettre, qui pourrait dire que jamais aucun siècle ait eu plus de foi que le nôtre? On nous voit sans cesse abjurer nos opinions ou du moins les sacrifier de bonne grâce; et cela, non pas même par intérêt ni bassesse, mais parce qu'au fond nous n'en avons point de vraies ni de solides, parce que nous ne trouvons point assez généralement autour de nous quelquesunes de ces convictions profondément enracinées auxquelles nous aurions pu nous rattacher. Si de semblables compositions font honneur à notre tolérance, à l'adoucissement général des mœurs publiques, il faut bien reconnaître aussi qu'elles ne peuvent se consommer qu'aux dépens de l'énergie des caractères et de la dignité des intelligences.

Ainsi, Messieurs, à cette faiblesse qui nous énerve, opposons partout l'activité qui vivifie; à cette division qui paralyse les tentatives isolées, opposons partout cette union qui fait la force et assure le succès: chaque ouvrier a sa place marquée dans cette œuvre immense, et c'est à ce prix seulement que nous pouvons conjurer de nouveaux orages.

Au reste, si les paroles que je viens de prononcer avaient besoin d'une confirmation nouvelle, il vous suffirait de jeter les yeux sur la Société que vous avez fondée, sur les résultats que vous avez obtenus et qui vous en présagent de plus grands et de plus précieux pour l'avenir. Dans ce continuel échange de nos travaux et de nos pensées, dites si chacun de nous n'a pas reçu cent fois au-delà de ce qu'il avait donné. Et pourtant nous ne sommes que d'hier; et le temps, qui mûrit tout, ne nous a pas encore revêtus de cette consécra

tion que lui seul peut imprimer. Enfin, Messieurs, celui qui parle devant vous pourrait lui-même se citer comme exemple, et cet exemple ne serait pas le moins convaincant. Si je suis appelé à porter la parole dans cette circonstance solennelle et devant un auditoire inaccoutumé, si vous m'avez écouté avec un bienveillant intérêt, ce n'est point à moi que je le dois, ni même aux pensées dont je ne suis que le faible interprète; je le dois aux fonctions dont votre confiance m'a prématurément honoré, mais dont votre concours m'a rendu l'exercice si doux et si facile. Heureux de pouvoir les déposer bientôt entre les mains d'un collègue que le Louvre voit tous les ans conquérir une palme nouvelle et rehausser ses titres anciens par des titres plus éclatants encore. J'exprimais l'année dernière l'espérance qu'après m'avoir élevé, vous n'abandonneriez point votre ouvrage : le compte que M. le Secrétaire perpétuel va vous rendre de vos travaux, vous prouvera que mon espérance n'a point été trompée. Oui, vous avez montré, et vous ne sauriez mieux acquitter votre dette envers mes honorables devanciers qu'en le proclamant bien haut, vous avez montré que désormais l'existence de la Société ne repose plus uniquement sur les hommes que vous appelez tour à tour à diriger ses travaux; vous avez montré qu'elle vit d'une existence qui lui est propre, et qu'elle donne aux plus humbles et aux plus faibles plus de force qu'elle n'en peut recevoir elle-même des plus capables et des plus éminents.

Encore quelques paroles, Messieurs, mais si je ne les disais pas, je trahirais mon devoir et vous auriez le droit de m'accuser de ne point être l'interprète de vos sentiments. Qu'il me soit permis de payer le tribut de notre souvenir et de nos regrets à deux membres que la mort vient de nous ravir avant le temps, et dont les noms figuraient parmi ceux de vos fondateurs '. Qu'il me soit permis de nous féliciter en

1

M. Maniaque, décédé le 14 février 1842; et M. le docteur Maurin, décédé le 18 du même mois.

voyant reparaître dans cette enceinte, après deux mois qui nous ont semblé bien longs, le vénérable collègue qui compte ici tant d'amis, et dont la présence aujourd'hui nous cause une joie si douce et si pure. Puisse le ciel nous conserver, pendant bien des années encore, des jours que la Société tient à bon droit si précieux pour elle !

ERRATUM.

Page 12, ligne 3; au lieu de tant de serments, lisez,

tant de ferments.

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LA douce habitude que vous m'avez faite de votre bienveillant accueil, peut seule m'encourager, après les deux discours que vous venez d'entendre, dans l'accomplissement d'un devoir imposé à votre secrétaire, celui de vous rappeler vos travaux de l'année et de montrer à l'auditoire distingué que vous convoquez à votre fête de famille, le tableau succinct au moins de ce que vous avez fait depuis un an.

Ce procès-verbal général pourra se diviser, suivant la nature de vos travaux, en Philosophie et Morale,· Histoire et Archéologie,-Législation, -Statistique,- Economie politique et Science sociale, Littérature, Arts.

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Beaux

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