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l'on me permet une expression des plus familières, est traité en enfant gâté. Dieu son père lui donne tout, lui amène en face tout ce qu'il lui donne, et il n'a qu'à prendre possession de cette grande famille de tous les animaux, sans se déranger. Eh bien, Adam fait ce qui lui est dit; il appelle, il crie les noms qu'il donne à tous les animaux qui peuplent les cieux, la terre et les eaux; mais il ne s'en trouve pas plus avancé et il n'en témoigne aucune joie. Il a bien vu tous ce êtres vivants, mais il n'a rien senti et (ici est le nœud-même de l'idée qui nous occupe), il n'y a pas trouvé l'aide suivant sa nature la metsa azar chanougeddou! Cette courte réflexion du narrateur ne laisse aucun doute sur son intention.

Adam ne sait pas ce qu'il lui manque, mais il sent un vide; il se sent incomplet et n'est pas heureux; il ne sait pas s'il y a autre chose, mais il n'est pas heureux. C'est alors que Dieu, qui a créé (au chapitre précédent) l'homme måle et femelle zachar ounouqoubé, parlant de lui au pluriel, aussitôt qu'il l'a créé; Dieu, qui l'a fait double dans sa pensée, le moment étant venu, crée aussi la femme aché, la tirant d'Adam lui-même qu'il avait formé de la poussière de la terre haphar men eadamé, et il la lui amène, comme il lui a tout-à-l'heure amené les animaux ouibiaaé al éadam. C'est le même verbe, et, cette fois, le mot est dans le texte zath éphham, pour bien préciser le nouveau moment, ah cette fois il a senti vibrer toutes les fibres de son cœur. A cette révélation inattendue, que la revue des animaux n'avait pas fait pressentir, il s'écrie aussitôt : ossa ex ossibus meis... hatsim mhatsimi, oubéchir mébéchiri, expression la plus énergique, la plus saisissante qu'il soit possible d'imaginer, si elle est vraiment imaginable. Nous voilà

loin des transpositions de copiste, en présence de cette scène si pathétique!

Si maintenant nous supposons que la femme eût été amenée, donnée au premier homme aussitôt après la réflexion sur sa solitude, quelle différence dans le sentiment qu'il eût éprouvé ! n'ayant pas comparé, n'ayant pas eu cette étrange déception de sentir un vide qui l'empêche d'être heureux, et cela dans cette grande revue de tous les êtres créés, en présence de Dieu qui semblait occupé de son bonheur ! qui daigne l'écouter et accepter tous les noms qu'il lui plaît de faire entendre !

Il eût été heureux, sans doute, de voir et de posséder cette nouvelle créature, faite pour lui; mais il n'aurait pas éprouvé cet étonnement divin; ce cri n'aurait pas éclaté sur ses lèvres; il n'aurait pas compris entièrement toute la bonté de Dieu et tout son bonheur. Le voilà donc uni, pour ne plus faire qu'un, avec cette femme, qui se trouvait virtuellement créée avec lui (chap. I, v. 27), betsilam Aleim bera athou zachar ounouqoubé béra athem, où lui et eux se trouvent employés sans interruption ni transition au sujet d'Adam. - Le voilà enfin uni à cette femme qui est ici en chair et en os, et cela concorde parfaitement avec la puissante exclamation que sa vue vient d'arracher à Adam; il ne doit plus faire qu'un avec elle, et ils seront en une seule chair oueiou labéchir aèd, ce qui rattache cette conclusion au premier verset où il s'agit d'Adam, comme seul.

Ces deux moments sont donc séparés, comme il était aussi bon que beau, par la revue des âmes vivantes, qui laisse à l'homme le temps de se recueillir librement, d'être tout préparé pour recevoir ce dernier bienfait de

Dieu, ce vrai complément de son être, cette réalisation de ses désirs inconnus, d'un autre bonheur cherché par son cœur inquiet, même en présence de Dieu.

Concluons donc, enfin, avec le bon paysan de Lafontaine, que Dieu fait bien ce qu'il fait. Ce n'est pas, toutefois, quant au paysan, sans avoir d'abord trouvé, au sujet du gland et de la citrouille,

Que l'on a fait un quiproquo!

C'est aussi ce qui a semblé à Voltaire, à la lecture de ce récit, sans compter celui du pluriel athem employé dans le même verset avec le singulier athou en parlant d'Adam, ce qui, on le comprend, l'étonne plus encore ; mais enfin, Garo finit

Par louer Dieu de toute chose,

et il faut bien convenir que Garo, reconnaissant son erreur, a, tout grossier qu'il est, beaucoup plus d'esprit que Voltaire, qui ne reconnaît pas la sienne.

ÉTUDES D'ESTHÉTIQUE

PAR M. MAIGNIEN

Doyen honoraire de la Faculté des Lettres de Grenoble

Séances des 1" mai, 19 juin et 21 août 1874.

I.

Je ne me propose pas dans ces études, de rechercher ce que c'est absolument que le beau, en tant qu'il serait formulé par une certaine qualité, ou qu'il serait une certaine chose qu'on pourrait appeler le beau. Ce qu'on a trouvé dans les études faites d'après cette méthode n'a abouti qu'à éliminer tel ou tel élément et à s'arrêter enfin à celui-ci ou celui-là, sans évidence et proposant sa propre pensée, sa prédilection intime. Or, si un principe donné comme vraiment esthétique admet comme possible quelque objection, il n'est pas un vrai principe et c'est à recommencer. Je veux donc simplement faire voir que le point de départ dans une analyse de ce genre est un fait essentiel, et qu'on s'expose à faire fausse route, si l'on ne voit bien d'où l'on part, où l'on veut aller, et si, surtout, l'on ne se méfie des idées abstraites réalisées, des métaphores mises à

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la place des idées réelles. Ces choses sont bonnes, employées dans leur nature et avec leur effet propre, mais elles sont très-trompeuses, tenant la place de pensées effectives; il est donc curieux et instructif de voir comment des esprits sérieux et solides s'y laissent quelquefois prendre, c'est le contraire alors du philosophe sans le savoir; dans ce cas, en effet, ils ne sont plus philosophes et ils ne s'en doutent pas.

Ainsi, Cousin voulant se rendre compte du beau, et cherchant une formule exacte, élimine d'abord ce qui, selon lui, n'est pas le beau. Ce n'est pas, dit-il, l'utile et la convenance du moyen à la fin. Non, sans doute, mais il y en entre beaucoup, et cette convenance peut être un élément très-puissant du beau; elle est essentielle dans la beauté de la nature, et surtout dans l'homme, et c'est le point de départ. La nature nous donne d'abord cette haute et divine leçon : ce qui nous apparaît comme beau dans l'organisation humaine est précisement ce caractère de convenance du moyen à la fin, que nous sentons d'abord d'instinct, si nous ne le savons qu'ensuite par l'analyse, et le premier grand principe nous apparaît, à savoir que la matière se trouve dissimulée, comme telle, par cette convenance qui nous y montre autre chose; à ce point de vue, ce n'est plus la matière, alors, c'est une forme nécessaire à l'usage de l'être qui en est doué, et, chez l'homme, un instrument fait pour l'esprit. Cousin, en l'éliminant comme expression unique du beau, a donc raison, mais il se trompe fort en ne voyant pas que c'est celle qui en approche le plus, et qui dans tous les cas est indispensable dans l'ensemble des autres.

Cousin continue: ce n'est pas non plus l'ordre, c'est

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