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est déjà renommé par l'amour qu'il témoigne pour la vérité, toutes celles qu'il me paroît important de lui découvrir, et je regarderois comme un crime de les lui cacher.

Ce que votre majesté a eu la bonté de me dire de M. d'Ogny, me paroît donc mériter une observation de ma part. Je n'ai aucun reproche à faire à cet intendant des postes, dont je n'ai jamais entendu dire que du bien; et je serois fâché de donner de mauvaises impressions sur son compte mais je ne dois pas céler qu'il étoit anciennement créature de M. le prince de Condé; qu'il a paru entiérement voué à madame du Barry, et par conséquent à M. le duc d'Aiguillon; qu'ainsi il n'est pas impossible qu'il ait suivi l'exemple de son prédécesseur et son oncle, le sieur Janel, qui avoit fini par se livrer à M. de Choiseul, ce que le feu roi avoit bien su, et ne l'avoit gardé qu'à cause de son extrême vieillesse : car dans une place comme celle-là, il faut absolument un 'homme qui ne soit qu'à son maître.

Votre majesté pourroit ne pas connoître encore la nature de cette place; elle ne sera peut-être pas fâchée d'en être instruite.

On a, de très-ancienne date, établi à l'hôtel des postes un bureau de secret. M. d'Ogny en est aujourd'hui le chef, et a une douzaine de commis sous lui, pour ouvrir toutes les lettres, ou du moins celles qu'on suspecte, et en tirer promptement des copies ou des extraits. Cette institution a eu pour principe d'instruire les rois et le gouvernement de tous les objets qui peuvent intéresser l'état, afin de pouvoir prévenir les événemens nuisibles au prince et au public. De ce bon principe, il a résulté, comme il arrive souvent, de très-grands inconvéniens pour les particuliers, et de-là conséquemment pour le maître. Les ministres ont regardé comme une chose essentielle, de mettre dans cette place quelqu'un qui leur fût affidé, afin de profiter des moyens de mettre des copies ou des extraits de lettres sous les yeux du roi, pour servir leurs passions, leur haine ou leur amitié. Il n'est même pas sans exemple, dit-on, que cela ait donné lieu à supposer des lettres entières, ou à en faire

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des extraits pour faire des crimes à des gens qui étoient innocens. La pureté du coeur de votre majesté doit se révolter à cet exposé, et lui faire, au premier coupd'oeil, regarder comme impossibles des actions si criminelles mais il n'est pas moins nécessaire qu'elle s'efforce de croire que tout le mal est possible, pour le prévenir, et sa pénétration lui fera juger combien il lui importe de mettre dans cette place quelqu'un de la probité et de la fidélité duquel elle soit sûre. Il ne m'appartient pas de désigner personne : je sais que le feu roi avoit eu des vues sur M. Durand, qui à toutes les qualités requises; et la connoissance qu'il a des affaires politiques le rendroit plus propre à cette place qu'un autre, d'autant qu'il pourroit servir à mettre de l'ordre dans les papiers secrets de votre majesté, et lui procureroit toutes les connoissances qu'elle desireroit d'acquérir. Elle a sous la main un valet de chambre que je ne connois que de nom. C'est M. Thierry, de la probité duquel tout le monde parle bien; elle peut savoir s'il est propre à ce poste: et alors il seroit facile de donner à M. d'Ogny un dédommagement dans une des premières places de la finance. Si, au contraire, elle croit devoir le garder, j'ose lui observer la nécessité de lui parler en maître,

et de lui recommander sérieusement de ne rendre au

cun compte à personne, même à des ministres, que par ses ordres, en mettant d'ailleurs de la délicatesse jusqu'au scrupule dans une place où l'on peut disposer du secret de tous les citoyens.

pas

Votre majesté aura vu dans la première lettre que j'ai eu l'honneur de lui écrire, que je ne lui ai caché que je croyois avoir à me méfier beaucoup des mauvais offices de M. d'Aiguillon. J'ose me flatter qu'elle trouvera mes défiances excusables, quand elle aura pris lecture du billet du feu roi, du 21 août 1775, et des autres dont je prends la liberté de mettre ici la copie sous ses yeux avec quelques notes pour y servir d'explication. Cela me fait espérer qu'elle daignera puiser, dans d'autres sources que celles de ce ministre, les notions qu'elle se propose de prendre sur les causes de mon exil. Si je ne me trompe, la réunion des différens billets du feu roi prouve jus

qu'à la démonstration, qu'il n'y en a jamais eu d'autres que le desir qu'a eu sa majesté de cacher un secret qu'il voyoit que son ministre, aidé par madame du Barry, dont il étoit le conseil et le maître, vou, loit lui arracher; et certainement ma lettre à ce même ministre, qu'il a plu au feu roi de donner pour raison de ma disgrace, dans celle qui me l'a annoncée, n'auroit pas été suffisante pour me faire perdre même ostensiblement, ses bontés. Aussi votre majesté verra qu'à l'exception de mon rappel qu'elle étoit embarrassée d'effectuer, elle continuoit à me donner des marques précieuses de sa confiance, jusqu'à accorder tout ce que j'ai eu l'honneur de lui demander depuis mon exil, quoique mes instances fussent motivées sur la nécessité d'un dédommagement à donner des persécutions que l'honneur d'être admis à sa confiance faisoit éprouver.

C'est à la haute sagesse de votre majesté à lui inspirer les moyens bien difficiles de pénétrer la vérité. Je suppose qu'il existe quelques personnes dignes de sa confiance; le public s'étoit réjoui d'entendre nommer dans ce nombre le vertueux comte du Muy : mais si elle l'avoit placée dans quelques-uns des anciens ministres de feu roi, je ne croirois pas manquer de respect à la place qu'ils occupent, en avouant à votre majesté que j'aurois lieu de craindre des préventions de leur part. Ils me soupçonnent tous d'avoir été honoré de la confiance secrette du maître; il n'y a pas de ministres qui pardonnent ce crime-là, d'autant qu'ils craignent qu'on n'en profite pour les desservir. Si elle daigne jetter les yeux sur mes lettres au feu roi, elle verra cependant que je n'en ai jamais fait cet usage. Je desire fort qu'elle me permette de les lui présenter moi-même; car je ne puis les remettre qu'a elle, puisque ces lettres, qui sont en grand nombre, ainsi que celles de feu roi et ses instructions ou ordres, font toute ma sûreté. Elle ne voudra pas que je risque, en les remettant à quelqu'un d'inattentif ou mal intentionné, qu'on y suppose des choses qui ne s'y trouvent pas ce qu'il faut que je sois toujours en état de prouver. C'étoit, sire, pour assurer ce dépôt, et constater les objets d'une

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correspondance multipliée pendant vingt-deux ans, que j'avois pris la liberté de la supplier de me permettre de me rendre à ses pieds. Mais si les preuves que j'ai l'honneur de lui envoyer de ma fidélité, de mon innocence, et de la persuasion même que le feu roi en avoit, ne lui paroissoient pas suffisantes, j'oserois lui proposer de me rendre de Ruffec à la Bastille, où je resterois jusqu'à ce qu'elle eût pris les éclaircissemens les plus étendus sur ce qui me regarde. Quoiqu'à la Bastille je serois à portée de recevoir les ordres de votre majesté, et de communiquer toutes les preuves de la pureté de ma conduite à qui il lui plairoit d'ordonner. Je n'ai nulles liaisons avec M. de Sartines, qui est le commissaire naturel de la Bastille : mais si elle a confiance en cé magistrat, cela confirmera la bonté de sa réputation. J'ai de plus été instruit que dans le temps où M. le duc d'Aiguillon fit mettre à la Bastille les sieurs de Ségur, Favier et Dumourier, sur des soupçons dans lesquels il vouloit envelopper M. de Monteynard et moi, ce ministre fit nommer MM. de Marville, conseiller d'état, et de Villevault, maître des requêtes, pour commissaires de cette pitoyable affaire; et M. de Sartines en fut d'abord exclu. Cette exclusion lui fit honneur dans le public, en prouvant qu'on ne le croyoit pas propre à servir l'animosité de personne. Cependant il demanda à faire les fonctions de commissaire-né de la Bastille. Sa majesté l'accorda, et lui dit même que s'il n'avoit pas été nommé d'abord, c'est qu'on avoit dit qu'il étoit malade, et qu'il étoit chargé de trop d'autres affaires. Votre majesté peut juger par ce détail, qu'on n'avoit pas envie d'avoir un témoin tel que M. de Sartines. Pour moi, sire, je le desire, et je n'en redoute aucun dans l'examen de toute ma vie. Je regarderai même comme une grace, qu'il soit fait, pourvu que sa suprême justice ordonne qu'on me communique les accusations pour que j'y puisse répondre; et j'ose espérer que cet examen ne pourra que me procurer le bonheur d'être estimé de mon nouveau maître, comme je l'étois de l'ancien alors je n'aurai rien à désirer. Si votre majesté craignoit de commencer son regne par un acte

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qui eût l'air de la sévérité, quoique je le reçusse comme une faveur, elle pourroit seulement me permettre de me rendre à Paris, sans m'accorder encore la grace que je desire le plus vivement, qui est de pouvoir aller mettre à ses pieds l'hommage de mon respect et de mon obéissance. J'y serois au moins à portée de recevoir et d'exécuter ses ordres; je pourrois rassembler tous les papiers et documens de la correspondance secrette que j'ai mis en différens dépôts, de peur qu'on ne les fit enlever chez món secrétaire. Je ferois les notes capables de donner à votre majesté une idée de chaque objet; je mettrois le tableau de tout ce travail sous ses yeux; enfin je ferois préparer par le sieur Dubois-Martin, les comptes des dépenses faites par ordre du feu roi. Tout cela ne peut pas être fait en mon absence; et il sera indispensable qu'elle ait réuni toutes ces notions, pour prendre avec connoissance de cause le parti qu'elle jugera convenable sur cet objet.

Votre majesté voudra bien remarquer que ce n'est pas le desir de sortir de la situation où je suis, qui m'engage à prendre la liberté de lui proposer de me rendre à la Bastille, ou de fixer mon exil à Paris c'est uniquement le bien de son service, qui me fait préférer ce changement de position au séjour de ma terre. Je crains seulement que votre majesté ne trouve quelque difficulté à paroître s'occuper de moi, de crainte de faire connoître la correspondance qu'elle m'a permis d'entretenir avec elle. Cette réflexion me fait prendre le parti de prier mon frere de remettre, avant son départ, un mémoire à votre majesté, pour la supplier de mettre fin à ma disgrace. Elle sera alors autorisée à faire la réponse qu'elle jugera à propos, sans que cela donne aucun soupçon; et quelle qu'elle soit, je la recevrai avec le respect et la soumission que je dois.

Je crains, sire, d'abuser de la patience de votre majesté au milieu des occupations importantes dont elle est accablée. J'imagine cependant qu'elle desire d'être instruite de tout; et ce qui m'intéresse personnellement est lié à tant d'autres objets dignes de son attention, , que j'ose espérer qu'elle excusera la lon

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