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êt des jalousies dont celui-ci a eu beaucoup à souffrir. Quelques années avant la retraite de M. le duc de Choiseul, le comte de Broglie croyant que son concours étoit absolument nécessaire au succès de quelques vues que sa majesté paroissoit avoir alors, il eut l'honneur de proposer au roi de lui découvrir le secret de la correspondance. Sa majesté ne le jugea pas à propos; et le comte de Broglie crut appercevoir qu'elle regardoit comme nécessaire de se conserver un moyen d'être instruite, par plus d'un canal, des affaires politiques, comme elle disoit que Louis XIV l'avoit toujours pratiqué.

Il y a lieu de croire que madame du Barry, pea après son arrivée à la cour, avoit découvert cette correspondance dont elle chercha à avoir l'aveu du comte de Broglie. Sa majesté, à qui il rendit compte que cette dame l'avoit assuré avoir vu de ses lettres, lui manda qu'en effet elle en avoit vu une, mais de ne pas s'en ouvrir davantage pour cela avec elle.

Le comte de Broglie a lieu de croire que c'est de ce moment que madame du Barry et M. le duc d'Aiguillon lui ont voué une mauvaise volonté qui s'est d'abord exercée en secret, mais qui a fini par lui être funeste.

Le comte de Broglie avoit prévu que l'un et l'autre ne lui pardonneroient pas ses relations secrettes avec le roi; et il avoit eu l'honneur de proposer à sá majesté, au moment de la nomination de M. le duc d'Aiguillon aux affaires étrangères, de lui laisser connoître la correspondance secrette: mais sa majesté s'y refusa, comme elle l'avoit fait pour M. le duc de Choiseul.

Il a donc fallu se livrer au danger évident qui étoit attaché au rôle assigné au comte de Broglie, de directeur de cette correspondance, et il n'a pas tardé à en éprouver les effets. Il a d'abord été averti, par un billet de la propre main de sa majesté, du ar août 1775, des mauvais services qu'on lui rendoit auprès d'elle.

Il ignore tous les moyens qui ont été employés depuis pour tâcher de le rendre suspect, ainsi que M. le marquis de Monteynard, avec lequel il n'a eu aucunes liaisons mais par tout ce que le comte de Bro

glie a pu recueillir dans l'éloignement où il est, il paroît que le roi, embarrassé d'avouer la correspondance qu'il tenoit et vouloit tenir secrette, a regardé comme un moyen d'y parvenir, de saisir la lettre écrite le 22 septembre par le comte de Broglie au duc d'Aiguillon, pour le soustraire aux poursuites qu'on faisoit indirectement contre lui, en l'impliquant dans une procédure ténébreuse qui s'instruisoit à la Bastille, et qui ne tendoit à rien moins qu'à le faire regarder comme ayant une correspondance criminelle et des émissaires furtifs dans toutes les cours, pour y décréditer les opérations des ministres du roi, et allumer par-tout le flambeau de la guerre,

Sa majesté connoissoit tout le faux de ces imputations Le comte de Broglie ne peut donc attribuer à d'autres motifs qu'au desir de sauver son secret, la résolution que prit sa majesté de l'exiler, puisqu'en même temps qu'elle lui donnoit une marque extérieure de mécontentement, elle n'a pas cessé de l'honorer de sa confiance, qu'elle voulut bien même lui donner quelque connoissance de ce qui se passoit, et lui permettre d'informer les ambassadeurs et ministres admis à la correspondance secrette, du motif apparent de son exil, et leur faire renouveller l'ordre de la continuer. L'un d'eux ayant témoigné, après ce qui arrivoit, au comte de Broglie, beaucoup de crainte de se trouver compromis, si sa correspondance que lo ministre soupçonnoit venoit à en être totalement découverte, sa majesté daigna elle-même le rassurer et lui mander de sa propre main que ce qui arrivoit au comte de Broglie ne devoit pas l'effrayer, qu'elle étoit satisfaite de ses services, et qu'elle desiroit qu'il continuât comme par le passé.

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Le comte de Broglie doit avoir l'honneur d'observer à sa majesté, que c'est M. d'Ogny qui retiroit de la poste et remettoit au roi les lettres des ambassadeurs ou m nistres admis à la correspondance secrette, et que sa majesté les envoyoit au comte de Broglie par Guimard, garçon du château, par les mains de qui sa majesté faisoit aussi passer l'argent nécessaire pour les objets de dépense ordonnés par elle, et relatifs à cette correspondance.

Le sieur Dubois-Martin, secrétaire du comte de Broglie, approuvé par sa majesté pour cette partie, recevoit et déchiffroit avec quelques autres commis toutes les dépêches; les extraits en étoient faits ensuite et envoyés au roi, ainsi que les déchiffremens, avec les projets de réponses auxquels sa majesté mettoit chaque fois son approuvé, après y avoir fait les changemens ou corrections qu'elle jugeoit à propos.

M. d'Ogny ignoroit, à ce qu'on croit, que ces lettres ou paquets fussent remis par le roi au comte de Broglie. Il est probable que cet intendant des postes en a actuellement entre les mains, que la maladie du roi n'aura pas permis de lui remettre. Il paroît convenable que sa majesté veuille bien lui donner l'ordre de les lui remettre à elle-même; elle jugera ensuite ce qu'il lui convient d'en faire.

Il existe vraisemblablement, parmi les papiers du feu roi, des choses relatives à cette correspondance, dont sa majesté trouvera peut-être à propos de s'emparer elle-même, pour pouvoir en prendre connoissance et se déterminer sur un objet qu'il importe à la mémoire du feu roi de tenir secret, et qui peut inté resser sa majesté.

On suppose que Guimard peut indiquer l'endroit où le roi renfermoit ces papiers. S'ils étoient sous des scellés, et que sa majesté ne pût pas les retirer ellemême, on pense qu'elle pourroit ordonner qu'on les lui remît, ou chargeât une personne ayant sa confiance, de les recevoir lors de la levée des scellés; ce qui peut mériter quelqu'attention de la part de sa majesté, à qui il paroîtra juste d'éviter d'exposer les personnes qui ont eu part au secret du feu roi, et qui pourroient se trouver compromises, vis-à-vis des ministres, pour y être restées fidelles.

Le comte de Broglie supplie sa majesté de lui pardonner la longueur de cette note devenue indispensable pour lui faire connoître la position où il se trouve depuis vingt-deux ans, et les raisons qui le mettent dans la nécessité de s'adresser directement à elle pour avoir ses ordres, ne pouvant les recevoir par la voie des ministres sur un objet qui ne leur est pas connu.

LETTRE

Du Comte de Broglie à Louis XVI.

SIRE,

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J'AUROIS desiré de ne pas fatiguer votre majesté par une trop longue lettre; mais je réfléchis, en relisant celle que j'ai eu l'honneur de lui écrire hier, que j'ai oublié beaucoup d'objets dont il est nécessaire qu'elle soit instruite, et je lui demande la permission de le réparer.

Je commencerai par ce qui regarde le sieur d'Eon. J'imagine qu'il est possible que votre majesté en ait entendu mal parler, et qu'ainsi elle pourroit être étonnée de le trouver compris dans le nombre des personnes honorées de la confiance du feu roi. Je ne puis donc me dispenser de lui observer qu'il avoit été initié à la correspondance secrette, du temps que M. le prince de Conti la dirigeoit. Il fut envoyé par ce prince à Pétersbourg en 1756. Depuis, il fut choisi avec distinction par MM. les dues de Praslin et de Nivernois, pour la négociation de la paix à Londres en 1762; et alors le feu roi ayant des vues importantes sur l'Angleterre, lui ordonna de lui rendre des comptes directs. Il fut ensuite fait ministre plénipotentiaire en Angleterre, dans l'intervalle de l'ambassade de M. le duc de Nivernois à l'arrivée de M. le comte de Guerchy.

Il est apparent que c'est cette marque de confiance particulière qui lui fit espérer qu'il seroit soutenu dans ses démêlés déplacés avec cet ambassadeur, qui, de son côté, y mit peut-être d'abord de la vivacité, et ensuite un peu de mal-adresse: mais cela n'excuse pas les torts du sieur d'Eon, dont l'extrême vivacité l'emporta outre mesure, et occasionna des éclats peu décens entre des personnes honorées des caracteres dont ils étoient respectivement revêtus. M. le duc de Praslin employa dans cette occasion une sévérité outrée

qui ne ramena pas le sieur d'Eon; et le moment étoit arrivé où ce dernier, ne pouvant plus revenir en France, alloit se livrer au désespoir, et se trouvoit dans des embarras capables de le faire manquer à la fidélité qu'il devoit à sa majesté, et peut-être de divulguer le secret qui lui étoit confié; ce qui auroit compromis d'une manière fort scandaleuse, sur-tout dans un pays comme l'Angleterre, le nom sacré du feu roi. Je fus long-temps dans les plus grandes transes à cet égard. Je demandai à sa majesté ses ordres, et pris la liberté de lui représenter que tout étoit préférable à laisser connoître en Angleterre l'objet de la correspondance secrette. J'eus ordre, en conséquence, d'envoyer mon secrétaire à Londres. Il connoissoit le sieur d'Eon; il le ramena un peu : et enfin on convint qu'il resteroit à Londres chargé de donner des nouvelles : mais il fallut lui assurer, de la propre main du feu roi, un traitement de 1000 livres par mois, dont il jouit depuis ce temps-là.

Cet être singulier, (puisque le sieur d'Eon est une femme) est, plus que bien d'autres encore, un composé de bonnes qualités et de défauts, et il pousse Ï'un et l'autre à l'extrême. Il sera nécessaire que j'aie l'honneur d'entrer à ce sujet dans de plus grands détails vis-à-vis de votre majesté, lorsqu'elle aura pris un parti définitif sur la correspondance secrette. J'ose, en attendant, prendre la liberté de la supplier de ne pas se déterminer entiérement sur son compte, sans avoir permis que je misse sous ses yeux mes respectueuses observations à cet égard. Je ne dois pas finir l'article du sieur d'Eon, sans avoir l'honneur d'observer qu'il écrit quelquefois des lettres en clair, signées Williams Wolff. C'est apparemment une de ses lettres que votre majesté aura trouvée non- chiffrée. Il me semble du moins qu'il n'y a que lui et le sieur Desrivaux, consul à Raguse, qui soient dans le cas de ne pas chiffrer toutes leurs lettres.

Quoiqu'il puisse paroître prématuré, sire, à votre majesté, que je me permette de hasarder des réflexions sur des objets qui ne me regardent pas, je crois cependant que c'est un devoir indispensable pour moi de mettre sous les yeux d'un maître de vingt ans, qui

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