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éclaircies, paraissent donner un revenu plus élevé, dans les situations entièrement favorables au sapin argenté, que les exploitations en jardinant et par la méthode mixte; les trois premiers de ces cinq modes d'exploitation sont d'ailleurs plus faciles à surveiller. Il semble donc qu'il serait préférable d'employer les deux derniers de ces trois modes d'exploitation dans les grandes forêts, s'il était possible d'obtenir alors, avec certitude, le repeuplement par le semis naturel; mais comme on n'y est pas parvenu, il ne me parait pas sans danger de les adopter. Si je devais pourtant faire un choix, celui des deux que je préférerais est l'exploitation par coupes rases par bandes étroites en complétant le repeuplement par la plantation, partout où il serait nécessaire, avec du plant de pépinière. Voici d'ailleurs comment je conduirais cette exploitation.

Soit une forêt de sapins argentés, située en plaine sous le climat de Paris; je suppose que cette forêt contienne 1,200 hectares divisés en 80 coupes de 15 hectares chacune, et qu'on en coupe une chaque année. Ces coupes seront tracées de manière à former des bandes qui n'aient pas moins de 30 mètres de large, et elles seront numérotées depuis 1 jusqu'à 80, dans la direction du nord-est au sud-ouest, s'il est possible, c'est-à dire que le n°4 sera au nord-est et le n° 80 au sud-ouest de la forêt.

Pour fixer les idées, je supposerai que cette forêt forme un parallélogramme, dont deux côtés aient 3,000 mètres chacun et les deux autres 4,000 mètres ; on la divisera par bandes ayant 3,000 mètres de long, 50 mètres de large et par conséquent une superficie de 15 hectares. On exploitera ces coupes, à raison d'une par chaque année, dans l'ordre suivant: Nos 1, 9, 17, 25, 33, 41, 49, 57, 65, 73, 2, 10, 18, 26, 34, 42, 50, 58, 66, 74, etc. Il résultera de cet ordre d'exploitation que chaque coupe aura, pendant dix ans, une lisière de 3,000 mètres de long qui se garnira plus ou moins de plants provenant de semis naturel, ce qui diminuera beaucoup le nombre de plants de pépinière qu'il faudra planter pour repeupler la coupe.

Il y a d'ailleurs, dans les montagnes et dans les vallées, des sapinières qui occupent des terrains en pentes excessivement rapides, parsemés quelquefois de rochers et de pierres, soumis à des vents violens, et dans lesquels il n'y a de praticable que l'exploitation en jardinant, l'exploitation par la méthode mixte et quelquefois l'exploitation par bandes permanentes. Si un propriétaire n'a qu'une sapinière d'une médiocre étendue, je préférerais la méthode mixte; ainsi, par exemple, je suppose qu'il possède une sapinière de 30 hectares; on couperait un hectare tous les ans, ou deux tous les deux ans, ou cinq tous les cinq ans, etc., en se conformant à ce que j'ai prescrit. Le revenu se trouverait peut-être ainsi moins élevé, dans les terrains de bonne qualité, que si l'on eût employé l'exploitation par coupes rases, ou par coupes rases par bandes étroites, ou l'exploitation par éclaircies; mais il se ferait moins attendre et le repeuplement serait assuré.

On ne cultive point assez le sapin argenté en France, sous le climat de Paris,

parce

dans les localités où l'on trouverait avantageusement à en vendre le bois, qu'il n'y a pas d'ouvrage pratique à bas prix qui ait enseigné avec détail cette culture; parce que les terres, dans lesquelles on pourrait cultiver avec succès cet arbre, sont également propres à la culture des céréales; parce que l'on pense généralement qu'on ne peut créer une sapinière sans perdre, pendant de longues années, le revenu du terrain qu'on y consacrerait; parce qu'enfin le sapin argenté étant l'arbre des huit espèces dont je me suis occupé spécialement, qui met plus de temps à atteindre la hauteur à laquelle les pépiniéristes sont dans l'usage de vendre leurs plants, ils en cultivent moins que des autres espèces. Mais j'ai fait voir qu'il n'y a, pour ainsi dire, point de culture en grand qui puisse donner un revenu aussi élevé, sous le climat de Paris, que celle du sapin argenté dans les terrains qui lui conviennent, lorsque le débit des marchandises que l'on fait avec son bois est assuré, quoiqu'à des prix modérés d'ailleurs; qu'il y a des terrains argileux qui rapportent peu pour la culture des céréales et dans lesquels celle du sapin argenté réussit fort bien; et qu'enfin on peut créer une sapinière dans un bois taillis, pour ses héritiers, avec une dépense de quelques francs seulement par hectare, et sans éprouver, en quelque sorte, aucune diminution dans le revenu.

IX. QUALITÉS ET USAGES DU BOIS; produits divers. Le pied cube (0,034) de bois d'un sapin argenté de 80 ans pèse vert, d'après Hartig (1), 66 livres 14 onces (32 kil. 728 gr.), et sec, 41 livres 8 onces (20 kil. 313 gr.); il est moins pesant dans la jeunesse de l'arbre. Dralet dit, page 12 de l'ouvrage précédemment cité, que le pied cube de ce bois pèse vert 60 livres et sec 32. Leroy dit, page 24 du Mémoire précédemment cité, relativement aux sapins qu'il faisait exploiter, dans les Pyrénées, pour être employés à la mâture : « Un pied >> cube de bois pris dans le milieu d'un arbre vigoureux et fraîchement coupé pèse depuis 62 jusqu'à 64 livres; le même morceau de bois, exposé à l'air pen»dant un an, ne pèse plus que 36 à 38 livres; le même pied cube, pris auprès de » la souche, pèse jusqu'à 84 livres et se réduit, en un an, à 46 livres. » Dans mon parc le pied cube de bois d'un sapin de 60 ans, abattu le 7 septembre 1843, pris près de la souche, pesait vert 32 kilogrammes; le 5 août 1844, il ne pesait plus que 18 kil. 320 gr.; le 1er mars 1845, il pesait toujours 18 kil. 320.

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Le bois de sapin argenté est d'un blanc terne, il est élastique et nerveux tout à la fois, il est facile à fendre, il se conserve longtemps sain lorsqu'il est à l'abri, et assez longtemps à l'air; il n'a point d'aubier, et l'on préfère même la planche qui ne contient point de bois du cœur de l'arbre à celle qui en contient; il est à peu près de la même qualité que le bois du sapin picéa, pour ceux des usages auxquels ils sont propres tous les deux, cependant l'un est quelquefois préférable à l'autre pour certains usages que j'indiquerai; il est supérieur en qualité au bois du pin maritime, mais inférieur, dit-on, au bois du pin sylvestre et du

(1) Baudrillart, d'après Hartig, Dictionnaire des eaux et forêts, t. I, p. 420.

mélèze. Je ne puis comparer le bois du sapin argenté au bois des pins laricio et Weymouth, la qualité du bois que produisent ces pins, en France, n'étant pas encore suffisamment connue. Dans le congrès forestier qui se réunit à Stuttgard, en 1842, congrès dont j'ai parlé page 57, on examina si le sapin argenté devait être préféré au sapin picéa, ou le picéa au sapin, et l'on donna généralement la préférence au sapin picéa. Cependant un membre dit que, dans la Thuringe, on préférait effectivement le picéa pour les constructions, mais que le sapin l'emportait comme bois de fente et de raclerie, et pour faire de la planche. Je ferai observer que le climat exerce ordinairement une influence notable sur la qualité du bois; ainsi, de ce que le picéa que l'on trouve jusqu'au nord de l'Europe, serait préférable au sapin dans certaines localités, par exemple dans la Thuringe, qui est presque la limite nord de ce dernier arbre en Allemagne, ce ne serait pas une raison pour qu'il en fût ainsi sous le climat de Paris; c'est ce que j'examinerai dans le chapitre du sapin picéa.

On emploie le bois de sapin argenté pour la mâture, la charpente, les échafaudages; pour les pilotis, selon M. Mougeot (1); pour des conduits ou des tuyaux de fontaine, selon Kasthofer (2); on fait avec ce bois de la planche, des madriers, de la volige, des pieux aussi durables que ceux de chêne, des échelles dont on peut faire les échelons avec les branches de cet arbre, des perches pour la culture du houblon, des gaules pour les blanchisseurs, des manches d'outils, des tonneaux pour le transport du sel et d'autres denrées, de la boissellerie, du bardeau (3), que l'on appelle aussi aisseaux, aissandre, essione et ganivelle dans le pays que j'habite; enfin, on emploie aussi le bois de sapin argenté à la construction des instrumens à corde, mais celui du sapin picéa est préférable pour cet usage.

Un passage de Leroy suffira pour faire voir quelle peut être l'importance du sapin argenté en France, pour la marine : « Les mâts des Pyrénées, dit-il, de» mandent à être traités avec beaucoup plus de précautions que ceux du Nord, » parce que la qualité des bois est naturellement inférieure; mais avec ces pré>> cautions, prises régulièrement, on les mettrait presque de niveau pour le ser» vice que l'État peut en tirer dans les arsenaux pour mèches, jumelles, beau» prés, etc.; faisant même abstraction de mâture, ils peuvent encore suppléer » aux bois du Nord pour les aiguilles de carène, les poutres, pour toute espèce » d'échafaudages, matériaux, bordages, planches, épars, etc. » Dralet dit, page 51 de l'ouvrage précédemment cité, que « depuis 1675, ces montagnes >> fournirent plus de trois millions de pieds cubes de bois de mâture. »

L'emploi du bois de sapin argenté, pour la charpente, présente de grands avantages, parce que les pièces de charpente qu'on en fait sont longues et parfaitement droites; les poutres et solives de ce bois ne se tourmentent point,

(1) Nouveau Duhamel, p. 319.

(2) Le Guide dans les forêts, t. Ier, p. 79, art. du Sapin blanc.

(3) Petite planche pour couvrir les bâtimens comme avec de la tuile.

comme il arrive souvent à celles que l'on fait avec du chêne; de là le proverbe : Chêne debout, sapin de travers. Il dure extrêmement longtemps quand il est à couvert. « Les forêts de la vallée d'Aure et des Quatre-Viseaux, dit Lapeyrouse (1), » ont longtemps fourni, à Toulouse et à Bordeaux, des poutres du plus grand » échantillon; j'en ai vu qui avaient 24 mètres de longueur en bois de service » et près d'un mètre d'équarrissage. Les entraits des fermes de la toiture de nos » anciennes églises sont de sapin argenté; les siècles qui se sont écoulés depuis » qu'ils sont en place ne leur ont porté aucune atteinte. »

Hartig place le sapin argenté, relativement à sa valeur, comme bois de chauffage et pour la fabrication du charbon, après le pin sylvestre, le mélèze et le sapin picéa; il est supérieur, sous ce rapport, au pin maritime. Kasthofer dit que 16 toises de sapin argenté équivalent, pour le chauffage, à 11 toises et demie de hêtre. J'ai brûlé souvent du bois de sapin argenté, surtout dans ma cuisine; quand il est sec, il me paraît brùler aussi vite que le hêtre, mais donner un peu moins de chaleur; je le croirais, sous le climat de Paris, égal sinon supérieur au sapin picéa comme bois de chauffage; je ne l'ai point comparé, sous ce rapport, au bois du mélèze ni à celui des pins dont je m'occuperai.

On extrait du sapin argenté un produit qui est vendu, dans le commerce, sous le nom de térébenthine de Strasbourg, quoiqu'on le tire des sapinières des Vosges, du Jura, de la Forêt-Noire et de la Suisse; c'est une substance liquide de consistance de sirop, employée, ainsi que l'huile essentielle de térébenthine, dans la médecine et dans les arts. Elle se trouve dans de petites vessies placées sous l'épiderme de l'écorce des sapins lorsque cette écorce est encore lisse, et chacune de ces vessies n'en renferme que quelques gouttes; la quantité de térébenthine qu'elles contiennent étant d'ailleurs plus grande, quand l'arbre a atteint un âge où son écorce devient rugueuse dans la partie inférieure du tronc, les ouvriers qui recueillent cette substance sont obligés de monter dans les sapins. Ils portent, suspendu à une ceinture, un petit cylindre de fer-blanc, de 0,22 à 0,27 de long, terminé en pointe tranchante ou une corne terminée de même et une bouteille suspendue à leur côté; ils montent dans les sapins au moyen de crampons qui entrent dans l'écorce de l'arbre et qui sont fixés à leurs souliers; ils percent les vessies avec la pointe de leur cylindre ou de leur corne et recueillent la térébenthine qu'ils versent ensuite dans la bouteille suspendue à leur côté. Duhamel-Dumonceau a décrit avec beaucoup de détail cette exploitation (2). On n'est pas dans l'usage d'extraire la térébenthine des sapins dans les sapinières de la Normandie.

M. G. Gand m'a confirmé l'exactitude de ces détails: ce sont des Alsaciens qui viennent extraire la térébenthine des sapins dans les Vosges, et l'on ne s'oppose point à cette extraction, quoiqu'ils ne paient aucune rétribution pour en obtenir l'autorisation. Selon M. G. Gand, un hectare bien peuplé peut donner en

(1) Histoire abrégée des plantes des Pyrénées, p. 590.

(2) Traité des arbres et arbustes qui se cultivent en France en pleine terre, t. 1o1, p. 8.

viron 8 à 10 litres de térébenthine par an, et un homme peut en récolter environ un tiers de litre par jour : on ne remarque pas que les sapins souffrent de cette extraction.

On trouvera chap. IV, art. IX, l'indication des auteurs qui se sont occupés particulièrement des produits et des qualités des bois, par exemple, du charbon et de sa fabrication, de la force de résistance des bois, de leur combustibilité, de leur corruptibilité, etc.; sujets qui ne pouvaient trouver place dans ce Traité.

X. ACCIDENS, MALADIES, ANIMAUX NUISIBLES. Dans les climats où la marche des saisons est irrégulière, comme, par exemple, sous le climat de Paris proprement dit, les gelées tardives causent quelquefois de grands dommages dans les sapinières, en détruisant les jeunes pousses qui viennent de paraître; ces pousses deviennent alors noires et tombent; il en est de même des fleurs femelles qui précèdent les cônes, ainsi que je l'éprouvai au printemps de 1843. Cet accident résulte de ce que le sapin argenté commence souvent à pousser avant le 1er mai, et de ce que les gelées tardives se font quelquefois sentir jusqu'à la fin de ce mois; ce sont les plus jeunes sapins qui éprouvent ordinairement ainsi le principal dommage: la flèche étant celle de toutes les pousses qui part la dernière, est un peu moins exposée; car les boutons, tant qu'ils restent à l'état de boutons, ne souffrent point des gelées, quelque rigoureuses qu'elles soient, parce qu'ils sont couverts d'une couche de résine.

En 1840, on remarqua dans les sapinières de Laigle ce que l'on n'avait point encore observé de mémoire d'homme : le mois de février avait été si doux, que la sève s'était mise en mouvement; le mois de mars fut au contraire très-rigoureux; la nuit le thermomètre centigrade descendit quelquefois à 7 degrés au dessous de zéro, tandis que pendant le jour un soleil ardent réchauffait l'atmosphère; par suite de ces alternatives, des branches de sapins et même de jeunes sapins périrent; on les reconnaissait à la couleur de leurs feuilles qui étaient devenues d'un rouge brun..

Les sapins isolés sont si bien enracinés qu'ils ont peu à craindre d'être renversés par les vents et même d'avoir leur tronc brisé, du moins dans les pays de plaine, parce qu'ils sont garnis de branches depuis le sol jusqu'au sommet; mais lorsqu'on exploite une sapinière, les sapins sont exposés à être déracinés et brisés en très-grand nombre, particulièrement dans les pays de montagnes, si l'on n'a pas pris les précautions nécessaires, parce qu'ils sont moins bien enracinés que les sapins isolés, et qu'ils sont dépouillés de branches dans la partie inférieure du tronc.

La neige et le givre peuvent occasionner des dégâts très-considérables dans les pays de hautes montagnes, en chargeant des branches de manière à les faire casser, et quelquefois aussi assez pour briser de jeunes sapins; mais ces accidens sont rares sous le climat de Paris; je les ai pourtant vus arriver dans mon pare pendant l'hiver peu rigoureux de 1842-1843; une neige abondante qui

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