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CHAPITRE II.

SAPIN ARGENTÉ, Abies argentea.

I. NOMS DE L'ESPÈCE. Pinus picea LINNÉ (1); Abies pectinata DECANDOLLe (2). On l'appelle aussi SAPIN COMMUN, SAPIN BLANC, SAPIN A FEUILLES D'IF; et, selon les pays où il se trouve le plus communément en France, SAPIN DES VOSGES, SAPIN D'AUVERGNE, SAPIN DES PYRÉNÉES, SAPIN DE NORMANDIE; en Bretagne, on l'appelle Bois de croix.

J'adopte de préférence la dénomination de Sapin argenté, parce qu'elle me paraît désigner l'arbre dont je m'occupe dans ce chapitre par un caractère saillant. Le nom de Sapin commun me paraîtrait le plus mauvais à adopter; en effet, le sapin argenté est commun dans certains pays, rare dans d'autres, inconnu dans d'autres pays où l'autre sapin d'Europe, le sapin picéa, est très-commun, par exemple, dans tout le nord de l'Europe. Linné n'a fait qu'un genre des sapins, des pins, des mélèzes et des cèdres, sous la dénomination de Pins. Le nom de Pinus picea, c'est-à-dire Pin à la poix, qu'il a donné au sapin argenté dont on n'extrait point la poix, aurait mieux convenu, selon moi, au sapin picéa dont on extrait la poix, et que les Latins appelaient Picea; et le nom de Pinus abies, qu'il a donné au sapin picéa, aurait été convenable pour le sapin argenté que les Latins appelaient Abies fœmina.

II. BOUTONS ET SÈVE.

Le sapin argenté a des boutons à bois et des boutons à fleurs; ses feuilles naissent en même temps que les pousses du bois sur lesquelles elles sont fixées.

Cet arbre n'a qu'une seule sève (3) qui commence ordinairement sous le climat

(1) Species plantarum, 3e édit., t. II, p. 1420.

(2) Flore française, t. III, p. 276.

(3) Duhamel-Dumonceau se trompe donc lorsqu'il parle, t. Ier, p. 10, de son Traité des orbres et arbustes, de la sève du printemps et de la sève d'août de cet arbre; car il n'en a qu'une, du moins dans les environs de Paris, où il habitait comme moi Il serait possible qu'il en fùt autrement dans le Midi; car Leroy parle, dans son mémoire, des deux sèves des sapins dans les Pyrénées.

de Paris, dans la dernière quinzaine d'avril ou dans la première de mai, et qui s'arrète, en ce qui concerne la longueur des pousses, au bout de cinq à neuf semaines, selon la température qui a régné. En 1842, année chaude, la sève ne dura qu'un peu plus de cinq semaines; en 1843, année humide et froide, elle dura neuf semaines. Lorsque la sève est arrêtée, en ce qui concerne la longueur de la flèche et des pousses, les boutons qui donneront naissance à la flèche et aux pousses de l'année suivante sont parfaitement formés; mais les pousses prennent encore de l'accroissement en grosseur, et elles deviennent ligneuses d'herbacées qu'elles étaient.

La sève fait d'abord pousser les boutons des branches qui sont placées le plus bas, puis successivement les autres boutons jusqu'au sommet de l'arbre; c'est le bouton duquel doit partir la nouvelle flèche qui pousse le dernier, circonstance heureuse, parce qu'il se trouve moins exposé aux ravages qu'exercent quelquefois les gelées tardives sur les jeunes pousses.

Lorsque l'action de la sève est arrêtée ou est devenue insensible, on remarque sur quelques parties des pousses de l'année, et toujours à leur extrémité, au bout de la flèche et sur quelques parties de cette flèche, les boutons à bois de l'année suivante. Ceux qui sont au bout de la flèche sont au nombre de quatre à sept, le plus communément au nombre de six dans les arbres bien venans, qui ont dépassé 15 ans, le bouton du centre, toujours situé dans le prolongement de la flèche, est destiné à produire la flèche de l'année suivante; les autres boutons, placés autour de ce bouton central, donneront naissance aux branches nouvelles. Les boutons qui se trouvent sur la flèche, sur les parties latérales et sur le dessus des branches, ne donnent ordinairement naissance qu'à des ramilles.

Les boutons à fleurs paraissent en même temps que les boutons à bois; ceux qui donneront naissance à des fleurs femelles sont d'abord semblables aux boutons à bois, mais à l'automne ils en diffèrent sensiblement parce qu'ils sont devenus plus gros; ils se trouvent vers la cime de l'arbre, sur le dessus de quelques pousses de l'année. Les boutons qui contiennent le rudiment des fleurs mâles, beaucoup plus petits que les boutons à bois, sont agglomérés sous les pousses de l'année, et ne se trouvent jamais sur les mêmes pousses que les boutons à fleurs femelles. Ces deux espèces de boutons se distinguent parfaitement dès le 1er octobre.

Il parait des boutons adventifs sur le tronc du sapin dans les circonstances accidentelles suivantes : lorsque le tronc d'un sapin argenté, jeune encore, se trouve brisé, ou quand, après avoir perdu la plupart de ses branches, parce qu'il a été privé de lumière, d'espace et de pluie par les arbres de son voisinage, il est ensuite débarrassé de ces voisins qui l'opprimaient. J'entrerai dans quelques détails à ce sujet quand je m'occuperai du mode de végétation du sapin argenté.

III. FEUILLES, FLEURS ET CÔNES.-Les feuilles du sapin argenté (pl. I, fig. 1 et 2) commencent à paraître, ainsi que je l'ai dit, dans la dernière quinzaine d'avril ou dans la première de mai, en même temps que les pousses sur lesquelles elles sont fixées; elles sont raides, linéaires, aplaties, arrondies ou échancrées par le

bout, d'un vert très-foncé par dessus et blanchâtre par dessous, parce qu'il s'y trouve deux raies blanches. Elles sont longues de 0,018 à 0,027, et rangées une à une sur un seul rang, de chaque côté des ramilles, comme les dents d'un peigne, ou à double rang; excepté vers le sommet de l'arbre, où elles occupent aussi le dessus de ces ramilles, et sur la flèche, qu'elles couvrent entièrement. Elles persistent tant que l'ombrage, le grossissement de la partie des branches sur lesquelles elles se trouvent, ou des maladies, ne les font point périr. Ainsi Kasthofer (1) et Lorentz (2) se trompent en disant qu'elles persistent pendant trois ans. Les feuilles qui couvrent la flèche persistent pendant six ou huit ans, tant que l'arbre croît; c'est seulement au bout de ce temps que le tronc en est débarrassé, probablement par suite du grossissement de ce tronc et de l'ombrage qu'elles éprouvent, à mesure que l'arbre s'élève. Les feuilles qui garnissent les ramilles fixées sur le tronc et sur la partie des branches qui avoisinent le tronc, périssent aussi successivement par la même cause, et les ramilles qui portaient ces feuilles, privées de lumière, périssent aussi; mais de nouvelles pousses couvertes de feuilles nouvelles paraissent annuellement dans les parties qui jouissent des bienfaits de la lumière.

Les fleurs du sapin argenté (Voy. p. 10) commencent à paraître en même temps, plusieurs jours avant l'apparition des pousses, c'est-à-dire pendant la première ou pendant la seconde quinzaine du mois d'avril.

Les chatons mâles (pl. I, fig. 1) sont agglomérés à l'extrémité des rameaux et des ramilles, sous le bois de l'année précédente et le plus communément vers la partie supérieure de l'arbre; mais quelquefois il s'en trouve sur toutes les branches, sans exception, comme il peut arriver aussi qu'il n'y en ait point du tout. Ces chatons sont souvent très-nombreux, et avant que d'avoir atteint leur maturité, ils sont rougeâtres et ressemblent à une très-petite fraise des bois de forme régulière; lorsqu'ils l'ont atteinte, environ dix jours après leur apparition, ils sont d'un jaune-citron lavé de violet, occupent plus de volume, sont plus allongés et se joignent; ils laissent alors échapper une poussière jaune (le pollen), et dans le même temps les pousses commencent à paraître. Les sapins argentés ne portent pas tous les ans des fleurs mâles, mais ils en portent plus souvent que des fleurs femelles.

Les chatons femelles du sapin argenté, annoncés dès l'automne précédent par des boutons plus gros que les boutons à bois, se trouvent vers la cîme de l'arbre sur le dessus de quelques branches, mais seulement sur du bois de l'année précédente; ils sont oblongs, d'un vert pâle, ont la pointe tournée vers le ciel (sont érigés), et leurs feuilles florales (leurs bractées) se transformant en écailles, ils deviennent des cônes : cette transformation est déjà très-apparente dans la première quinzaine de mai, environ un mois après qu'elles ont paru.

Les cônes (pl.1, fig. 2) occupent une position sensiblement verticale, sur le

(1) Le Guide dans les forêts, t. 1, p. 28.

(2) Cours élémentaire de culture des bois, p. 90.

dessus des branches, la pointe tournée vers le ciel; ils sont fixés au bois par une queue très-courte (ils sont pédonculés), mais on en remarque pourtant quelques-uns qui sont fixés immédiatement sur le bois (qui sont sessiles). Cotta se tronipe donc lorsqu'il dit, dans son Traité de culture forestière, p. 250, qu'ils sont placés à l'extrémité des branches. Les cônes sont d'abord d'un vert pâle et conservent cette couleur jusque peu de temps avant leur maturité, qui arrive à la fin de septembre ou au commencement d'octobre de l'année même où ils sont nés. On reconnaît cette maturité aux signes suivans: ils se couvrent sur quelques points d'une efflorescence de résine très-blanche, deviennent brun-clair et peu de jours après, dans ce même mois de septembre ou au commencement d'octobre, ils laissent échapper les graines qu'ils contiennent. Chacune des écailles des cônes se détache de l'axe et tombe au pied des arbres, avec ou sans les deux graines qui alors y sont à peine fixées; lorsque les graines se séparent des écailles, ces graines, étant munies d'une aile, sont quelquefois transportées au loin par les vents; il ne reste sur l'arbre que les axes des cônes avec quelques écailles de leur partie inférieure (pl. V, fig. 1), qui persistent ordinairement pendant plusieurs années : la dispersion des graines est terminée au bout de peu de jours. Les cónes du sapin argenté, lorsqu'ils ont atteint leur maturité, sont oblongs, longs de 0,11 à 0,16, et se composent d'écailles serrées les unes contre les autres, adhérentes à un axe commun, et plus épaisses à la partie fixée à l'axe : à la base interne de ces écailles se trouvent deux graines munies d'une aile.

Cette dispersion de la graine du sapin argenté, dès l'année de la naissance des cônes, est un fait très-apparent, et la trace subsiste longtemps encore après, puisque les axes dépouillés des écailles restent pendant plusieurs années sur l'arbre; cependant Duhamel (1), Miller (2), Desfontaines (3), Dralet (4), Remond (5), Bosc, ainsi qu'on l'a vu p. 15 et autres, tombent à ce sujet dans des erreurs qui prouvent qu'ils n'avaient pas vu de leurs yeux : Duhamel dit en outre (6) que les fleurs femelles des sapins sont d'un assez beau rouge, et il n'y a que celles du sapin picéa qui ont cette couleur, celles du sapin argenté sont vertes.

Les sapins provenant de semis naturel ne commencent à porter des cônes que lorsqu'ils ont atteint 25 ans environ, et la plupart n'en portent pas si tôt; mais la graine que ces cônes contiennent n'est ordinairement fertile, dit Burgsdorff (7),

(1) Traité des arbres et arbustes, t. I, p. 4.

(2) Dictionnaire des jardiniers et des cultivateurs, art. Sapin.

(3) Histoire des arbres et arbrisseaux qui peuvent être cultivés en pleine terre sur le sol de la France, t. II, p. 582.

(4) Traité des forêts d'arbres résineux, p. 12.

(5) Remond, ancien inspecteur des forêts dans le département du Jura, dit dans ses Observations sur l'aménagement et l'exploitation des forêts de sapin, p. 7, que le sapin argenté a deux sèves, tand's qu'il n'en a qu'nne, et que la graine reste deux ans à se former, tandis qu'elle naît, mûrit et tombe dans la même année.

(6) Traité des arbres et arbustes, t. Jer, p. 2.

(7) Nouveau Manuel forestier, t. I, p. 413.

que lorsque les arbres sur lesquels ils se trouvent ont atteint 40 ans; c'est une assertion que je n'ai pu vérifier entièrement, mais je suis disposé à la croire exacte. Cette graine n'atteint toute sa force germinative que sur des sapins plus âgés encore; aussi est-il prudent de ne cueillir des cônes, pour en extraire la graine, que sur des sapins âgés de 60 ans au moins. Mais il ne suffit point de se procurer de la graine fertile, il faut aussi la tirer de beaux arbres; car il est à craindre que de la graine provenant de sujets rabougris ne donne naissance qu'à des arbres qui se ressentent de leur origine.

On commence à voir des fleurs mâles, pour la première fois, sur les jeunes sapins au même âge à peu près que l'on commence à y voir des cònes, quelques années plus tôt ou quelques années plus tard. Cet arbre ne porte pas toujours en même temps des fleurs mâles et des fleurs femelles, surtout dans sa jeunesse, car lorsqu'il approche de sa maturité ou qu'il l'a atteinte, cela se remarque presque toujours; il porte des fleurs mâles plus souvent et en beaucoup plus grande quantité que des fleurs femelles. Lors donc que l'on veut récolter de la graine sur un sapin isolé, il faut s'assurer qu'il a eu des fleurs mâles en même temps que les fleurs femelles qui ont donné naissance aux cônes, puisque sans cela cette graine serait stérile.

Le sapin argenté ne porte point des cônes tous les ans, et l'on remarque, dans les sapinières, des années d'abondance et des années de disette. Les années d'abondance sont ordinairement celles où la graine est la meilleure et où elle est le moins attaquée par les vers; il n'y a guère qu'une année d'abondance par chaque période de cinq années.

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IV. GRAINES ET SEMIS NATUREL. Les graines du sapin argenté (pl. 1, fig. 3) sont presque triangulaires, couleur châtain, sont munies d'une aile et ont 0TM,009 de longueur moyenne; avec cette aile, elles ont 0,025 de longueur moyenne. Nous avons vu que le sapin argenté porte des cônes à environ 25 ans; ces cônes ne donnent de graines fertiles que lorsque l'arbre a atteint environ 40 ans, et ces graines n'acquièrent ordinairement assez de force germinative pour donner du semis naturel que lorsque l'arbre a dépassé 50 ans; mais je ne l'ai trouvé efficace et abondant que par des arbres qui avaient 60 ans.

J'ai dit, dans l'article précédent, qu'il y avait environ une année d'abondance de cônes sur cinq, que la graine des cônes était alors meilleure que dans les années ou les arbres n'en ont qu'une petite quantité, et qu'on ne doit cueillir des cônes, pour en extraire la graine, que sur des arbres âgés de 60 ans au moins. Si l'on veut se procurer de la graine, on peut en faire ramasser par terre, sous les sapins, et l'on obtiendra de la graine de choix; mais pour cela il faut qu'il y en ait beaucoup, qu'elle n'ait pas été portée au loin par les vents, que le terrain soit uni, comme, par exemple, celui d'une allée ou d'une futaie sombre, et que l'on saisisse le moment où elle tombe, car il y a des oiseaux qui la mangent: ce procédé est d'ailleurs toujours long et ne peut en procurer qu'une petite quantité; j'en ai fait ramasser plusieurs fois ainsi dans les allées de mon parc.

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