PHILOLOGUES CONTEMPORAINS M. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française. M. EDELESTAND DU MÉRIL, Essai philosophique sur la formation de la langue française.-M. HIPPEAU, Dictionnaire de la vieille langue française. I. A la suite des études historiques, qui sont l'honneur et l'originalité de notre époque, et qui ont surtout consisté à remonter aux documents contemporains des événements, c'est-à-dire aux sources vraies et légitimes, il s'est produit, par la force des choses, un genre de recherches qui est aussi un de nos titres de gloire. En étudiant les textes pour les faits, il a bien fallu en comprendre la langue. La philologie est donc née de l'histoire. Elle aussi a retrouvé les origines, celles des mots, et elle a suivi pas å pas leurs transformations à travers le temps et l'espace. De fantaisiste qu'elle était dans les siècles précédents, elle approche aujourd'hui de la science positive. Après avoir tenu compte uniquement d'une vague ressemblance, elle remplit aujourd'hui les trois conditions principales de l'étymologie ressemblance de forme, analogie de sens, série des transformations en vertu de la permutation des lettres. Ce n'est que de nos jours qu'on a fait l'histoire des mots. Les étymologies primesautières de Ménage et de Daniel Huet ont été rejetées ou rectifiées et sont entrées dans le domaine scientifique. Il n'y en a plus qu'un nombre peu considérable que l'on doive marquer de l'épithète douteuse ou inconnue. Issue de l'histoire, la philologie, à son tour, a réagi vers elle et a jeté de vives lumières sur les invasions, les conquêtes, l'état social et les conditions matérielles des nations. En devenant la philologie comparée, elle a éclairé les origines. des races et des peuples. En fouillant dans les langues populaires ou patois, ces fidèles dépositaires de la tradition, elle a suivi la filiation des termes. En étudiant le mécanisme des mots, leur origine et leurs mutations, leur simplicité et leur composition, elle a apporté son contingent à une branche plus profonde, plus philosophique, la linguistique, sœur d'une autre science née d'hier, l'éthnographie. Si les Anglais nous ont précédés dans la construction d'un grand dictionnaire national, la France possède aujourd'hui son monument dans le dictionnaire de M. Littré, qui n'est pas seulement une grande œuvre, mais encore une œuvre acceptée par tout le monde savant. Toutefois, son auteur lui-même ne l'appellerait pas complète et définitive. Un autre savant, qui fut une intelligence très-étendue, qui est un des premiers érudits de notre pays et avec un caractère bien à part, mais qui eut la science trop vaste et trop neuve et la pensée un peu trop raffinée pour arriver à la réputation qu'il mérite, M. Edelestand du Méril, représente chez nous surtout la philologie comparée, dont l'expression la plus complète est son travail philosophique sur la formation de la langue française. Ce sont ces œuvres de deux philologues que nous voudrions étudier ici même, dans une revue spéciale, sans négliger d'autres travaux contemporains qui ont aussi un réel mérite, spécialement M. J.-J. Ampère, qui fit, des premiers, l'histoire de la formation du français. De l'ensemble de cette étude il résultera sans doute que la France est en ce moment une importante école philologique qui, placée entre l'Allemagne et l'Angleterre, si elle n'occupe pas le premier rang, ne descend pas non plus au dernier. Déjà, chez nous, la philologie a un organe spécial, une revue très-distinguée. La province, qui jusqu'ici s'était spécialement occupée de colliger les patois, commence à entrer dans la voie de la philologie proprement dite; à quelques-unes des séances de la Sorbonne pour les sociétés savantes provinciales, il y a eu plusieurs lectures sur cette matière. Les langues romanes ont leurs mémoires spéciaux dans le Midi, spécialement à Montpellier. Les patois s'en vont; la grande date de la centralisation absorbante chez nous est la Révolution, qui leur déclara la guerre. Grégoire fit à la Convention un rapport sur la nécessité d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française. Notre étude n'a pas d'autre but que d'aider au progrès de cette science; les vrais savants ne voient dans leurs critiques que des ouvriers qui, pour leur part, les aident à construire leur monument. Le mot est un être vivant. Il a sa naissance dans le son imitatif ou onomatopée, sa vie qui est la lutte, sa mort qui est le triomphe d'un autre terme, ou la disparition de l'idée qu'il représentait. Pourquoi vit-il? Pourquoi meurt-il? Horace se tirait de l'embarras de la réponse avec sa grâce légère, sic voluit usus, comme si l'usage était un fait primordial et n'avait pas sa raison d'être. La raison d'être d'un mot, c'est son besoin, c'est sa nécessité. Sa raison de vivre, c'est de remplir des conditions de sonorité, de clarté, d'actualité enfin. Sa raison de mourir, c'est de lutter inutilement contre un vocable doué d'une vie plus intense que lui. La théorie de Darwin, The struggle for life, la lutte pour l'existence, s'appliqué aussi bien aux mots qu'aux êtres animés. La comparaison peut être poussée plus loin encore : le mot a son ossature, qui est la consonne; sa chair, qui est la voyelle; son accent tonique ou son esprit, qui est son souffle, son âme. La loi des corps organisés, quant à leur durée, c'est que la chair se corrompt et disparaît plus vite que l'ossement le squelette survit à la fibre. Si, dans le mot, la voyelle correspond à la chair, et si la consonne représente la charpente osseuse, c'est la voyelle qui est la plus périssable, et c'est la consonne qui survit. On a un assez curieux spécimen pour démontrer cette loi dans le cri de la pitié et de la douleur: « Hé! lé!», ce cri, hélas ! qui est dans toutes les langues. Il s'est arrondi et harmonisé chez les Grecs, qui ont eu, plus que personne, le sentiment de la ligne pure et des beaux contours, en s'adjoignant une finale qui annonce la puissance, le savoir, u c'est le terme nuon, la pitié. Après ses six syllabes, on le trouve en latin réduit à quatre, elemosyna. Dans la première forme française probable, elemosyne, il en a trois, et par une il arrive à deux, almosne et aumône. Son itinéraire dans le temps et l'espace n'est pas encore terminé. Il se rencontre en anglais, où sa forme semble irréductible: c'est le monosyllabe alms. Que s'est-il passé |