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mand, l'anglais. L'anglais, fait de français et de germanique, servirait de transition.

Tout annonce que les États de l'Europe gravitent vers la réalisation de l'idée égalitaire et libérale que l'on appelle république, et dont la forme parlementaire est l'embryon ou l'enfance. D'un côté certaines nations ont vieilli, qu'on appelle races celtiques et latines; d'autres, plus jeunes, se préparent à les envahir, les races germaniques vers l'Occident, les races slaves vers l'Orient, et à constituer de vastes nationalités. Pour quelques rêveurs, amis de l'humanité, l'unité des nations se trouvera audelà de ces mouvements et de ces agglomérations. D'un autre côté, comme la civilisation suit la route apparente du soleil, c'est-à-dire va de l'est à l'ouest, sur l'autre bord de l'Atlantique grandit, dans l'exubérance de la jeunesse et de la force, une nation mélangée qui, quoique n'ayant pas encore un siècle d'existence, arrive à la hauteur des nations anciennes les plus civilisées et les dépasse sous plusieurs rapports. Elle a réalisé, plus qu'aucun autre peuple de l'histoire, l'égalité et la liberté; elle possède, à un plus haut degré qu'aucun État actuel, cette chose qui dit tout, la vie. A nation nouvelle, langue nouvelle, ou du moins une évolution dans le langage. Il y a déjà dans les États-Unis d'Amérique les symptômes d'une modification de la langue dans ce qu'on appelle des américanismes, et de la formation d'un idiôme où viendraient se fondre la richesse de l'allemand avec l'énergie et la précision de l'anglais. Cette langue a son littérateur, l'étrange romancier Bret Harte. « La plupart de ses poèmes comiques, dit la Revue britannique, sont écrits dans une espèce de patois anglo-américain, très-difficile à

traduire ». Il a fallu plusieurs siècles au français pour sortir du latin. Cette langue de l'avenir a donc, pour se faire, du temps devant elle. L'allemand apporte à cette dernière venue des langues sa faculté de composition, et l'anglais l'énergique concision de ses prépositionsadverbes et le plus parfait des idiômes, s'il est vrai que la langue la plus parfaite est celle qui se rapproche le plus de la pensée et qui est le plus propre à l'action.

L'anglais, avec l'extrême simplicité de sa conjugaison, avec son genre neutre, son ablatif marqué par from, que n'a pas le français, par la précision si laconique de ses prépositions-adverbes jointes aux verbes, par sa manière de marquer la possession, par l'invariabilité de l'adjectif et la constance de sa position par rapport au substantif, par sa faculté de juxtaposer les mots sans les unir par des cas ou des prépositions, par le monosyllabisme de son vocabulaire saxon, l'anglais, le dernier venu des langues européennes, semble appelé à jouer un rôle prépondérant dans l'avenir. Langue latino-germanique, il sert de transition entre deux grands idiômes; en outre, il est l'idiôme européen le plus universellement parlé.

Les trois quarts des termes de la langue anglaise appartiennent au français, soit actuel, soit ancien. Cette assertion ne sera peut-être pas du goût des philologues anglais, dont l'amour-propre national se rattache avec une certaine passion aux origines germaniques, et qui d'ailleurs sont insuffisamment accointés avec notre vieux français. J'espère qu'un ouvrage spécial établira bientôt la vérité de cette proposition. Cet afflux français grossirait encore si on y faisait entrer la langue populaire anglaise, le vernacular language, ce que les philologues anglais appel

lent idiotismes et provincialismes. Dans les glossaires populaires de Ch. Wright et surtout dans celui de Halliwel, il y a une masse de mots français. Dans les recueils spéciaux de patois, on en trouve considérablement encore; celui de Brockett, par exemple, qui donne le patois du Yorkshire et de la frontière d'Écosse, est sous ce rapport d'une richesse étonnante, surtout pour le philologue initié au patois normand. Car, de même que le latin populaire, importé par des soldats, entra naturellement en grande proportion dans le français, de même le français populaire, le patois normand, fut importé en Angleterre avant et après la conquête. Par exemple, si l'officier romain disait ferire, le soldat disait batuere, qui nous est resté ; si le noble normand disait je vais férir, le soldat disait, comme le Bas-Normand d'aujourd'hui je vais choute, un terme que l'Anglais a gardé ; I go to shoot.

Du reste, il n'est pas étonnant que tant de termes français soient restés sur la frontière anglo-écossaise, là où l'influence française s'est particulièrement exercée. Les Écossais vous disent que beaucoup des cris des marchands sur la voie publique à Édimbourg sont français. Même un grand nombre de mots de la langue littéraire d'Écosse viennent de chez nous. Ouvrez un de nos dictionnaires anglo-français, où l'on a introduit l'élément écossais, spécialement celui de MM. Thunot et Clifton, vous y retrouverez beaucoup de mots de notre langue ou du normand. J'en citerai quelques-uns: caudron en éc., le normand caudron, chaudron; clary, éc. l'orvale, le fr. clarée; cowe, éc. balai, le v. fr. escouve; crewels, éc. écrouelles ; crook, éc. crémaillère, le fr. croc; commer, éc. sagefemme, le fr. commère; douce, éc. sage, rangé, doux;

dour, éc. dur; dol, éc. deuil; frer, frère; flight, flèche; fou, ivre; hallions, la canaille; hap, happelourde; kail, chou, le v. fr. col; lyard, gris, le v. fr. liard; manse, presbytère; ping, se plaindre, gémir, le normand pigner; skart, égratignure, le fr. escare; snell, vif, le v. fr. isnel; vivers, vivres; valise, valise, etc.; mais surtout bain, bien, en patois fr. ben. Quant à l'argot anglais, c'est du français, ainsi que l'atteste son nom french pedlar, du français de colporteur.

C'est surtout en fait de langues que l'on peut dire : << Tout est dans tout », parce qu'il y a toujours entre elles quelque chose de commun qui résulte de l'unité de l'esprit humain, d'où provient la grammaire générale, et un fond commun de vocabulaire, qui a pour point de départ le mot imitatif ou onomatopée. Ce bruit naturel, d'une seule émission de voix, donne à croire que la langue primitive a été monosyllabique. L'onomatopée, qui est la reproduction des bruits de la nature, peint aussi les formes, comme dans ce vers de Racine: « Sa croupe se recourbe en replis tortueux ». Mais il y a aussi des locutions et des mots particuliers qui constituent les idiômes et les grammaires spéciales. Ce sont ces idiômes qui expliquent les transmissions historiques et servent de base à l'étymologie, sûre de sa marche et de son but, quand elle a pu recueillir, dans l'ordre chronologique, les transformations des mots. L'histoire éclaire aussi l'étymologie. Par exemple, il est évident que la ressemblance existant entre les idiômes de deux peuples qui n'ont pas eu de contact sont ou le résultat du hasard ou le produit du fond commun de l'humanité. Mais le contact des Anglais et des Français est acquis à l'histoire, et il a été

tel qu'on peut dire que si le vieux français était perdu, on le retrouverait dans la langue anglaise. C'est à ce point qu'à part la prononciation du th, le génitif saxon, sa forme d'interrogation et les prépositions-adverbes placées avant leur régime, l'anglais, relativement à nous, n'a pas de véritable originalité. Et encore, pour ces deux ou trois caractères originaux, il y en a des spécimens ou des analogies chez nous. Le peuple français dit : « Je vais lui tomber dessus », comme le peuple anglais dirait: I am going to fall him upon, dans le vrai génie de sa langue. Voilà pour la préposition-adverbe; pour les autres cas, comme l'Anglais est essentiellement conservateur et traditionnel et que le Français est révolutionnaire et destructeur, c'est dans notre vieille langue que j'irai chercher mes exemples.

On connaît la forme interrogative anglaise où, sans pléonasme, le verbe précède le sujet : Is your father at home? Votre père est-il à la maison ? litt.: Est votre père à la maison? J'en trouve plusieurs exemples dans un des vieux monuments de notre langue, Li quatre livres des dialoges Grégoire, qui est du XIIe siècle : « Mais, ge te proi, est encore aulcune chose cui tu racontes de lui à nostre édification? » C'est du pur anglais : But, I pray you, is still any thing, etc.? Y a-t-il encore quelque chose?... La forme to think of, penser de, to pray to God, prier à Dieu, to keep at bay, tenir en respect, le vieux français tenir à bay, tout cela, c'est notre ancienne langue. Le how do you do lui-même se retrouve dans un vieux texte il demanda comment feseit son père? Il n'est pas jusqu'au cricket, que l'Angleterre appelle son jeu national, qui ne soit français. Le mot vient de chez nous :

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