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SIGNA VERBA.

LES JEUX D'ÉCRITURE DANS L'IMAGE,

PAR

M. GEORGES BÉNÉDITE.

...Quid signa sagacis

Aegypti valeant...

C. CLAUDIANI,

In Rufinum, Carmen III.

L'art plastique de l'ancienne Égypte se divise en deux domaines limitrophes et très nettement distincts en dépit d'une frontière parfois mal tracée, l'un qui est l'art libre et populaire, l'autre l'art canonique et hiératique (1). Ceci posé, il convient de rechercher comment les Égyptiens ont été conduits à une séparation qui leur est très particulière (2) et ne s'observe pas notamment dans l'art chaldéo-assyrien, art à beaucoup d'égards congénère de l'art égyptien.

(1) Cette théorie a été exposée par G. Bénédite dans Une statuette de Reine de la Dynastie Bubastite (Gazette des Beaux-Arts, 1896, p. 481-482) et dans Egypte (collection des Guides-Joanne), 1900, p. 110-111. Elle a été reprise sous des appellations un peu différentes (notamment officiel au lieu de hiératique) par M. W. SPIEGELBERG dans Geschichte der Agyptischen Kunst, 1903, p. 22-23. Remarquons que la même division s'observe dans la langue, l'écriture et même la religion.

(2) Nous voudrions pouvoir reconnaître cette division dans les termes dont se sert l'artiste Mériré, prêtre de Mât, qui décora sous le règne de Ramsès IX la tombe de Sétaou à el-Kab, quand il se vante de n'avoir pas reçu {{ «la règle”, d'un maître et d'être un

le

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artiste habile de ses doigts

et bien doué pour tous travaux, mais il faudrait pour cela attribuer

D'instinct on se tourne vers l'écriture hiéroglyphique, également propre à l'Égypte, et l'on se rend compte qu'elle n'a pu être pratiquée d'une manière aussi constante sans donner naissance à un procédé conventionnel de représenter les images-signes, en les schématisant et en les stylisant; on en arrêta ainsi la forme pour satisfaire à ce besoin de clarté, d'harmonie et d'équilibre, qui est l'un des traits les plus marquants du génie égyptien (1). En outre, tout ce qui s'enseigne a tendance à se codifier, à se fixer, et toutes ces raisons furent dominées par la raison religieuse.

Le formalisme religieux s'exerça de la même manière dans les représentations figurées, qui n'étaient pas à proprement parler de l'écriture, mais qui lui étaient étroitement apparentées. L'intimité de leur rapport éclate quand on compare un idéogramme de l'écriture, celui qui désigne par exemple une divinité ou un roi, avec les représentations plastiques de cette divinité ou de ce roi (2). Le signe graphique et l'image plastique coïncident exactement. A-t-on, d'autre part, remarqué que la direction de l'écriture de droite à gauche, qui a pour conséquence l'orientation de toutes les figures vers la droite, est également la loi des bas-reliefs? La jambe gauche des figures

comme l'a fait M. Spiegelberg (Rec. Trav., XXVIII, 1906, 180), le sens de canon des proportions» à, inapplicable à ce mot dans tous ses emplois.

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Quant à la stèle C 14 du Louvre dont on ne peut se flatter de saisir toutes les nuances, parce qu'elle est émaillée de termes d'atelier, il semble bien, en tout cas, qu'elle exprime dès le début de la profession de foi du ME☎ mr ḥmtw sš-msntj 'IRTJSN (Irtisen), 1. 6 et 7, les mots par lesquels on définissait l'art hiératique : sšt; n mdw-t ntr, sšmw-t nw hbj-t le mystère de la langue sacrée (l'écriture hieroglyphique) et les images des fêtes" (la figuration du cérémonial). Irtisen affirme qu'il connaît cette branche de l'art à fond, qu'il en sait toute la technique.

(1) Cette harmonie et cet équilibre font nettement défaut à l'écriture hieroglyphique hétéenne.

(2) Bien qu'étroitement mêlée à mon sujet, je ne soulève pas ici la question des anaglyphes qui m'entraînerait à un développement excédant le cadre qui nous est fixé; mais je compte la reprendre en élargissant le travail dont je ne donne ici que les lignes générales.

en marche y est représentée en avant comme dans les statues (1), ce qui prouve que cette direction est la direction normale, la disposition symétriquement opposée pour l'ordonnance de la décoration étant anormale et secondaire.

Cette parenté, qui se traduit dans la langue égyptienne par le même mot,H« écrire, dessiner », ainsi établie, est le point de départ d'une autre enquête qui est précisément celle à laquelle nous allons nous livrer et qui peut s'énoncer de la manière suivante étant donné ses affinités avec l'écriture, l'art hiératique n'aurait-il pas été sous la dépendance de l'une des deux lois essentielles qui ont présidé à la formation et au développemement de l'écriture hiéroglyphique, c'est-à-dire de l'idéographie?

L'art hiératique nous est parvenu sous ses deux formes constitutives, la sculpture proprement dite (ronde bosse) et le bas-relief, auquel se lie étroitement la peinture, car sa technique le fait rentrer dans la catégorie du dessin.

De toute manière, ces deux formes sont régies par les mêmes principes, malgré les différences qu'en comporte l'application. Mais pour la démonstration que nous avons en vue, nous devons nous en tenir au bas-relief où se trouvent réunies toutes les données du problème.

Nous rappellerons d'ubord que Rochemonteix (2) a démontré que, sous l'influence de la doctrine héliopolitaine qui solarisa toute la religion égyptienne, le temple se transforma d'habitation de la divinité conçue sur le modèle de l'habitation royale, en demeure du Soleil, c'està-dire en une sorte de microcosme de l'univers, d'où la division non seulement du temple, mais encore de cha

(1) La question se pose même, sur ce point, de savoir si la position de la jambe gauche dans les statues debout n'aurait pas pour cause originelle le canon traditionnel scriptural en vertu duquel tous les membres du côté gauche se détachent en avant, non seulement chez l'homme, mais encore chez les animaux, ce qui fait que tous les quadrupèdes sans distinction marchent l'amble.

(2) Le Temple égyptien. (Revue internationale de l'Enseignement, 15 juillet 1887), réimprimé dans Bibliothèque Egyptologique, t. ÏII, p. 1-38.

cune des chapelles en deux «aterti» (itr-tj), l'adoption du ciel étoilé et de thèmes astronomiques pour la décoration des plafonds (les thèmes astronomiques étant réservés à la salle hypostyle dh, bnt) et de la végétation du Nil et des marais (les fourrés de papyrus) ou de thèmes figuratifs se rapportant aux produits du sol pour le soubassement. Entre ces deux éléments s'étale toute la décoration qu'on pourrait appeler spécifique, car c'est cette décoration qui prétend exprimer la destination et le rôle de la chambre où elle est gravée. Une première impression s'en dégage il n'existe aucune discordance dans le jeu des conventions entre les éléments figuratifs et les éléments non figuratifs de cet ensemble. Toutes ces grandes vignettes qui se font suite, registre par registre, et qui représentent, comme on sait, les diverses phases du cérémonial accomplies par le roi, où chaque figure se trouve à son poste et se profile dans l'espace restreint que lui laisse les champs d'hieroglyphes, se révèlent, au premier coup d'œil, comme les parties d'un ensemble dont aucun élément n'est négligeable, ni arbitraire. La fantaisie de l'artiste en est sévèrement exclue.

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du

Après avoir observé qu'en chacun des raterti» le roi tourne le dos à l'entrée, tandis que les dieux lui font face pour exprimer qu'ils sont chez eux", examinons les éléments les plus nettement graphiques et communs à tous les tableaux. A la partie supérieure de chaque tableau, s'étirant sur toute la longueur, règne l'hiéroglyphe Ciel. Etoilé ou non, il n'est pas une image au sens ordinaire du mot, mais un idéogramme et ne paraîtra jamais en des tableaux extra-canoniques, bien que les scènes représentées aient pu se passer sub divo). De même, le sol y est son tour figuré par l'un ou l'autre des hiéroglyphes employés pour exprimer l'unité, la dualité ou la

(1) Dans les bas-reliefs des temples funéraires de la V dynastie, le signe céleste est limité à la représentation du dieu et du roi et ne s'étend pas sur les autres personnages; cf. BORCHARDT, Das Grabdenkmal des Königs Sahu-re, t. II, pl. I, V, IX, XIX, XX, XXVIII, XXXI et principalement XXXIII, etc.

pluralité territoriale du royaume —,=,=. Il arrive aussi que les deux côtés d'un tableau soient formés par les deux sceptres-supports().

y a

Entrons dans un monde plus réel, en abordant les personnages de cette mise en scène, sans toutefois se départir de l'idée que ce monde est celui des dieux. Comme ils sont humanisés, réprésentés à la même échelle et vêtus de la même manière le roi, il que là une présomption pour que ces images nous donnent le maximum de réalité ou de vraisemblance. Cependant un premier examen nous avertit que nous sommes devant un monde idéal, non selon la conception grecque, c'està-dire parfaitement beau, mais selon une conception d'un caractère tout à fait abstrait.

Le Roi. On observe d'un tableau à l'autre que son corps a été divisé en parties interchangeables d'une figure à une autre. Le torse et la tête, susceptibles d'inclinaisons quelque peu nuancées dans le bas-relief thébain, ne l'est plus que d'un petit nombre d'attitudes à l'époque grécoromaine. Les bras et les jambes ne s'articulent pas à volonté comme chez un mannequin, mais forment des angles et des ouvertures réglées d'avance. Une ouverture du bras et de l'avant-bras convient à trois ou quatre poses ou actes différents. Au moyen d'un certain alphabet des formes corporelles, on combinait toutes les attitudes qui peuvent se classer sous cinq chefs: l'approche ou la « sortie, l'« adoration", l'e offrande", le sacrifice des captifs, les «rites spéciaux tels que celui de la «fondation des temples et de la « course rituelle ». Ces attitudes mettaient le roi debout, en marche, courant, agenouillé, les bras tendus ou demi-tendus, dans la prière, la présentation d'une offrande déterminée, brandissant la massue, etc. (2).

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(1) MARIETTE. Monuments divers, pl. XXIII (petit temple d'Assouan). J'en ai vu maints exemples à Philae.

(2) C'est là probablement ce qu'il faut reconnaitre dans le passage suivant de la stèle C 14 du Louvre, 1. 9 et 10:

Lo-comme

(et non fo

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