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L'ACCESSION

DE LA PLEBE ÉGYPTIENNE

AUX

DROITS RELIGIEUX ET POLITIQUES

SOUS LE MOYEN EMPIRE,

PAR

M. ALEXANDRE MORET.

Champollion et ses continuateurs immédiats n'ont connu, en fait de textes funéraires, que les Livres des Morts des dernières époques; c'est à la fin du siècle dernier qu'ont été découverts les textes des Pyramides royales de la VI dynastie et des Sarcophages du Moyen Empire. L'importance religieuse de ces grands corps de formules a été parfaitement reconnue, sinon approfondie; mais leur signification, au point de vue social, a été peu mise en lumière; elle est cependant d'un intérêt capital pour l'histoire du peuple égyptien.

Ces textes ne diffèrent pas essentiellement de nature : les Livres des Morts reproduisent des chapitres des Sarcophages, et ceux-ci recopient déjà un choix de formules prises dans les Pyramides; il existe donc un fonds commun aux trois séries. Mais une différence très importante réside dans l'utilisation de ces recueils par telle ou telle classe de la société égyptienne. Les formules des Pyramides sont écrites pour les seuls Pharaons; celle des Sarcophages et des Livres pour tout homme, qu'il soit roi, laboureur ou artisan. Historiquement, cela signifie que depuis le Moyen Empire le peuple égyptien a obtenu la collation de droits

religieux dont les Pharaons jouissaient seuls sous l'Ancien Empire. Or, dans les sociétés antiques, où la religion est le fondement des institutions, droits civils et politiques sont inséparables des droits religieux. En Grèce et à Rome, l'histoire de la conquête du jus civitatis par la plèbe est celle du démembrement des privilèges religieux des rois ou de l'oligarchie par le peuple: celui-ci n'obtint de participer aux choses sacrées» μετεῖναι τῶν ἱερῶν, c'est-à-dire à la vie légale de la cité (), qu'après des luttes séculaires et de sanglantes révolutions. Que s'est-il passé en Égypte? Est-ce que, sous l'Ancien Empire, les droits civils et politiques dérivaient aussi des droits religieux? Lorsque nous assistons, sous le Moyen Empire, à une véritable démocratisation des rites funéraires, faut-il en conclure que l'importance sociale du peuple s'est élargie? Ce changement est-il le résultat d'une évolution progressive ou d'une révolution? Tels sont les points à examiner.

Sous l'Ancien Empire, à la belle époque des dynasties memphites (IVe-Ve dyn., 2840-2540), le régime politique et social c'est la monarchie absolue de droit divin, à peine dégagée de ses origines magiques » (2). Le roi tire son pouvoir du fait qu'il est le dieu Horus parmi les hommes, le fils de Ra, aussi bien que l'héritier d'Osiris. Il concentre en sa personne tous les droits religieux : vivant, il est adoré tel qu'Horus, mort, il devient Osiris dans l'Amenti, et Ra au ciel. Entre les dieux et les hommes, seul il peut être l'Intermédiaire et l'Intercesseur, celui qui connaît et célèbre les rites (~ iriht), qui sait prier les dieux et connaît les secrets de la magie. Il en résulte, pratiquement, que le roi cumule toutes les fonctions suprêmes: prêtre, juge, chef d'armée; il est propriétaire de tout le sol de l'Egypte, son héritage divin; seul il donne des ordres, qui sont ses paroles, inspirées par les dieux. La loi n'existe pas encore, ni comme

(1) FUSTEL DE COULANGES, La cité antique, 1. III, chap. xi.
(2) J. G. FRAZER, Les origines magiques de la royauté, chap. v.

concept, ni comme mot; les ordres du roi (wdw: Urk., I, 38, 108, 109, 128) transcrivent « ce que le roi aime ou ce qu'il déteste» (); il n'y a pas d'autre droit que le bon plaisir du roi, tempéré par le sentiment de la Justice divine, que le roi défend sur terre, comme Osiris le fait dans la nécropole (Rec., XXIX, 88) et Ra au ciel (BREASTED, Religion and Thought, 17).

Cependant, pour administrer l'Égypte, le roi a besoin d'auxiliaires i les choisit dans la famille royale, qui. sans être divine, participe quelque peu de la condition surhumaine de son chef. Dans les textes memphites, nous constatons quels rôles importants jouent autour du roi ses femmes (hm-t nswt, Ţ sa'm, cf. BORCHARDT-SETHE, Sahoura, II, 117, n. 1)(2), ses fils ( sy mr-fe son fils chéri »), ses petits-fils (ou trh nswt, Rec., XII, 143; Sah., II, 76, n. 7), et aussi les amis (¦ smrou, cf. mêmes références) et les féaux ou attachés (imahou, Rec., XIX, 122). Dans ce personnel, presque exclusivement, les rois recrutent leurs agents, dont les principaux sont: 1° les prêtres prophètes ou serviteurs du dieu (11 hm-ntr): lecteurs ou officiants (sm, hry-hb). les juges, dont le premier est le vizir taty; sous la IV dynastie, tous les vizirs sont fils de roi; sous la Ve, la plupart sont petits-fils de roi (A. WEILL, Veziere). 3° les hauts fonctionnaires du palais, du trésor (18 le chancelier du dieu), des magasins, des domaines, des armées, parmi lesquels de très nombreux chefs du secret (3) des différents services; ceux-ci ne sont pas encore ce que nous appelons des secrétaires; ils détiennent, par la confiance. du roi, les divers secrets magiques, religieux, ou pratiques (métiers, industries) qui font le prestige de la

(1)

N

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«ce qu'aime le roi, et 757
et. 二

ce que déteste le roi très juste: R. WEILL, Décrets, 33, 24;

A. MORET, Chartes, II, 277, 280.

(2) Parfois aussi le beau-père du roi (

it-ntr mry «père aimé du

dieu), quand le roi épouse d'autres femmes que ses sœurs.

(3) Pour la varieté des chefs du secret, cf. l'index des titres de miss Murray; l'importance de ces secrets apparaîtra plus loin, p. 346.

royauté ; beaucoup sont parents du roi; tous, ses féaux. (0); Etre chargé d'un office royal, c'est participer aux choses divines; aussi, quand il choisit un grand fonctionnaire, le roi le consacre-t-il par une onction (wrḥ), ou lui rend-il hommage" ( (nd), comme il fait aux êtres divins (Rec., XXVIII, 184, C. R. Acad. Inser., 1915, 554; 1916, 108). Pour rémunérer ses agents, le roi leur sert des rentes alimentaires pendant leur vie et après leur mort; il leur donne la quasi-propriété de terres détachées du domaine royal, avec faculté de les aliéner, après autorisation par charte royale (Rec., XXIX, 63. 70); une partie de ces terres reste aux descendants fournir tombeau et offrandes.

pour

Les parents et les agents du roi, outre leur participation au gouvernement, jouissent donc de privilèges religieux; le roi leur permet encore d'imiter les rites magiques, dont il use lui-même, pour survivre après la mort. Ces rites secrets, inventés par Isis pour Osiris, ont été de toute antiquité appliqués aux rois : aussi, la « mort du roi (min nswt) ne ressemble pas à la mort de tout mort" A- mt n mt nb, Pepi, 665); elle aboutit non à la destruction, mais à la vie

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(Ounas, 206) pourvu, toutefois, que le roi prouve devant

le tribunal des dieux, que sur terre, comme Osiris, il a pratiqué la justice (Ounas, 453). Il y a un tel intérêt, pour la société des hommes, à ce que le roi reste, après la mort, l'Intermédiaire vivant et le Défenseur de son peuple auprès des dieux, que l'Égypte entière travaille à préparer les moyens qui garantiront au roi cette vie d'outre- tombe il lui faut un tombeau inviolable, tel que les Pyramides, des cercueils, pour garder la momie incorruptible, des offrandes quotidiennes réelles ( htp nswt, Ounas, 84°), ou suscitées par la force magique de la voix ( pr-hrw nswt, Ounas, 86). Pour rappeler la momie à la vie, on pratique des rites magiques : «l'ou

:

(A ce sujet, cf. FRAZER, Les origines magiques, chap. iv. Sur la survivance, dans l'Egypte pharaonique, de la croyance aux pouvoirs surnaturels et secrets du roi, cf. mes Mystères égyptiens, 179 et suiv.

verture de la bouche et des yeux (wip ra' irty); il existe des formules qui conduisent le roi dans l'Occident, chez Osiris, et qui le font monter au ciel, auprès de Ra, le soleil maître de l'Univers, d'où il gouvernera le monde. Le roi devient, par ces moyens, un dieu Osiris justifié Osiris ma'a-brou); les rites l'ont espiritualisé (sia'hout, BREASTED, Rel., 55), ont fait de lui, au ciel, un être immatériel, à noms et formes multiples ( ? ba' « âme », u̟ ka', rn « nom »; †shm & puissance") tout en conservant sur terre son corps indestructible.

De ces moyens de survie après la mort, que les rois possédaient à un degré suprême, ils ne communiquaient à leur famille et à leurs amis que la moindre part. Pour la conservation et l'alimentation des cadavres, les rois sont généreux ils accordent tombeau, stèles funéraires, sarcophages, cercueils, momies, statues, offrandes (A htp rdj nswt « offrande que donne le roi »); dans des nécropoles groupées autour des pyramides royales, ils concèdent les terrains nécessaires pour construire le tombeau et produire les offrandes (Rec., XIX, 123 et suiv.). De même, les rites qui font revivre la momie ( sia'hout, wipra', Mten, IIIe dynastie, L. D., II, 4-5) et sortir les offrandes à la voix (T pr-hrou) sont révélés par le roi à son entourage. Mais l'existence d'outre-tombe promise aux parents et amis du roi ne comporte, à ce moment, que le séjour dans le tombeau, et des voyages sur les beaux chemins de la divine région inférieure, ou rà l'Occident, auprès d'Osiris, là où voyagent les attachés imakhou » (1). D'accès au ciel, il n'est pas question; seul, le roi ira vivre auprès de Ra. D'ailleurs, sauf par l'intermédiaire du roi, les hommes, même de la famille royale, n'entretiennent aucun rapport avec les dieux. En dehors

(1) Voir GARDINER, The tomb of Amenemhēt, p. 79-93. A l'époque envisagée, on trouve dans les tombeaux soit une formule bipartite (type: Mast., p. 108) qui promet au défunt, de la part du roi, 1° un tombeau, 2° des offrandes aux jours de fêtes de la nécropole; soit, un peu plus tard, une formule tripartite, promettant 1° le tombeau, 2° des offrandes, 3° le voyage auprès d'Osiris sur les beaux chemins où circulent les imakhou (type: Mast., p. 149),

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