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OBSERVATIONS

SUR LE PAPYRUS RHIND I,

PAR

M. ISIDORE LÉVY.

I. IDÉES GRECQUES.

Vers le milieu du Papyrus Rhind I, entre la formule de la purification par Horus et Thot et un discours du mort à Osiris, apparaît un développement désordonné, quoique court, mais dont le sens général n'est pas douteux c'est une consolation adressée au mort, à qui sont énumérées les raisons d'accepter l'inévitable destin (1). Georg Möller, comparant le texte hiératique et le texte démotique du bilingue, a observé (2) que le démotique représente ici le texte original dont le document hiératique est une traduction en plusieurs points inintelligible; c'est dire que le morceau est de rédaction tardive, qu'il est le produit de l'époque ptolémaïque, peut-être même du début de l'époque romaine (le papyrus thébain est de la vingt et unième année d'Auguste, an Ix avant l'ère chrétienne). Mais l'on peut aller plus loin et assurer que la Consolation au Défunt est un hors d'oeuvre à qui on chercherait en vain un parallèle exact dans la littérature funéraire égyptienne et qui manifeste presque à chaque pas l'influence grecque (3).

Pap. Rhind 1, VII, 1-5 (hiér. et démot.) Georg MÖLLER, Die beiden Totenpapyrus Rhind, p. 34-35. Dans le papyrus Rhind II, pl. VI, 2-3, le morceau n'est représenté que par un extrait atrophié (MÖLLER, p. 87, 93). (2) MÖLLER, loc. cit., p. 10, n. 9.

(3) Il ne manque assurément pas en Égypte de texte où sont mises en œuvre des idées fort voisines de celles qui vont nous occuper il suffit de rappeler le Chant du Harpiste et les compositions analogues (MASPERO,

Le texte démotique peut se rendre ainsi : (1) O toi qui es mort, allant à l'Amenthès, tu as vieilli sur terre en une belle existence. Ne laisse pas le chagrin s'élever dans ton cœur alors que meurent de petits (2) enfants, tu as atteint la vieillesse. Tu as mangé et tu as bu, et as fait tout ce qui t'agréait; (3) toutes choses t'étaient offertes et jamais on n'a dit « non devant toi, car celui devant lequel tu te rends, c'est le frère aîné des saints dieux (4) l'enfant vénérable des dieux et des déesses, le roi vie, santé, force! - des dieux et des hommes, le roi vie, santé, force! - de l'Autre Monde. Les animaux sacrés (5) des grands dieux, l'un succède à l'autre jusqu'à la fin des temps. Que ton cœur se réjouisse avec les esprits des élus en compagnie desquels tu sers Osiris. » Faisons abstraction du coloris égyptien que créent le nom de l'Amenthès, la périphrase qui désigne Osiris (1. 3-4), la mention des animaux sacrés, l'idée du «service" dont le défunt s'acquitte devant Osiris, la prosaïque réduction du bonheur terrestre au manger et au boire (), nous restons en présence d'une argumentation aussi familière à l'antiquité grecque qu'elle est insolite en Égypte. Ne t'afflige pas, car tu as atteint une heureuse vieillesse et nul être n'échappe à la mort; les créatures les plus proches de la divinité subissent l'inflexible loi, et disparaissent pour céder la place à d'autres.

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Ne laisse pas le chagrin s'élever dans ton cœur traduit le μὴ λυποῦ (3) οι ἀμερίμνει des inscriptions funé

Études égypt., t. I, p. 172 et suiv.; W.-Max MÜLLER, Die Liebespoesie der alten Agypten, p. 29 et suiv.). Mais le morceau inséré dans le Papyrus Rhind se distingue nettement de ces produits authentiques de l'esprit indigène: c'est le mort qui est interpellé, et l'écrivain entend, non inviter ceux qui mourront demain à se håter de jouir de la vie, mais prêcher la résignation à l'inéluctable loi.

(Cf. VIII, 8-9 (MÖLLER, p. 40-41), où les dieux qui président aux quatre viscères proclament à la louange du mort que, sa vie durant, il ne les a laissé manquer de rien, que tous les jours ils ont bu jusqu'à l'ébriété, mangé de l'oie et du poisson et dormi leur soul.

(3) Μη λυποῦ, τέκνον· οὐ[δ]ὶς ἀ[θάνατος (CIG, 9589). A la première personne : εὐψυχώ Νικομήδης, ὅστις οὐκ ἤμην καὶ ἐγενόμην, οὐκ εἰμι καὶ οὐ λυποῦμαι (IG, XIV, 1879).

raires, généralement suivi de la formule ovdels à¤ávatos (1). Mỳ λuño se retrouve dans l'Égypte impériale sur stèles (2) et tablettes de momies (3) et l'emploi s'en est répandu plus tard au point que l'épigraphie chrétienne fournissait, dès 1907, 45 exemples (") de l'expression, qui a passé telle quelle dans l'épigraphie copte. Evyuxe, qui paraît avoir eu, à l'origine (comme Oάpos), la même signification que μñ λʊñоũ (5), est parfois semblablement accompagné de Ροὐδεὶς ἀθάνατος qui en fait un appel à la résignation (6).

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Tu as atteint la vieillesse. Le motif de résignation tiré d'une longue existence comblée de biens était un lieu commun de la rhétorique funéraire de Grèce; le pseudo-Denys d'Halicarnasse, distinguant les consolations appropriées aux divers âges de la vie, invite à tirer parti

() CIL, XIV, 1697 : ἀμερίμνει· παντῶν γὰρ βροτῶν ὁδὸς αὕτη.

(2) Μη λυποῦ, Ζηνοδώρα, οὐδὶς γὰρ ἀθάνατος ἐν κοσμῷ τουτῷ (DE RICCI, Revue archéol., 1902, t. II, p. 145, MILNE, Greek inscriptions (Catal. génér. Ant. Egypt. Caire), 9282.

(3) Variantes de la formule précitée : LE BLANT, Revue archéol., 1874, t. II, p. 250-2, n° 21, 23; GOLENISCHEFF, Invent. de la collection égypt. de l'Ermitage (1891), n° 1142: cf. Carl SCHMIDT, Zeitschr. für äg. Sprache, XXXII (1894), p. 62.

(4) G. LEFEBVRE, Inser. chrét. d'Égypte, p. XXX.

(5) Sans entreprendre une étude complète d'ɛvúxe, dont il a souvent été traité (LAFAYE, Culte des div. d'Alexandrie, p. 95; DIETERICH, Nekyia, p. 95; CUMONT, Les Religions orientales, p. 350; Max SIEBOURG, Archiv für Religionswissenschaft, VIII, p. 398 et suiv.), notons qu'il semble qu'il y ait lieu de distinguer deux phases dans l'histoire de cette formule. Expliqué par ὀνδεὶς ἀθάνατος, εὐψύχει ne peut avoir d'autre sens que : Courage! Dans cette acception, l'expression est suivant toute apparence d'origine grecque, quoiqu'on ne puisse en déterminer le point de départ (on n'a fourni aucune raison valable à l'appui des hypothèses de l'origine égyptienne (CUMONT), Syrienne (RENAN, Mission de Phénicie, p. 183 et 369), ou chypriote (S. REINACH, Traité d'Epigr. gr., p. 432, n. 2). Tout autre est le sens δ' εὐψύχει dans les formules osiriennes εὐψύχει. . . καὶ δοῖ σοι ὁ ὅσιρις τὸ ψυχρόν ύδωρ, BRECCIA, n° 332, 341, 375; εὐψύχει μετὰ τοῦ Οσίριδος, IG, XIV, 2098. Ici evfizet exprime un vou d'immortalité bienheureuse et indique une influence de la religion indigène; alors que le ne t'afflige pas du Papyrus Rhind témoigne de l'action de la formule grecque sur l'Égypte, les exemples de la dernière catégorie attestent la réaction de l'Égypte sur l'hellénisme.

(6) BRECCIA, Iscrizioni greche, 338 (Alexandrie?); Rec. Trav., XXXVII, p. 36, 7 et 8 (Péluse).

de celle-là quand il faut rendre les derniers honneurs à un vieillard : εἰ δὲ δὴ ἐν γήρᾳ τις τελευτήσειεν, ὅτι εἰς πᾶσαν ἀπόλαυσιν τῶν ἐν τῷ βίῳ καλῶν συνεμητρήθη αὐτῷ ὁ χρόνος (1).

L'appel à la résignation, l'argument tiré d'une vieillesse comblée n'avaient besoin pour passer du grec à l'égyptien d'aucun travail spécial d'accommodation. Dans l'argument final, au contraire, on observe une très curieuse égyptianisation de la notion étrangère.

«Les animaux sacrés des grands dieux, l'un succède à Les animaux sacrés ont ici dû se substituer aux

l'autre. héros.

C'est un poncif d'oraison funèbre, enseigné par les rhéteurs ὅτι πέρας ἐστὶν ἅπασιν ἀνθρώποις τοῦ βίου ὁ θάνα τος καὶ ὅτι ήρωες καὶ θεῶν παῖδες οὐ διέφυγον (2). Eerivains et fabricants d'inscriptions tombales ont brodé à l'envi sur ce thème : «Comment nous plaindre de la mort de nos enfants, puisque les dieux mêmes ne peuvent garantir leurs enfants de la mort?» dit Antipater de Sidon (3) à la fin d'une épigramme sur Orphée pleuré de Calliope. La mort d'Admète, prêtre d'Apollon à Théra, plonge dans un deuil cruel sa mère et sa femme. Mais quoi, Thétis n'a-t-elle pas eu à déplorer Achille (4)? Εὐψύχι, Μίδων, ουδεὶς ἀθάνατος καὶ ὁ Ἡρακλῆς ἀπέθανε, dit Grania Epictesis au mari enlevé à sa tendresse (5).

L'épigraphie grecque d'Égypte a formulé de diverses manières la même idée, tantôt indiquant brièvement que le destin infaillible atteint les fils des dieux (6), tantôt développant le thème à grand renfort d'exemples mythologiques. « Le ciseau des Moires n'épargne ni mortel, ni immortel. Tous ont disparu de dessus terre, Phaéton

(1) Ars rhetorica, VI, 5 (p. 30, 220 Usener); cf. BRUNO LIER, Philologus, 1903, p. 597, et GALLETIER, Etude sur la poésie funéraire romaine, p. 83. (2) Rhetores graeci, III, p. 414, c. 2: cf. Max SIEBOURG, loc. cit., p. 407. (3) Anth. Pal., VII, 8 (TEICHMÜLLER, II, p. 8).

() IG, XII, m, 868 KAIBEL, 192.

(5) IG, XIV, 1806.

(6) CIG, 4708=Kaibel, 414; FroeHNER, Musée du Louvre, 161; REVILLOUT, Revue égyptol., IV, p. 44.

pleuré par le Titan Hélios, Myrtilos, fils d'Hermès, Achille, Sarpedon, fils de Zeus, et Alexandre qu'engendra Ammon transformé en serpent (1). »

L'Égypte indigène n'avait rien qui répondît à la légende des Héraklès, des Achille, des Orphée, les plus nobles des vivants, que leur origine divine ne garantit pas de l'inévitable. Mais elle avait ses bœufs et ses crocodiles sacrés, les Apis et Mnévis, les Soukhos, incarnations de la divinité, condamnées en dépit de la sublimité de leur essence à une fuite brève de jours. L'écrivain démotique ne pouvait masquer plus heureusement son emprunt qu'en remplaçant le héros, spécifiquement hellénique, par l'animal sacré, propre à la vallée du Nil. Mais si adroitement voilé qu'il soit, l'emprunt n'est pas dou

teux.

Sous le vernis égyptien, ce sont donc des formules grecques que nous apercevons dans la Consolation démo

tique. Cette page du Papyrus Rhind enseigne que, dès le début de l'ère romaine, dans cette Thèbes restée profondément égyptienne, l'influence de la civilisation alexandrine a pénétré la bourgeoisie indigène. Elle fait pendant, pour ne parler que des textes funéraires, à ces inscriptions grecques, monuments du contact des deux civilisations, où voisinent des conceptions disparates et des formules hétérogènes, par exemple l'épitaphe d'Héroïs (2) à qui l'on souhaite d'une haleine κόνιν σοί κούφην καὶ δοίη ψυχρὸν Ŏσapis üdwp, ou celle d'Apollos de Lycopolis (3) qui « sert »

(1) Rev. archéol., 1880, t. II, p. 166 (CAGNAT) et 1883, t. I, p. 194 (MILLER) = MILNE, n° 9224. L'inscription est d'Alexandrie.

(2) Revue épigraphique, I, p. 145 (DE RICCI); cf. le monument de Tasu chion (Ausf. Verzeichniss der aeg. Alterthümer, n° 11631) où l'inscription grecque souhaite que la terre soit légère à la défunte, tandis que l'inscription hiéroglyphique contient la formule de la libation d'eau.

(3) Texte cité supra, p. 506, n. 6. Contrairement à ce que croit FARNELL, Greek Hero Cults, p. 401, νῦν δ' Αβυδηναίου τοῦ Ὀσείριδος ἀμφιπολεύω ne signifie pas que le défunt soit enseveli à Abydos (déjà Kaibel avait, avec raison, repoussé cette interprétation), mais paraphrase la formule nρsτεῖν τὸν μέγαν θεῶν Οσιριν (cf. I. Lévy, Cinquantenaire de l' École pratique des Hautes Études, p. 277), qui elle-même traduit le démotique servir Osiris, le dieu grand d'Abydos».

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