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CHAPITRE XI

TRANSFORMATION DE BATH AU XIX SIÈCLE. CONCLUSION.

Les romans de Mile Austen nous ont fait voir au seuil du XIXe siècle un Bath animé, bruyant, plus fréquenté probablement et plus encombré qu'à aucune époque, mais, par l'excès même de sa vogue et la trop longue durée de sa fortune, en voie de perdre certains de ses traits distinctifs '. La ville de plaisir a étendu trop loin son rayon d'attraction; les communications. rapides et faciles, la diffusion de la richesse en ont ouvert l'accès à trop de gens. Dans cette affluence universelle le public élégant, depuis quelque temps déjà, se sent mal à l'aise. Tant qu'aux salles d'assemblée ou à la buvette il avait dominé par le nombre ou régné tout au moins par le prestige, il avait pu accepter d'assez bonne grâce des coudoiements inévitables, s'amuser de certaines instrusions, frayer au besoin avec qui tenait à si grand honneur de l'approcher respectueusement. A présent ce public se voit submergé par l'autre; moins tolérant que jadis de certaines promiscuités, jaloux aussi d'affirmer des distinctions qui s'obscurcissent 2, il tend à se séparer de la masse et à se recons

1. Voy. ci-dessus, ch. vII, p. 202-211.

2. En 1822 (et c'est peut-être depuis quelque temps), toutes distinctions officielles de rang ont disparu des lieux publics :

No seats for peeresses, are now appointed,

But rank and titles are all disjointed,

And ev'ry upstart whom great Nash had humbled

With dukes and princes, counts and lords is jumbled...

(A Summer in Bath, p. 21).

tituer à l'écart. Plus de groupement unique; dans une population si nombreuse, chaque fraction est assez importante pour se suffire à soi-même, et Bath se reconstruit en compartiments séparés. Des sociétés diverses séjournent en même temps dans une ville bien aménagée pour les plaisirs élégants et consacrée par la tradition aux villégiatures joyeuses. Mais il n'y a plus, ou, pour parler plus exactement, il n'y aura bientôt plus, de société de Bath.

L'indice manifeste de cette transformation, c'est le déclin graduel de ces divertissements publics dont Nash avait fait le lien même du peuple qu'il régentait, le foyer destiné à fondre ensemble cent éléments divers. Dans la faveur du beau monde, ils sont remplacés de plus en plus par des réunions particulières et fermées, réunions insolites jadis, proscrites même au temps du monarque'. Si la buvette ou bien les salles d'assem

L'auteur ajoute :

The consequence is plain- they will not come.

But are to all their private friends, at home.

Un défenseur de Bath dit vers le même temps : « A few years ago, Bath was divided into a great many sets, but now I think they may be all resolved into two; the good and the bad... [The good] is not open, as many imagine, to every aspirant after fashion... It does not hold out its arm to every person of large fortune and low family. It does not always court the honour and patronage of those who have some little rank and less reputation. It is not always deaf to the suggestions of morality and good feeling - nor does it (as it has often been accused of doing) press into its service every man who wears pantaloons » (Album, 1825, p. 180).

1. Voir là-dessus J. Austen, citée plus haut, ch. vII, p. 211, et cf. Wonders of a Week in Bath, Monday (1811), et A Summer in Bath, p. 10, 19, 22, 43. Un historien local, Warner, remarque bien ce changement et son importance; il montre aussi comment la rigide discipline établie par Nash ne put être maintenue par ses successeurs : « Acting upon the grand principle of congregating the devotees of fashionable amusement, regularly and frequently, into one brilliant focus, he had discountenanced all private parties and select coteries: and the daily and nightly attendance at the public Rooms formed as integral a part of the business and duty of Bath visitors, as their diurnal operations of eating and drinking... From the moment of Beau Nash's quitting the scene of his power and pride those corruptions and relaxations (which first sap, and then crumble, the mightiest states) crept, insensibly, into his formal and elaborate system of public punctilio : and the fear of violating the law that prohibited the domestic rout, and enforced a regular attendance at the public assemblies in which he had presided, gradually evaporated... Late dinners began by little and little to interfere with the regular early attendance at the Upper and Lower Rooms: and fatal « at homes », on the ball nights, to prevent that attendance altogether... Taste and fashion, now [après la disparition des maîtres des cérémonies fidèles

blée sont encore des plus fréquentées (on se souvient du tableau qu'en fait Dickens), ce n'est plus par la même assistance aristocratique, laquelle n'y paraît plus qu'à l'occasion et surtout par curiosité et les tient généralement en dédain 3.

Ce dédain, chose plus grave, de la part de plusieurs, puis d'un grand nombre, c'est Bath même, par une extension naturelle, qui commence à en être l'objet. Mile Austen, Dickens, témoignent, chacun à sa façon, de l'affaiblissement de son vieux prestige; les voyageurs le constatent aussi avec surprise, mais le plus curieux document et le plus explicite que nous ayons rencontré à ce sujet, c'est peut-être un long article, ou plutôt une série de deux articles, qui parut en 1824-1825 dans l'Album, journal périodique de Londres, sous ce titre : L'habitant de Bath. L'auteur anonyme, qui se dit habitant de Bath, y dénonce sans réserve ni merci la fausse élégance, les manières affectées ou impertinentes qui passent, dit-il, auprès des habitants ou des habitués de cette ville pour le suprême bon ton et dont il prétend qu'on se raille à Londres; il y fait en outre le comique exposé des mortifications qui attendent dans la capitale l'homme qui y apporte l'éducation et les manières de Bath. Faisons la part de l'exagération qui est

à la tradition] no longer checked, chose for solace and display, the private rather than the public arena »> (Literary Recollections, t. II, ch. xш, p. 3-8).

1. Du moins l'un des deux établissements, seul survivant, les Upper Rooms; encore, dès 1830, Warner nous dit-il que « frappées d'une phtisie inguérissable, elles traînent, à ce que l'on dit, une existence languissante et précaire (Literary Recollections, t. II, ch. xm, p. 1-8). Les Lower Rooms avaient fermé dės

1807.

2. Cf. ci-dessus, ch. vi, p. 211-221.

3. If it be Thursday night, the Rooms are generally looked into, but it is hardly advisable to join oneself to the herd who are dancing there » (The Album, 1825, p. 182). Il est vrai que, dans une réplique faite à cet article, se trouvent ces lignes : « ...Among the herd, a few weeks since, ...no less than eighteen ladies... bore honourable designations as relatives of nobility; and amongst the gazers upon the herd were Lord Liverpool and several other Nobles and their Ladies, who did not think themselves contaminated by the air of the Upper Rooms, nor their daughters degraded by dancing with the herd there assembled » (Remarks on the Bath Man, by a Man of the World, p. 20-21).

4. « Bath est abandonné de la mode après en avoir été le temple. Sa vieille élégance m'a rappelé les grâces de ces fats surannés qui trouvent au lieu d'envieux et d'émules des spectateurs bien froids, bien ennuyés, et même tant soit peu incrédules » (Custine, Mémoires et Voyages, p. 452 [1822]).

5. The Bath Man (nos VII et VIII, janvier 1824 et avril 1825, formant ensemble le volume IV du recueil).

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évidente; cette diatribe n'en montre pas moins combien l'opinion a changé au sujet de ce qui fut l'académie de la mode. Quel poids de mépris, nous y dit-on, entraîne ce petit mot de Bath dès qu'il est joint au nom de quelque malheureux par quiconque a le moindre lien ou le moindre rapport avec la grande cité »>! En vain, voyant << la sainte horreur avec laquelle tout homme et toute femme à la mode regarde une personne de Bath »2, le pauvre échappé de cette ville essaye-t-il d'amender ses façons, de les régler sur celles de Londres, « la tache... reste sur lui et il ne peut l'effacer »; veut-il, humiliant subterfuge, dissimuler d'où il vient, bien vite quelque façon cavalière a trahi clairement son Bath, quelque propos mi-embarrassé, mi-hardi dénonce l'élégante cité, ou bien c'est quelque compliment forcé, quelque extravagante flatterie qui vous attire la remarque dédaigneuse : voilà qui sent son Bath »'. Dans un bal, invitant une dame à danser, après le déplaisir de s'en voir refuser, il a celui de l'entendre qui chuchote à sa voisine : « Si je n'avais déjà su qu'il venait de Bath, j'aurais pu en répondre par serment » ". Tout cela, avec cent humiliations pareilles, nous est conté comme expérience personnelle. Aux yeux de l'auteur, la société de Bath et celle de Londres ne se ressemblent plus en rien; il a cru trouver dans la grande cité « une autre race, une espèce distincte ». Dans la ville d'eaux, hommes et femmes de la société, sans être ordinairement vulgaires, sont d'un siècle au moins en retard sur ceux de la capitale en ce qui touche les manières, l'habillement, la mode ». C'est,

1. «< What a world of contempt is conveyed in that little word Bath, when applied to some unfortunate, by one who claims any kindred or connexion with the great city » (The Album, t. IV, p. 173).

2. « Knowing the holy horror with which every man and woman of fashion in town regards a Bath man, I have of course been most anxious to conceal the fatal truth... » (ibid., p. 174).

3. «...The stain of the place is upon him, and he cannot wash it out» (ibid., p. 173).

4. « Some pert peculiarity of manner has carried Bath upon the very face of it; some half awkward, half impudent speech, betraying the elegant City, or some ultra compliment, or extravagant flattery, has drawn forth the contemptuous observation, how Bathish ! » (ibid., p. 174).

5. « If I had not known before that he was a Bath man, I could have sworn it » (ibid., 2e article, p. 422).

6. « They appeared a separate breed and distinct rate of people» (ibid., 1er article, p. 186).

7. « The men and women of the best set, though not generally vulgar, are at

semble-t-il, de la population sédentaire de Bath qu'il s'agit ici, mais l'énorme augmentation de celle-ci (vingt-cinq à trente mille âmes dans le premier quart du siècle au lieu des deux à trois mille qu'y trouva jadis Nash) 2, la place considérable qui lui revient en conséquence, voilà précisément l'un des traits nouveaux de la ville et l'une des raisons qui y hàtent la formation de coteries séparées. Comme la ville est agréable, gaie, bien bâtie, bien aménagée, fournie de toutes choses; comme on peut d'autre part y faire figure et tenir haut rang plus facilement et à moins de frais qu'à Londres ou à la campagne, un très grand nombre de gens ont fait comme le sir Walter Elliot de Me Austen 3; ils l'ont choisie pour résidence et s'y sont fixés à demeure; Mme Montagu, en 1779, a déjà aperçu et décrit cette population permanente, assez différente, distincte en tout cas de l'autre. En font partie,

least a century behind the metropolitans, in every thing like proper style, dress or fashion » (ibid., p. 180). Sur ce point comme sur les autres, l'auteur des Remarks on the Bath Man défend sa ville; il s'efforce également de mettre au compte personnel du Bath Man les avanies qu'il prétend avoir souffertes. Il a là beau jeu et peut-être raison, mais il est curieux qu'il ait jugé nécessaire une réponse en règle. Il faut remarquer aussi que le directeur de la revue londonienne soutient spontanément son rédacteur : « Ourselves have been in Bath during the last month, and have witnessed the commotion the first part of this paper has caused there with a mixture of merriment, sorrow, and disgust... Why, ... we ask, is Bath to be exempt from ridicule, which, as all its sensible inhabitants and visitors will allow, contains more folly and is more open to ridicule, than any other town of its size in his Majesty's dominions? » (The Album, p. 413, note du directeur en tête du second article).

1. Mainwaring donne le chiffre 34.163 pour l'année 1801 (Annals of Bath, p. 11). 2. Voy. ci-dessus, ch. 1, p. 8, note 3, et cf. ch. x, p. 284, note 2.

3. Voy. ci-dessus, ch. vi, p. 210. Comparez cette déclaration du Bath Man: << My father had come to live entirely at Bath for the same reason that most people do because they cannot afford to live in London or the country» (The Album, 1825, p. 175).

4. « There are many people established at Bath who were once of the polite and busy world, so they retain a certain politeness of manners and vivacity of mind one cannot find in many country towns. All contracted society, where there are no great objects of pursuit, must in time grow a little narrow and un peu fade; but then there is an addition of company by people who come to the waters, from all the active parts of life, and they throw a vivacity into conversation which we must not expect from persons whose chief object was the odd trick or a sans prendre... The ladies, as is usual in little societies, are some of them a little gossiping and apt to find fault with the cap, the gown, the manner, or the understandings of their neighbours. But that does not much concern the water-drinkers, who, not being resident, are not the object of this envy; and I must say, they are all very obliging to strangers » (lettre à

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