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1619-1622. Toutes les fois qu'il y a eu en Europe deux puissances prépondérantes, il y a eu en même temps rivalité, envie, opposition, animosité nationale. Ceci étoit le résultat naturel des guerres entre les rois qui faisoient passer leurs passions entre les peuples. La même antipathie et ces haines implacables qui ont séparé les Anglois et les François depuis les guerres de l'Inde, celles de l'émancipation de l'Amérique, de la révolution et de l'empire jusqu'en 1815 et même au-delà, ont longtemps divisé la France et l'Espagne. Il y a trois siècles, François Ier et Charles-Quint étoient deux rivaux que la terre ne sembloit pas pouvoir porter ensemble; des guerres interminables eurent lieu entre eux, et ils léguèrent des haines et des combats à leurs successeurs Henri II et Philippe II qui continuèrent ces tristes débats. Il en résulta une antipathie nationale entre les deux peuples François et Espagnols qui se transmettoit de père en fils et étoit tellement enracinée dans les deux nations, qu'il n'y avoit pas sûreté pour un François de voyager avec son costume en Espagne, et réciproquement.

Le docteur don Carlos Garcia raconte fort plaisamment que voulant s'instruire des mœurs et des coutumes des François, il résolut de visiter leur pays. Il s'équipa de son mieux à l'espagnole, et arriva à Paris avec sa fraise d'un pied de haut et sa longue rapière traînante. Il n'eut pas fait vingt pas dans la rue,

d'un air grave et posé, que reconnu tout de suite pour un castillan, il fut assailli par les cris des enfans, les huées des laquais, les criailleries des femmes; traqué, poursuivi, honni, battu et vilipendé, il fut trop heureux de trouver une église ouverte pour se réfugier; mais en y entrant il resta encore l'objet des risées des fidèles, dès qu'on s'aperçut qu'une queue de lièvre et un boyau de mouton avoient été attachés à son manteau qu'il portoit magistralement et sans se douter, le moins du monde de cette nouvelle avanie. Ponr rentrer chez lui, il fut heureux de profiter de l'escorte de deux gentilshommes qui avoient été en Espagne et qui le reconduisirent. En son chemin il eut encore l'avantage de rencontrer un aveugle et son chien, lequel sautoit pour le roi de France, et refusoit de le faire pour le roi d'Espagne; au nom de ce monarque, le malicieux animal grinçoit et montroit les dents, et hérissoit son poil, ce qui amusoit beaucoup le peuple qui donnoit force monnoie à l'aveugle. Enfin, au moment de gagner son logis, don Garcia obtint encore la satisfaction de voir un enfant pleurant sur sa porte et à qui sa mère disoit, en le voyant passer: « Si tu n'es pas sage, je vais te donner à l'Espagnol qui emporte les enfans méchans. » L'enfant fut si fort effrayé de le voir, qu'il se tut à l'instant même et demeura en repos.

Garcia fut martyrisé à Paris, la ville la plus polie de l'Europe, jusqu'au moment où il se vêtit à la françoise, ce qu'il se hâta de faire; mais il resta tellement frappé de voir que l'inimitié et la haine des deux nations étoient si grandes et si populaires qu'elles faisoient effet jusque sur les enfans presque à la mamelle, et qu'elles servoient aux aveugles d'instrument pour gagner leur vie, qu'il résolut d'approfondir cette question et de composer un ouvrage sur ce sujet.

Une circonstance politique favorisa ce projet. Louis XIII épousa en 1615 la sérénissime infante d'Espagne, seule digne entre toutes les filles d'Adam, dit Garcia, de devenir la très chrestienne reyne de France. On put parler alors ouvertement. dans les deux pays d'une antipathie qui devoit se fondre dans l'alliance nouvelle, et passer à l'état de souvenir et de chose an

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cienne. C'est ce qu'exécuta fort adroitement le docteur don Carlos Garcia. Son livre eut un grand succès, et fit beaucoup de bruit dans son temps. On y trouve sur les mœurs espagnoles des notions qu'on chercheroit vainement ailleurs. Chaque coutume, chaque usage est toujours mis en opposition avec les coutumes et les usages françois d'une manière piquante et originale. Nous pensons que la plus ancienne édition de cet ouvrage est celle de Cambray qui porte un double titre disposé de cette façon singulière :

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L'opposition et conjonction des deux grands luminaires de la terre, œuvre curieuse et aggréable (sic), en laquelle il est traicté de l'heureuse alliance de France et d'Espagne, et de l'antipathie des François et des Espagnols.

Composé en espagnol par le docteur Charles Garcia, et mis en françois par R. D. B., c. s. d. l'. c.

Dédiée au très noble et très généreux capitaine dom Jean Davalos et Zambrana, du conseil de guerre de Sa Majesté en ces estats de Flandes (sic.), lieutenant du gouverneur de la ville et citadelle de Cambray et pays de Cambresis.

A Cambray, de l'imprimerie de Jean de la Rivière. MDC.XXII.

Ce livre, de format in-12, contient 7 folios et 514 pages dans lesquelles le françois se trouve partout en regard de l'espagnol. L'approbation castillane est signée A. Rodriguez, curé et chapelain de la citadelle de Cambrai, qui n'est peut-être pas étranger à la traduction; et la françoise par Max. de la Porte, pasteur de Sainte-Magdelaine. L'ouvrage est divisé en 20 chapitres.

Je possède une seconde édition de cet ouvrage, imprimée à Rouen, chez Jacques Cailloue, 1630, in-12, 401 pages, esp. franç. Réimpr. également à Rouen, 1638, in-12. Et à Gandt, Fersanders, 1645, pet. in-8. Il fut traduit en italien sous ce titre : Antipathia de Francesi et Spagnuoli, opera piace

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vole e curiosa del dottor D. Carlo Garcia, tradotta di spagnolo in italiano da Clodio Vilopoggio. In Venetia, 1651, pet. in-12, 216 pages. En 1688, parut un autre ouvrage fran-. çois sur le même sujet, mais ce n'est pas une traduction de celui de Garcia. Lamothe le Vayer traita cette matière insérée dans ses œuvres. En 1809, à l'occasion de la guerre d'Espagne, on a réimprimé, à 25 exemplaires seulement, cet opuscule sous ce titre De la contrariété d'humeur qui se trouve entre certaines nations, singulièrement entre les nations Françoise et Espagnole, par Lamothe le Vayer. Paris, de Beausseaux, 1809, in-8, sur grand papier vélin.

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Don Garcia, qui est resté inconnu des biographes et qui méritoit cependant un meilleur sort, a encore composé un traité fort rare et fort singulier que nous possédons, sous ce titre : La desordenada codicia de los bienos agenos. Obra apazible y curiosa, en laqual se descubren los enrredos y maranas de los que no se contentan con su parte. In Paris, Adrian Tiffeno, 1619, in-12, de 347 pages. Dédié à Louis de Rohan, comte de Rochefort. Traduit en françois par Vital d'Audiguier, avec l'indication plus brève de l'Antiquité des larrons, Paris, 1621, in-8.

Le docteur espagnol élabora cet obra apazible y curiosa, comme il appelle ses deux ouvrages, pendant son séjour à Paris et lorsqu'il y remarquoit les cavaliers saluant les dames et les embrassant, ce qui le scandalisoit fort, et lui faisoit dire que les Espagnols sortiroient des gonds en voyant cette chose, car selon leur maxime, qui donne la main donne la bouche, et qui donne la bouche donne tout. Si Garcia a pu voir de si grandes différences entre les habitudes espagnoles et françoises, il a au moins dû convenir que pour los que no se contentan con su parte, il en étoit tout-à-fait de même à Paris qu'à Madrid.

Arthur DINAUX.

VARIÉTÉS BIBLIOGRAPHIQUES.

DE LA VÉNERIE, PAR JACQUES DU FOUILLOUX.

Voilà tantôt trois cents ans que ce livre parut en France, pour la première fois, sous les auspices du roi Charles IX, à une époque où la chasse étoit un fruit défendu aux bourgeois et manans, et faisoit les délices de la noblesse, un traité sur la vénerie devoit être accueilli avec succès. Ainsi, l'auteur malgré les lenteurs de l'imprimerie d'alors, et le peu de goût des hommes pour la lecture, vit-il éclore coup sur coup cinq éditions de son ouvrage.

Les guerres de la Ligue et de la Fronde, les conspirations des grands vassaux contre le pouvoir royal, changèrent le cours des idées; on négligea la chasse pour des occupations plus sérieuses. Sous le règne du grand roi, la vénerie reprit faveur, mais la courtisanerie en apportant dans cet exercice l'étiquette du palais, lui ravit sa noble rudesse, borna ses courses effrénées, bannit ces bonnes licences et joyeusetés qui faisoient, au retour, le bonheur du castel. Sous Louis XV, la chasse ne fut plus qu'un prétexte, un rendez-vous d'amour où les grandes dames n'avoient garde de manquer, tant la solitude des bois. avoit de charmes pour elles. L'office du grand-véneur consistoit moins à poursuivre la bête qu'à ménagér aux chasseurs d'heureuses rencontres. Que d'intrigues à parties doubles, que d'excellents sujets de comédie! Combien de hauts et puissants seigneurs ont réalisé, au retour de la chasse, le refrain de notre vieux chansonnier : Ton, ton, tontaine, tonton..... témoin les jolies licencieuses du Parc-aux-Cerfs. La révolution vint faire de la chasse un droit de citoyen, et au milieu de ce changement des mœurs et des lois, Jacques du Fouilloux, le joyeux, l'habile chasseur, fut oublié : Sic transit gloria mundi.

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