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comme M. Francis Wey, consacrent un talent éminemment littéraire aux études philologiques.

On ne sauroit énoncer précisément à quelle date remonte le françois que nous parlons; les idiomes néolatins se sont composés peu à peu d'éléments hétérogènes, et nous sommes trop loin pour saisir les germes de la fusion. Villehardouin et le bonhomme Joinville sont peut-être plus proches de Montaigne et de Molière qu'on ne le croit communément ; néanmoins il y a encore dans Froissart de certaines saveurs de style qui ne vont guère qu'aux choses d'origine; les vaillans chevaliers de France et d'Angleterre offrent de saisissantes analogies avec les héros de l'Iliade et de l'Odyssée : l'historien racontoit naïvement ce qu'il avoit vu; aussi à aucune époque la structure de la phrase ne fut-elle en quelque sorte plus élémentaire; la richesse du tableau gît dans l'imagination vigoureusement trempée du chroniqueur, et non dans la variété de l'expression ou la recherche de l'épithète; jamais le genre descriptif n'est allé au delà. Les écrivains du quinzième siècle, Christine de Pisan, Antoine de la Sale, Eustache Deschamps, etc., tiennent de près à Froissart; toutefois la dèscription est chez eux moins abondante, moins naturelle, moins innée, si cela se peut dire ; leur langue, douée d'une clarté extraordinaire, bien fournie, a de l'ampleur et une merveilleuse netteté; dans la prose, les ballades et les petits vers, elle est admirable; mais elle se prêtoit plus difficilement aux exigences du récit épique. François Villon est le premier qui paroisse avoir soupçonné les ressources d'un mécanisme savant appliqué à l'accouplement calculé des mots, à la distribution artistement préparée des périodes. A lui appartient l'honneur d'avoir débrouillé, comme on l'a si souvent répété, l'art confus de nos vieux romanciers, et aussi d'avoir travaillé la langue, tâche parachevée plus tard par Rabelais, qui poussa cette manière jusqu'à son extrême limite. Au seizième siècle, les essais surgissent de toutes parts, la pratique des littératures anciennes ouvroient les horizons inconnus; c'est le moment par excellence des tentatives: Elisenne de Crenne calque le style de ses romans sur le latin de Cicéron et de Vir

gile; à peine prend-elle le soin de changer la finale des mots; la cour parle un jargon mi-parti d'italien et d'espagnol; Ronsard est hérissé de grec, d'Aubigné de gasconismes; le vocabulaire, si agrandi par Rabelais, s'emplit démesurément, et les tours singuliers affluent dans la diction. Cependant cette efflorescence fut contenue et parfaitement dirigée par Marot, par Bonaventure Despériers, par Henri Estienne, par Calvin, un de nos plus habiles prosateurs, par Amyot et par Montaigne; si bien que, sous Louis XIV, la langue se présente à nous classée, triée, refaite à neuf, tirée au cordeau, régulière et symétrique comme un jardin de Le Nôtre : l'Académie siégeoit; l'arsenal de l'écrivain fut remanié, c'est-à-dire appauvri. En effet, on ne sauroit le nier, les auteurs de l'épuration méconnurent souvent les lois imprescriptibles de la tradition et de l'étymologie, double joug hors duquel les innovations philologiques ne sont que de déplorables caprices. Les œuvres du grand siècle brillent par l'harmonie, par des beautés sans nombre, par une splendeur correcte; mais il y a aussi beaucoup de convention. En d'autres termes, les vives allures de la fantaisie ont fait place à une solennité pompeuse et pour ainsi dire imposée d'avance; le naturel en souffre.

Notre époque tranche visiblement sur celles qui ont précédé ; elle peut être caractérisée par un vilain mot grec que l'Académie a consacré, mais que M. Francis Wey, si fin connoisseur en matière de beau parler, laisseroit sans doute volontiers au lexique mêlé des chaires philosophiques; notre époque, dis-je, est éclectique. Les maîtres d'aujourd'hui prennent dans toutes les littératures et dans tous les siècles; ils n'empruntent pas uniquement à Boileau ou à Racine, ils puisent aussi dans Ronsard, et ils ont lu Shakspeare et Goethe. Les romantiques et les classiques de 1828 sont devenus des artistes soigneux, tolérans, chercheurs, qui s'en vont butinant et furetant partout, chez l'ami d'hier comme chez l'ennemi d'autrefois, profitant également des uns et des autres. Je ne vois point là néanmoins les indices de la pauvreté ou du dépérissement; et je serois, en vérité, fort en peine de choisir entre M. de Châteaubriand,

Bossuet et Froissart. Je me rangerai de préférence à l'opinion de ceux qui croient qu'une langue s'élève tout juste à la hauteur de l'homme qui la manie.

Je viens d'exhumer les classiques et les romantiques; j'ai dit qu'ils avoient fait trève en se donnant la main; que ceux-ci, sauf les récalcitrans endurcis, s'étoient résignés à reconnoître Marot et Ronsard, et ceux-là Racine et Boileau. Je ne voudrois pas d'autre preuve de l'entier accomplissement de cette péripétie, que le livre si remarquable ouvert devant moi. M. Francis Wey, comme on sait, adhère de tous points, par ses romans et ses précédentes compositions, à l'école romantique; et il est aisé de voir, en lisant les Remarques sur la langue françoise, combien cette école s'est amendée, et avec quel bon vouloir elle a fait taire certaines de ses antipathies. M. Wey proclame hautement les mérites (lorsque mérite il y a, bien entendu), des écrivains désignés jadis sous le nom de classiques. Son livre, en cela fidèle image de la situation présente, est un terrain neutre où les autorités de la langue, quelle que soit leur source, viennent se grouper sans distinction de parti. Du reste, la lutte devoit ainsi finir; des novateurs qui tiennent à honneur de rompre tout lien avec le passé, sont impuissans, fort heureusement, pour toucher au but; ils reprendront des vocables inusités ou rejetteront des tournures vieillies, mais le génie de la langue demeure vivace et préexistant; et ces novateurs seront forcés de l'admettre sous peine de périr. Aussi M. Francis Wey, pour combattre les envahissemens si multipliés du néologisme contemporain, a-t-il remonté hardiment le fleuve littéraire ; et si nous voulions définir d'un seul coup l'ensemble de son travail, nous dirions qu'il a jugé les écrivains d'aujourd'hui avec les bons écrivains d'autrefois.

La première partie de son livre contient une série de remarques détachées, et qui ont pour objet d'éclairer, d'élucider, de commenter certains termes, certaines formules de phrases puisés çà et là. L'étymologie du mot, sa propriété, ses acceptions, jusqu'à ses nuances les plus détournées, sont discutées et analysées c'est une charmante et spirituelle causerie, pleine

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de nouveauté, d'utiles enseignemens, de citations piquantes à l'appui, et que, pour notre part, nous préférons sans contredit à la prétention un peu lourde de l'abbé Girard; c'est aussi une protestation éloquente et énergique contre les vices du langage, quel que soit le nom sous lequel les vices s'abritent. Depuis Vaugelas, personne n'avoit tenté sur notre dictionnaire une recherche d'aussi longue haleine. Comme Vaugelas, M. Wey est tout à la fois écrivain et grammairien, qualités trop rarement réunies. Nous ne sommes plus au temps où un Henri Estienne discutoit curieusement la précellence du langage françois, la conformité du langage françois avec le grec; aujourd'hui, si nous exceptons M. Wey et quelques hommes honorables, les écrivains ne font plus de grammaire, et les grammairiens ne savent pas écrire. Il y a cependant dans une langue, et surtout dans une langue vivante, des phénomènes qui échappent en quelque sorte au domaine de la lexicographie, et qui ne peuvent être complètement dégagés que par un esprit doué du tact littéraire : Bonheur suprême, voûte azurée, parurent à nos pères de ravissantes témérités; en l'an de grâce 1845, ces mêmes expressions, irréprochables aux yeux du grammairien, répugneroient au dernier des romanciers. Le grammairien signale la faute, mais l'écrivain est seul compétent en matière de goût.

On n'attend pas de nous une remarque à propos de chacune de cinq cent dix-sept remarques de M. Wey. Que le lecteur lise lui-même, il trouvera partout la finesse de l'observation jointe à un profond sentiment de la langue. Avec un sujet nécessairement un peu aride, M. Francis Wey a su faire un livre attrayant; et ce n'est pas un petit mérite à lui que d'être parvenu à creuser les mystérieux abîmes de la linguistique érudite, sans jamais s'écarter de cette parole lucide et aisée, qui soutient l'intérêt sans l'affadir, et donne à un traité plein de science le charme d'une attachante conversation. Toutefois, il est quelques infimes détails que nous avons notés en passant et sur lesquels nous appellerons d'autant plus volontiers l'attention de l'auteur, que les Remarques sur la langue françoise ne sont pas

de ces ouvrages qui s'arrêtent à une première édition. Tome 2, page 11, je lis : « Ce n'est qu'à la renaissance qu'on se prit à écrire universellement : doulx,temps

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après, la doulceur, on feist, etc. Sans nous enquérir ici de l'époque où ces formes orthographiques parurent pour la première fois, il seroit, je crois, facile de constater à l'aide des manuscrits qu'avant la renaissance, au milieu du quinzième siècle par exemple, on écrivoit généralement : doulceur, - doulx, mesme, evesque, estoit, feust, aulcun,

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feist, etc. Le mot acertainer, indiqué tome 1er, page 177, comme une nouveauté de Rétif, étoit fort en usage parmi les contemporains de Villon. Lucifique et lucifuge (tome 1er, page 180) sont de Rabelais et non de Parent. Mirifique (ibid.), repris par Voltaire, étoit déjà dans la langue au temps du même Rabelais qui n'en est pas l'inventeur. Tome 1er, page 368, je découvre cette phrase : « La tendance archaïque de la nouvelle école a exhumé naguère cette acception surannée, etc. » Certes, si je n'avois pas affaire à un puriste aussi délicat, j'oserois à peine hasarder mon blâme; mais j'en appelle à M. Wey lui-même, et je le renvoie à sa remarque CXCIV; une tendance n'exhume pas quelque chose. Enfin, pour terminer avec la critique, l'auteur a, ce me semble, attaché parfois une importance trop grande à la langue exceptionnelle des sectes humanitaires ou des publicistes oubliés de tous les régimes. Fouquier-Tinville vouloit régénérer le monde; mais il n'eut jamais, que je sache, la prétention de régénérer la langue; son but n'avoit, hélas! rien de commun avec la littérature, et chacun est d'accord sur la valeur de son style. Que M. Francis Wey laisse donc de côté les humanitaires, les orateurs sans renommée et les publicistes sans talent, et qu'il réserve ses foudres pour des ennemis dignes de lui.

Dans la seconde partie de son ouvrage, M. Wey a traité particulièrement de l'art d'écrire au point de vue de la composition. Cette seconde partie, que l'auteur nomme trop modestement une ébauche, est en réalité un fort beau travail, mûre

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