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aux discussions des critiques. Le savant bénédictin publia donc, dans son Spicilegium Solesmense, le texte de l'épitaphe d'Abercius, d'après les manuscrits de sa vie conservés à la Bibliothèque nationale. Ces manuscrits appartiennent à des recensions fort diverses. Comme la plupart des vies de saints, celle de saint Abercius a été souvent remaniée, développée, abrégée, par Métaphraste et par bien d'autres. Au milieu de ces bouleversements, le texte de l'inscription, si fidèlement qu'il eût été transcrit par le premier auteur, ne pouvait manquer de se trouver quelque peu endommagé. Aussi dom Pitra se vit-il obligé de lui donner une forme avant de le présenter au public. Il fit appel au solertissimus Dübnerus, et, en combinant leurs conjectures, ils réussirent à obtenir-vingt-deux vers qui, de loin, ont l'air d'être des hexamètres. Ce n'était assurément pas la faute des éditeurs si le poème bravait encore plus d'une règle de métrique. Quand on songe à ce que les manuscrits leur ont fourni de vers trop longs ou trop courts, de mots intercalés, changés de place, égarés même, on peut s'étonner qu'ils aient réussi, avec ce texte, à remettre l'épitaphe sur ses pieds. Il n'y a qu'un reproche à leur faire, c'est d'avoir trop soigné sa toilette. Les vers d'épitaphes, nous en faisons souvent l'expérience, ne sont pas toujours des meilleurs; la prose elle-même, en ce genre de littérature, veut être déchiffrée avec indulgence. Il faut s'inquiéter du fond beaucoup plus que de la forme. Ici, le fond est exquis. Dans une suite de phrases poétiques et symboliques s'expriment les pensées les plus élevées, les préoccupations les plus intimes d'un fidèle de l'àge antique; puis vient un récit en langue mystérieuse, d'un voyageur qui a fait, comme Hégésippe, son tour de chrétienté, et comparé les traditions des différentes églises. La célèbre épitaphe de Pectorius d'Autun, retrouvée sur le marbre et celle d'Abercius, restituée d'après les manuscrits, sont au nombre des documents essentiels, des clefs du symbolisme chrétien, dans l'art, dans la poésie, dans l'éloquence. Je vais reproduire ici l'inscription d'Abercius, telle que la donnent les manuscrits, en tenant compte soit en note, soit dans le texte lui-même, des conjectures de dom Pitra et d'un document nouvellement découvert dont il sera question tout à l'heure.

1 Spic. Solesm., t. III, p. 533. Il se plaint de n'avoir pu retrouver le manuscrit de Boissonade. Les Bollandistes furent plus heureux (Acta SS. oct., t. IX, p. 485); c'est à eux que je dois l'indication que j'en ai donnée ci-dessus.

Ἐκλεκτῆς πόλεως πολίτης τοῦτ ̓ ἐποίησα
Ζῶν, ἵν' ἔχω καιρῷ σώματος ἐνθάδε θέσιν.
Οὔνομα 'Αβέρκιος ὁ ὢν μαθητὴς ποιμένος ἀγνοῦ
Ὃς βόσκει προβάτων ἀγέλας ὄρεσι πεδίοις τε,
5 Οφθαλμοὺς ὃς ἔχει μεγάλους πάντη καθορόωντας
Οὗτος γὰρ μ' ἐδίδαξεν... γράμματα πιστά.
Εἰς Ῥώμην ὃς ἔπεμψέ με (την) βασιλείαν ἀθρῆσαι,
Καὶ βασίλισσαν ἰδεῖν χρυσόστολον, χρυσοπέδιλον.
Λαὸν δ ̓ εἶδον ἐκεῖ λαμπρὰν σφραγίδα ἔχοντα.
10 Καὶ Συρίης πέδον εἶδον... καὶ ἄστεα πάντα,
Νίσιβιν, Εὐφράτην διαβὰς.

πιστὶς δὲ προῆγε,

Καὶ παρέθηκε τροφὴν πάντη, ἰχθὺν ἀπὸ πηγῆς
Παμμεγέθη, καθαρὸν, ὃν ἐδράξατο παρθένος ἁγνὴ,
15 Καὶ τοῦτον ἐπέδωκε φίλοις ἔσθειν διὰ παντὸς,

Οἶνον χρηστὸν ἔχουσα, κέρασμα διδοῦσα μετ' ἄρτου.
Ταῦτα παρεστὼς εἶπον ̓Αβέρκιος ὧδε γραφῆναι
Εβδομηκοστὸν ἔτος καὶ δεύτερον ἦγον ἀληθῶς.
Ταῦθ' ὁ νοῶν εὔξαιθ' ὑπὲρ ̓Αβερκίου πᾶς ὁ συνῳδός.
20 Οὐ μέντοι τύμβῳ τις ἐμῷ ἕτερόν τινα θήσει

Εἰ δ ̓ οὖν, Ῥωμαίων ταμείῳ θήσει δισχίλια χρυσά,
Καὶ χρηστῇ πατρίδι Ιεροπόλει χίλια χρυσά.

Notes critiques. Je n'indique ici que les variantes qui intéressent le sens et le mètre, car je ne prétends point faire une édition critique, mais seulement une reproduction approximative, pour les besoins de cette discussion historique. Pour les trois premiers et les trois derniers vers, on trouvera plus loin les explications nécessaires. V. 5, καθαρεύοντας ου καθορεύοντας codd.; - v. 6, dom Pitra supplée τὰ ζωῆς; v. 7, τήν est un supplément du même auteur ; var. πέδων; quelques mss. intercalent χώρας avant εἶδον, d'autres repetent εἶδον. — v. 11, 12 : ici le texte est en trop mauvais élat pour que l'on puisse rétablir le vers avec certitude. Les manuscrits donnent πάντη (ου πάντας) δ' ἔσχον συνομηγύρους παῦλον (οι παύλον δέ) ἔσωθεν, πίστις δὲ προῆγε (var. πίστις παντὶ δὲ προῆγε). Voici la restitution de Pitra-Dübner :

Νίσιβιν, Εὐφράτην διαβάς· πάντας δὲ ἕωθεν
Ἔσχον (ἐμοὶ) συνομηγυρέας. Πιστὶς δὲ προῆγε

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v. 10,

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Elle me semble conforme au sens général de la phrase, et je la suis à peu près dans ma traduction. Cependant elle a l'inconvénient de faire disparaître le nom de l'apôtre saint Paul, que l'auteur de la légende semble avoir lu en cet endroit et qui n'est pas, dans son interprétation, sans rapport avec le titre d'icanóтodos que portait Abercius ; — v. 13, TÁVTY (RavTí) ne se trouve que dans le Par. 1540; dom Pitra restitue τροφήν, ἰχθὺν δὲ μιῆς ἀπὸ πηγῆς, et justifie cette conjecture par un rapprochement avec un vers sibyllin (VI, 15); - v. 15, isSiew codd; - ν. 16, κέρασμα ἔχουσα Par. 1540 ; -ν. 19, ταῦτα ὁ νοῶν εὔξαι codd.

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Traduction.

Citoyen d'une ville distinguée, j'ai fait ce [monument] de mon • vivant, afin d'y avoir un jour une place pour mon corps. Mon « nom est Abercius; je suis disciple d'un saint pasteur qui fait paître ses brebis sur les montagnes et dans les plaines, qui a de grands yeux dont le regard atteint partout. C'est lui qui m'a enseigné les écritures fidèles....; c'est lui qui m'a envoyé à Rome. contempler la majesté souveraine et voir une princesse aux vête«ments et aux chaussures dorées. J'ai vu là un peuple qui porte un sceau brillant. J'ai vu aussi... la plaine de Syrie et toutes les villes, « Nisibe, au delà de l'Euphrate. Partout j'ai trouvé des confrères'........ «la foi m'a conduit partout; partout elle m'a présenté en nourriture « un poisson de source, très grand et pur, œuvre d'une vierge sainte « qui l'a donné [et le donne] sans cesse à manger à ses amis; elle possède un vin délicieux qu'elle leur mélange et leur donne avec le pain. J'ai fait écrire ici ces choses, moi Abercius, de mon vivant,

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à l'âge de soixante-douze ans. Que le

confrère qui entend ces paroles

prie pour Abercius. On ne doit pas mettre un autre tombeau au

« dessus du mien, sous peine d'amende ; deux mille pièces d'or pour

« le fisc romain, mille pour ma chère patrie Hiéropolis.

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Ce texte, encore une fois, n'est connu que par les manuscrits ; on n'a plus le marbre original sur lequel il a été gravé ; le document dans lequel il s'est conservé est un document fort suspect, une légende mal notée par les critiques même les plus bienveillants. Ne pourrait-il pas se faire que l'épitaphe eût été fabriquée par l'auteur ou par l'un des paraphrastes du récit. légendaire? Ne doit-on pas, par conséquent, la traiter avec la même défiance que ce récit lui-même?

Il est remarquable que, dans la Vie de saint Abercius, ce qui Voir les notes critiques, v. 11-12.

choque le plus Tillemont, c'est précisément cette inscription. << Baronius, dit-il, assure qu'il s'y est glissé (dans la vie) plusieurs choses qu'on ne sauroit approuver. Il pourroit bien avoir eu particulierement en vue l'epitaphe qu'on pretend que le Saint dicta luy mesme. Car il est assez étrange qu'un saint Evesque âgé de 72 ans, et prés de mourir, qu'on nous depeint comme un homme tout apostolique, ordonne de graver sur son tombeau, Qu'il a esté envoyé à Rome pour y voir des palais, une Imperatrice toute couverte d'or jusqu'à ses souliez, et un peuple orné de bagues magnifiques; qu'il défende d'enterrer personne audessus de luy; et qu'il ordonne que qui le fera, payera deux mille pieces d'or au thresor imperial, et mille à la ville. d'Hieraple. Ce ne sont pas là les pensées ordinaires des Saints quand ils se preparent à la mort 1. »

Il est sûr que, si Abercius avait eu monsieur Singlin pour directeur, ses préoccupations dernières auraient pris un autre cours. Que les temps sont changés ! Ce qui paraît si étrange à Tillemont est pour nous tout ce qu'il y a de plus . naturel, de plus conforme aux bienséances. Maintenant que nous connaissons véritablement les anciens, nous savons qu'ils tenaient beaucoup à s'assurer un tombeau confortable et que rien ne leur eût été plus désagréable que la perspective d'y être dérangés; nous comprenons dès lors qu'ils missent leur dernier sommeil sous la sauvegarde des lois et de la police. Quant à la princesse dorée qu'Abercius se vante d'avoir été admirer à Rome, Tillemont est tombé ici dans un des petits pièges du style symbolique. Il a fait comme le passionnaire; il a interprété lourdement ; il a cru qu'il s'agissait d'une princesse en chair et en os. Je gage que s'il avait poussé plus loin ses critiques, il aurait trouvé mauvais qu'Abercius inscrivít sur le marbre le souvenir des bons poissons de rivière qu'on lui avait servis dans ses voyages, avec du pain excellent et du vin des meilleurs crùs.

Mais pourquoi plaisanter un personange si grave et si méritant? Revenons à l'inscription d'Abercius et aux preuves de son authenticité. Je disais qu'il lui manquait un témoignage indépendant de la légende des passionnaires grecs. Ce témoignage vient d'être produit. C'est une inscription phrygienne,

1 Mém. p. l'hist. eccl., t. II,
p. 621.

gravée sur un cippe de marbre actuellement existant, qui reproduit littéralement six des vers d'Abercius. Elle a été trouvée en Phrygie par M. W. Ramsay, qui l'a publiée dans le Bulletin de correspondance hellenique de l'École française d'Athènes 1. J'en ai déjà parlé dans le Bulletin critique du 15 août 1882, et M. de Rossi l'a fait également dans son Bulletin d'archéologie chrétienne. Je néglige en ce moment le lieu et les circonstances de la découverte pour ne m'occuper que du texte lui-même.

Il est gravé sur un cippe carré, terminé en haut par une corniche et en bas par une plinthe fort simple; au dessus se détache une sorte de socle carré moitié moins large que le cippe lui-même. L'inscription commence sur ce socle, où on lit les quatre premières lignes; les deux suivantes sont sur la corniche; le reste sur le fût, à l'exception des trois dernières lignes, gravées sur la plinthe. Plusieurs lettres sont liées; le Σ a tantôt la forme du C, tantôt la forme carrée ; l'E est arrondi de temps en temps.

ΚΛΕΚΤΗΣ ΠΟ
ΕΩΣΟΠΟΛΕΙ

ΟΥΤΕΠΟΙΗ

ΝΕΧΩΦΑΝΕΙ

ΣΩΜΑΤΟΣΕΝΘΑ

ΘΕΣΙΝΟΥΝΟΜΑ

ΑΛΕΞΑΝΔΡΟΣΑΝΤ

ΝΙΟΥΜΑΘΗΤΗΣ

ΠΟΙΜΕΝΟΣ ΑΓΝΟΥ

ΟΥΜΕΝΤΟΙ ΤΥΜΒΩ

ΤΙΣΕΜΩΕΤΕΡΟΝΤ

ΝΑΘΗΣΕΙΕΙΔΟΥΝΡΩ

ΜΑΙΩΝΤΑ. ΕΙΩΘΗΣ

ΔΙΣΧΕΙΛΙΑ. ΡΥΣΑ

ΚΑΙ. ΡΗΣΤΗ ΠΑΤΡΙΔ
ΙΕΡΟΠΟΛΕΙ, ΕΙΛΙΑ

1 N° de juillet 1882, t. VI, p. 518.

2 Bull. critique, t. III, p. 135. Bulletin d'arch. chrét., 1882, p. 77 de l'éd. italienne; p. 79 de l'édition française. J'ai reçu depuis quelques renseignements complémentaires que M. Ramsay a bien voulu m'envoyer par lettres et un mémoire qu'il a fait paraitre dans le Journal of hellenic studies, oct. 1882, sons le titre The tale of saint Abercius.

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