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LES JUGES D'ISRAËL

ÉTUDES ET RECHERCHES NOUVELLES

SECONDE PARTIE

VII

ABIMELECH.

L'histoire d'Abimélech, fils de Gédéon et d'une femme de Sichem, nous offre le premier essai de l'établissement de la royauté en Israël. Le pouvoir ne lui fut pas offert, son ambition le lui fit rechercher, son habileté le lui fit obtenir, son astuce et ses crimes le lui firent conserver jusqu'à la mort violente qui fut la juste punition de ses forfaits. Le désir de régner le porta, comme tant d'autres despotes d'Orient, à méconnaître jusqu'aux lois les plus sacrées de la nature. Son père Gédéon avait refusé, pour lui et pour ses enfants, la domination qui lui avait été offerte. C'est sans doute cette offre qui éveilla l'ambition d'Abimélech. Mais il avait moins de droits que ses frères à recueillir l'héritage dont le vainqueur des Madianites n'avait pas voulu pour les siens. Afin de n'avoir point de rivaux à redouter, il les fit tous égorger, un seul excepté, Joatham, qui lui échappa et qui annonça aux habi

T. XXII. 1877.

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tants de Sichem ', dans l'ingénieux apologue des arbres qui se choisissent un roi, le sort qui leur était réservé 2.

Avec un commencement de royauté apparaît un commencement d'impôts et un commencement d'armée, ainsi qu'un commencement d'administration 3. Dès qu'Abimélech est roi, il lui faut de l'argent et il lui faut des hommes. Jusque-là il n'y a pas eu d'autre tribut que celui qui a été imposé par les oppresseurs étrangers, la dime payée à Dieu et à la tribu de Lévi n'étant pas un tribut, mais la part de l'héritage. commun qui leur revient à bon droit; jusque-là non plus, il n'y a pas eu à proprement parler de soldats, mais seulement. des Israelites qui ont pris les armes, à certains moments, dans leur intérêt commun, pour secouer le joug qui leur avait été imposé. Mais dès qu'il surgit un roi, qui a des intérêts personnels, intérêts distincts de ceux de ses sujets, il lui faut des mercenaires qui se battent pour lui et non pour eux, leurs femmes, leurs enfants et leurs biens. Les Sichémites donnent donc à Abimélech soixante-dix sicles d'argent (près d'un kilogramme), que, selon l'usage de beaucoup d'autres peuples de l'antiquité, considérant les temples comme l'asile le plus sûr et le plus sacré, ils avaient mis en dépôt dans le temple qu'ils avaient élevé à

1 Joatham était placé sur le mont Garizim, Jud. Ix, 7. « L'à-propos de la fable de Joatham, dit M. Stanley, Sinaï and Palestine, c. v, pp. 239-240, est très frappant... et elle tire elle-même une nouvelle force du lieu où elle est prononcée... Un rocher élevé se projette en avant sur le côté nord-est du Garizim, directement suspendu sur l'endroit qui doit être le site de l'ancienne ville. De là, Joatham pouvait aisément se faire entendre et échapper ensuite promptement, en descendant au bas de la montagne. Les personnages de sa fable étaient tous devant lui: d'abord l'olivier, l'arbre propre de Naplouse, naturellement désigné comme le souverain légitime, ensuite le figuier plus rare, mais encore imposant, et la vigne, avec ses branches traînantes; entin, l'églantier ou la ronce, dont le bois sans valeur est encore employé comme combustible... et dont la stérilité disgracieuse contraste sur les flancs de la colline avec la riche verdure de ses plus nobles frères. » Ct. Jewish Church, lect. XV, p. 350.

2 Cette fable rappelle celle de Ménénius Agrippa au peuple romain révolté, des Membres et de l'Estomac. Tite Liv. II, 30. La Fontaine, 1. III, fable 2. Nous trouvons IV Reg. XIV, 9, une autre fable fort courte, analogue à celle de Joatham. - Abimélech ne devait pas être à Sichem quand Joatham conta son apologue aux habitants. Josèphe dit qu'il y avait alors un grand concours de peuple dans la ville, à l'occasion d'une fête. Antiq. jud., V, vп, 2. 3 Un premier fonctionnaire apparait dans la personne de Zebul (Jud. ix, 28), qui est serviteur d'Abimélech et remplit le rôle de gouverneur de Sichem.

Herodian. Hist., lib. I; S. Ambros. de Officiis, lib. II, c. XXIX; Bossuet, Premier panegyrique de saint Joseph, exorde, OEuvres, édit. Vivès, t. XII, pp. 105-106.

leur faux dieu Baal-Berith. Avec cette somme, Abimélech enrôle des gens sans fortune et sans aveu, et c'est sans doute par ces misérables qu'il fait massacrer ses frères à Ephra.

Sichem et quelques villes voisines reconnurent l'autorité d'Abimélech, mais elles ne tardèrent pas à s'en repentir. La tyrannie du nouveau roi révolta ses sujets. Il résidait probablement à Ephra, dans l'héritage paternel, et il avait établi en sa place, comme gouverneur de Sichem, Zébul. L'auteur du livre des Juges, qui nous fait pénétrer, dans ce récit, plus avant que nulle autre part, dans les mœurs de ce temps, comme aussi dans le détail des opérations militaires, nous apprend qu'il existait encore alors à Sichem des Chananéens descendants d'Émor, père de Sichem, adorateurs de Baal-Berith et vivant au milieu des Israélites. C'est parmi eux que paraissent s'être développés les premiers germes de mécontentement. Ils ne tardèrent pas à se révolter, quoique pas encore tout à fait ouvertement; ils tendirent des embùches dans les montagnes d'Hébal et de Garizim pour faire périr Abimélech, quand il viendrait à Sichem et, en attendant, selon la coutume des tribus orientales en guerre, ils rançonnaient et pillaient les caravanes qui passaient sur leur territoire.

Un homme de leur race, Gaal, fils d'Obed, qui habitait le voisinage, vint avec les siens leur prêter du renfort. Au milieu des fêtes et des chants qui accompagnaient toujours les vendanges en Palestine 2, pendant le repas qu'ils firent dans le

↑ Le texte dit, Iix, 22, qu'Abimélech régna trois ans sur Israël, mais il faut l'entendre dans un sens restreint comme pour la plupart des judicatures, et c'est ce que prouve le verset 21, nous apprenant que Béra n'était pas sous la domination d'Abimélech, puisque son frère Joatham s'y était réfugié pour être à l'abri de ses coups. Or Béra était certainement en Palestine et, d'après plusieurs géographes, dans la tribu de Juda. Selon d'autres, c'est Beeroth, dans la tribu de Benjamin. Grätz, Geschichte der Juden, t. I, p. 126. Le nom de Baal-Berith, le « Baal de la Ligue » adoré dans le temple de Sichem, indiquerait, d'après quelques-uns, une confédération entre Sichem et les cités voisines, Beth-Millo, Arumah, Thébès ou Thèbes. Stanley, Jewish Church, t. I, p. 353.

2 Is. xvi, 10; Jer. XLIII, 33. Cf. Anacréon, ode LII. C'est comme le harvesthome des Anglais. Saint Jérôme a traduit, Jud. 1x, 23: « vastantes vineas uvasque calcantes » ; mais le verbe basar, ici employé, ne signifie jamais ravager, c'est au contraire le terme propre employé dans la Bible pour signifier couper les raisins, vendanger. » Lev. xxv, 5, 11; Deut. xxiv, 21 (V. Drach, Catholicum Lexicon, Migne, p. 97), si bien que vigneron se dit bósér, Jer. vi, 9. Idrekou signifie : « ils foulèrent » les raisins pour exprimer le vin. Le verbe dakar est tellement consacré par l'usage pour marquer le

temple de Baal-Berith', où ils avaient offert des sacrifices d'actions de grâces pour la récolte, quand ils furent échauffés par le vin, Gaal augmenta par ses discours leur haine contre Abimélech et contre Zébul, qui n'étaient point de leur sang, et les amena ainsi à une révolte déclarée. La situation devenait difficile pour Zébul. Il se hâta de faire prévenir en secret son maître Abimélech. Celui-ci accourut et battit Gaal qui était sorti au-devant de lui. Gaal parvint à rentrer dans Sichem, mais son prestige était perdu et il en fut chassé par Zébul.

Zébul fut-il alors massacré par les partisans de Gaal qui restèrent dans la ville? Peut-être, car il n'est plus question de lui. Abimélech n'était pas entré dans la ville, mais s'était retiré à Arumah ou Ruma 2. Il battit les Sichémites, partie par ruse, partie de vive force; leur ville fut prise, détruite et le sol semé de sel. Ceux qui s'étaient réfugiés dans le temple de Baal, y périrent dans les flammes allumées par Abimélech. C'est ainsi que le feu sortit du buisson pour brûler ceux qui l'avaient élu roi, comme l'avait dit Joatham dans son apologue et que furent punis les Sichémites pour avoir coopéré aux injustices de celui qu'ils s'étaient donnés comme maître. Lui-même trouva aussitôt après le juste châtiment de ses crimes, à Thèbes, non loin de Sichem. Comme il portait du bois près de

sens de fouler les raisins, » que le mot raisin peut être sous-entendu comme ici et Jér. xxv, 30. Voir ibid., p. 150. Le texte continue vayyaas'où hilloulim « et ils firent le chant de la récolte, » factis cantantium choris, dit bien la Vulgate. Le mot hilloulim, qui vient du même verbe que le premier mot d'allelu-ia, se lit aussi, Lev. XIX, 24, pour désigner également les fêtes qui se font après la récolte.

1 Cf. Jud. XVI, 24, 25.

2« Amongst others, I noticed from this spot (over a high mountain, a northern continuation of the Jebel-Mzerah), in a westerly direction, at about an hour's distance, a hill top on which are situated the ruins of El-'Arma, in which I believe I may recognize Arumah of Judges, 1x, 41, where Abimelech remained after he had struck Gaål the first blow.» Van de Velde, Syria and Palestine. t. II, p. 303.

3 On voulait rendre une terre à jamais stérile en y semant du sel. « Omnis locus, in quo reperitur sal, sterilis est nihilque gignit. » Plin., H. N., xxII, 7. Virgile dit aussi :

Salsa autem tellus, et quæ perhibetur amava,
Frugibus infelix, ea nec mansuescit arando.

Cf. Ps. CVI (CVII), 34.

Georg. II, 238.

A quatro heures de marche de Sichem, au N. E., sur la route de Sichem à Bethsan.

la porte de la tour de Thèbes ', pour y mettre le feu, de même qu'il l'avait fait au temple de Bal, et brûler les habitants révoltés, qui s'y étaient réfugiés, une femme lui lança d'en haut un morceau de meule qui lui fracassa la tête. Ainsi périt, comme plus tard Pyrrhus à Argos, de la main d'une femme, cet. homme qui ne manquait ni de bravoure ni d'habileté, mais qu'une ambition effrénée, non modérée par la religion, couvrit de sang et de crimes et précipita enfin à sa ruine. C'est ainsi qu'échoua la première tentative pour établir la royauté en Israël.

VIII

JEPHTÉ.

La judicature de Jephté est une des plus célèbres d'Israël, moins par l'éclat de la victoire qu'il remporta sur les Ammonites, laquelle ne fut pas décisive comme celle de Barac et de Gédéon, que par l'intérêt qui s'est de tout temps attaché à sa fille, tendre et intéressante victime du vœu imprudent de son père.

Cette judicature se recommande d'ailleurs à l'attention de l'historien par plusieurs traits singuliers. Nous voyons ici pour la première fois un chef appelé au commandement par la voix du peuple. Jephté fait ses conditions et n'accepte le pouvoir en temps de guerre qu'à la condition de le garder en temps de paix, sans rentrer par conséquent comme les autres juges dans la vie privée, une fois l'expédition heureusement achevée. Aussi habile négociateur que vaillant capitaine,

1 Thèbes, en hébreu Tebez, aujourd'hui Tùbas, était sur la route qui conduit de Sichem à Bethsan. Van de Velde la décrit ainsi dans son Voyage: «Old hewn stones and wells point this out as one of Israel's ancient towns (Thebez). Tubas stands on a hill at the northern end of a plain surrounded by mountains and has Ainùm and Tamùn facing it on the south-east at a short distance. The hill of Tùbas is skirted by fine olive grove, but the view from the summit is not extensive, in consequence of the encircling mountains. »> Syria and Pulestine, t. II, pp. 335-336. Voir aussi p. 328.

2 Cette mort était considérée comme particulièrement ignominieuse, Jud. Ix, 54; Il Sam. (Reg) x1, 21; Sophocl. Trach. 1064; Senec. Hercul. Oet. 1176, O turpe fatum! femina Hercule necis

Auctor feretur.

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