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Parlerons-nous maintenant des princesses Fathma et Omm es-Såd, petites-filles d'un de ces seigneurs de l'Alhambra, qui, après la chute de Grenade, avaient suivi dans son exil leur roi fugitif? Deux simples pierres, sans ornement qui les distingue des tombes les plus vulgaires, forment le seul vestige de leur sépulture. Les dates qu'on y relève correspondent, la première au mois d'avril 1589, et la seconde à septembre 1594 de notre ère. On a donc ici la preuve qu'à la fin du xvro siècle, il y avait à Tlemcen des familles issues de ces nobles exilés de l'Andalousie. Il est possible de suivre leurs traces au-delà de cette époque, grâce à un document historique, ajouté par une main moderne à la fin de l'histoire des Abd-el-Ouadites de Yahia-Ibn-Khaldoun, frère du célèbre historien 2. Quant à la tradition locale, elle est muette à ce sujet. Tlemcen a subi, depuis trois cents ans, comme le fait observer l'ancien préfet d'Oran, trop d'épreuves diverses; elle a été traversée par trop de révolutions; sa population s'est mêlée ou renouvelée sous trop d'influences contraires, pour que les souvenirs aient pu y prendre racine et s'y perpétuer. Seuls, les noms des Oualis, ou Marabouts, et de quelques professeurs émérites ont échappé à l'oubli, et forment à présent le fond de la légende populaire.

L'exploration du cimetière de Sidi-Yakoub, bien qu'elle n'enrichisse le contingent lapidaire que d'un petit nombre de textes, mérite cependant d'arrêter nos regards, non-seulement à cause de l'intérêt qui se rattache au no 32, mais parce qu'il en ressort ce fait, bien positif, que le bois de térébinthes où se réunissent tous les charmes d'une nature paisible et riante, partagea avec les nécropoles de Sidi-Ibrahim et du Vieux-Château l'honneur de servir à l'inhumation des membres de la dynastie zeiyanite. La pierre classée sous le n° 32 dans la série a subi une grande détérioration; elle est même devenue presque fruste, à tel point que le nom de la personne défunte résiste à la lecture. Néanmoins, tous les éléments de la filiation ayant reparu sous l'action d'un déchiffrement méthodique, nous avons la certitude de posséder l'épitaphe d'une petite-fille du sultan Abou-Mohammed-Abdallah, ce frère d'AbouHammou III, qui lui succéda vers 1528, et régna plusieurs années, non plus en s'appuyant sur l'alliance espagnole, mais en se faisant le vassal du pacha Khair-Eddin.

Il convient maintenant de récapituler le résultat des fouilles pratiquées par M. Brosselard. Dans le nombre de ces épitaphes, reconquises sur des espaces relativement restreints et dans des conditions presque défavorables, il y en a quatre de sultans, notamment celle d'AbouHammou II, neuf d'émirs, et dix-neuf de princesses. Ne doit-on pas

1 Épit. 28 et 29.

La bibliothèque d'Alger possède un assez bon exemplaire de cet ouvrage, que nous a fait connaitre M. l'abbé Bargès, dès l'année 1852.

désirer qu'un pareil succès inspire à la municipalité de Tlemcen, si fière de ses richesses archéologiques, la pensée de rehausser par de nouvelles découvertes la gloire d'une cité dont la fondation se manifesta, selon toute vraisemblance, autour des autels du dieu Aulisva, la plus puissante divinité de la mythologie numide? Est-ce que nous ne tenons pas pour certain que les cendres des autres rois reposent là, à notre portée ? Combien de temps encore hésitera-t-on à entamer un sol si fécond en souvenirs? A moins de nier l'utilité de l'histoire, on ne saurait mettre en doute celle de l'archéologie. Le champ des recherches s'est resserré, et il ne resterait à déterrer, tout compte fait, que les tombeaux de treize rois, parmi lesquels ceux de Yarmoracen et de ses quatre premiers successeurs, circonstance propre à provoquer les investigations de la municipalité.

Nous avons visité plus d'une fois le musée' de Tlemcen; nous y avons étudié avec profit les épaves du passé que renferme cette collection d'archives sarrasines; mais la pièce qui nous intéresse le plus, le monument qui restera comme la plus curieuse découverte de l'ancien préfet d'Oran, c'est le marbre tumulaire de Boabdil, aujourd'hui encastré dans un mur de la cour de la mairie. Cette précieuse dalle, que couvre une longue inscription, fut ramassée, à proximité de SidiIbrahim, dans les démolitions d'une vieille maison mauresque, où elle avait servi de seuil.

... Data sunt ipsis quoque fata sepulchris 2.

Les profondes empreintes qu'y ont creusées les gonds de la porte, en ont moins endommagé le texte que le frottement des chaussures, car il a perdu des lettres un peu partout. La légende s'était emparée du dernier roi de Grenade, El-Rey-Chico, dont le règne fut marqué par la ruine de la domination de l'islam dans l'Andalousie. On savait bien que, le 6 janvier 1492, il avait fait remise de sa capitale à Ferdinand le Catholique; on racontait qu'étant arrivé près du Padul, en un lieu d'où l'on peut contempler les magnifiques palais de Grenade, il s'était lachement abandonné au désespoir, en s'écriant: «< Hélas ! quelles infortunes ont jamais égalé les miennes ?» L'endroit est encore désigné sous le nom de «El ultimo sospiro del rey moro. » On l'avait vu débarquer à Oran, dans l'hiver de 1493, sur le navire que le roi d'Espagne avait mis à sa disposition, Mais, après son entrée en Afrique, l'historien Marinol, et avec lui d'autres écrivains, le fait mourir, au passage de

1 Les spécimens que ce musée possède de l'architecture musulmane aux XII, XIII et XIVe siècles, sont absolument uniques en Algérie. C'est peut-être ce qu'on ne sait pas assez. (Mémoire épigraphique et historique, par M. Ch. Brosselard, p. 158.)

2 Juven. X.

l'Ouad-el-Asouad, « la rivière noire, » en combattant à la tête de la cavalerie mérinide, contre les troupes du chérif du Maroc. C'est pour lui un fait avéré qui lui suggère même la réflexion suivante: « Le roi de Grenade périt en cette bataille pour la défense d'un royaume étranger, lui qui n'avait pas osé hasarder sa vie pour la défense du sien '. » Un historien arabe, qui passe pour être bien informé, Makkari, rapporte que Boabdil avait émigré à Fès avec toute sa famille, qu'il y fit bâtir des palais dans le goût andalou, qu'enfin il y mourut en l'année 940 (de J.-C. 1533), et fut enterré dans l'oratoire situé à la porte d'EchCheriât. Voilà certes des récits de nature à imposer la confiance, surtout celui qui émane de l'auteur des Analecta, lequel était de Tlemcen et y avait sa famille. M. Brosselard se serait bien gardé de les révoquer en doute, s'ils ne s'étaient trouvés en contradiction avec le document authentique que nous a conservé le marbre en question. Or ce ducument prouve que Boabdil est mort à Tlemcen. En voici la traduction :

Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Que Dieu soit propice à notre Seigneur Mohammed et à sa famille! Tombeau d'un roi mort dans l'exil, à Tlemcen, étranger, délaissé parmi ses femmes; lui qui avait combattu pour la foi!... Le destin inflexible l'avait frappé de son arrêt. Mais Dieu lui donna la résignation, en même temps que le malheur s'abattait sur lui. Que Dieu répande à jamais sur sa sépulture la rosée de son ciel! Ce tombeau est celui du roi juste, magnanime, généreux, le défenseur de la religion, l'accompli, l'émir des musulmans et le représentant du maître des mondes, notre seigneur Abou-Abdallah, le victorieux avec l'aide de Dieu, fils de notre seigneur l'émir des musulmans..., le saint Abou'l-Hacen, fils de l'émir des musulmans Abou'l-Hadjadj, fils de l'émir des musul nans AbouAbdallah, fils de l'émir des musulmans Abou'l-Hadjadj, fils de l'émir des musulmans Abou'l-Oualid, fils de Nacer-el-Ansari, El-Khazradji, Es-Sadi, l'Andalousien. Que Dieu sanctifie sa tombe et lui assigne une place élevée dans le paradis! Il combattit, dans son pays d'Andalousie, pour le triomphe de la foi, ne s'inspirant que de son zèle pour la gloire divine, et prodiguant sa généreuse vie sur maint champ de bataille, dans des mêlées terribles où les armées innombrables des adorateurs de la croix se ruaient sur une poignée de cavaliers (musulmans). Et il ne cessa, au temps de sa puissance, et pendant son khalifat, de combattre pour la gloire de Dieu, donnant à la guerre sainte tout ce qu'elle exige, et relevant, quand il venait à chanceler, le courage de ses guerriers. Et il arriva dans la ville de Tlemcen, où il trouva toujours un bon accueil et de la sympathie pour ses malheurs. C'est alors que s'accomplit ce qu'avait décidé Celui dont les arrêts sont irrévocables... et dont tous les mortels subissent la loi, suivant ce qu'il a dit : « Toute àme goûtera la mort »... Et la mort le surprit sur la terre étrangère, loin de sa patrie, loin du pays de ses aïeux, les grands rois de la race d'El-Ansar, les

1 Marmol, t. I, liv. II, p. 451.

2 Khalifati rabbi el-a'lamina (ligne 9).

soutiens de la religion de l'Élu, du Préféré... Et Dieu l'a élevé dans les régions de la félicité... et l'a revêtu de sa grâce, entre les deux prières du soir, le mercredi de la nouvelle lune de Châban de l'an huit cent quatre-vingt-dixneuf (899), et il avait environ quarante ans d'âge 1. »

Suit une invocation qui n'a d'autre valeur que son style très-orthodoxe.

D'où vient donc l'erreur où sont tombés les historiens? M. Brosselard en aperçoit la source dans une confusion de noms et de personnes. On se rappelle que Boabdil, pendant son règne de neuf à dix ans, n'avait pas toujours été le seul maître. De 1484 à 1489, il avait partagé sa précaire souveraineté avec son oncle, appelé comme lui AbouAbdallah-Mohammed, le zagal des chroniques espagnoles. Mais celuici émigra à Fès, dès l'année 1490, tandis que Boabdil se réfugia à la cour du roi de Tlemcen, Mouley-Mohammed-Et-Tsabiti, vers le milieu de l'année 1494, et termina dans la capitale des Zeiyanites une carrière malencontreuse, qui lui valut le surnom flétrissant de Zogoïbi. Une fois partis en exil et confinés dans une situation effacée, les deux personnages ont été pris l'un pour l'autre ; ils ont été confondus dans les récits, puis dans les relations écrites. C'est ce que démontre M. Brosselard, avec cette sûreté de critique qui fait la saine érudition. On voit les fausses opinions, qui s'étaient établies chez les auteurs indigènes aussi bien que chez les écrivains espagnols, venir se briser contre l'autorité irréfragable du marbre sépulcral. En même temps, nous obtenons un tableau généalogique de la dynastie grenadine 3, qui surpasse en exactitude toutes les listes publiées jusqu'à ce jour.

AUGUSTE CHERBONNEAU,
Correspondant de l'Institut.

Alger, le 15 mai 1876.

1 L'inscription se compose de trente-deux lignes très-serrées. Elle est gravée sur une plaque de marbre onyx qui mesure 91 cent. de longueur sur 44 cent. de largeur. Les caractères, d'un type andalou un peu grêle, ont perdu presque tout leur relief. En étudiant cette épitaphe, au mois d'avril dernier. nous avons contrôlé avec le plus grand soin la lecture de M. Brosselard. 2 Né sous une mauvaise étoile.

3 La dynastie des Nacerides.

V

LE MANUSCRIT ORIGINAL DU PROCÈS DE GALILÉE

Le procès de Galilée a eu le privilége d'exercer à la fois la plume des savants et des pamphlétaires. Pour les uns, ce procès était un des faits les plus importants de l'histoire de la science; pour les autres, il fournissait une occasion d'attaquer l'Église. Toutefois, à ces études et à ces attaques, le principal élément d'information a manqué pendant longtemps. Les documents authentiques du procès étaient restés peu connus, au moins en grande partie. Ils étaient conservés dans les Archives de l'Inquisition romaine. Tout ce qui avait été écrit jusqu'à nos jours sur cette question, ne reposait que sur des renseignements incomplets et inexacts. Aujourd'hui, les pièces du procès sont toutes publiées; les amis et les ennemis de l'Église ont entre les mains des documents authentiques. Les controverses ne cesseront pas peut-être, mais du moins elles auront une base certaine.

Le manuscrit original, ou, pour parler plus exactement, la collection des pièces originales des deux procès de Galilée était, comme nous venons de le dire, déposée aux Archives du Saint-Office. Deux registres renfermaient les pièces de chacun des deux procès celui de 1616 occupait, dans l'un des registres, les feuillets numérotés 950 à 992; celui de 1633, dans un autre registre, les feuillets 384 à 561. On réunit ensemble ces deux séries de documents pour en former un seul volume, cartonné. Lorsque, en 1811, dix-huit mois après l'enlèvement de Rome du pape Pie VII, par les ordres de Napoléon, les Archives du Vatican prirent le chemin de Paris, le manuscrit du procès y fut transporté. Daunou, alors directeur des Archives impériales, fit faire un triage sommaire des papiers et parchemins. On vendit ce qui fut jugé inutile. On put voir alors « des charretées de diplômes, bulles et lettres de papes et de rois, enfouies chez l'épicier et encombrer sa boutique.» Naturellement, parmi les documents conservés, se trouvaient ceux du procès de Galilée. Ils attirèrent l'attention de l'empereur qui demanda un rapport sur cette collection. Ce rapport fut présenté

1 V. Manuel de l'Amateur d'autographes, par J. Fontaine, 1836, p. 22.

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