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l'ame quand il veut arriver à Dieu, le corps n'est que le char, les sens sont les chevaux qui traînent le char, les volontés sont les rênes qui les guident; l'ame est le maître du char, et l'intelligence en est le cocher. S'il est habile, il conduit sûrement son maître à une grandeur éternelle; inhabile, il le verse et le précipite dans l'abîme. Voilà encore un heureux exemple du talent singulier des Orientaux pour la parabole et l'allégorie; elles abondent dans leurs écrits philosophiques, et M. Lanjuinais aimait à les étudier. Il était au nombre de ces esprits qui veulent absolument remonter à l'origine des choses, voir à fond comment est fait le monde social, pour examiner s'il n'y aurait pas quelque chose à refaire ou à faire mieux; et avec la franchise, j'oserais presque même dire avec l'empirisme de quelques-uns de ses principes, il trouvait bien des combinaisons à réformer, bien des préceptes à rectifier, bien des prétendues vérités reçues, qui pouvaient n'être que des erreurs trop facilement accréditées : et ce qu'il y avait à remarquer dans tous ces jugemens, c'était moins leur certitude ou leur incertitude, que la bonne foi naïve qui en était la source. Du reste, M. Lanjuinais ne s'épargnait pas et prêchait d'exemple dans la recherche assidue de la vérité, et s'il espérait en trouver une, fût-elle même peu intéressante,

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dans un ouvrage peu digne d'attention, il s'astreignait à le lire tout entier, pour empêcher qu'elle ne fût perdue. Il ressemblait à cet égard à l'illustre magistrat, membre de cette compagnie, qui, dans ses voyages, visitait volontiers les offices et les cuisines des auberges, pour entendre ce qu'on y disait; et il assurait qu'il n'en était presque jamais sorti sans y avoir appris quelque chose. C'est à ce désir insatiable de savoir que M. Lanjuinais devait la connaissance d'un grand nombre de particularités peu remarquées dans l'histoire, et surtout de celle des opinions humaines, pour lesquelles il professait une tolérance qu'on pourrait dire universelle et que l'on peut considérer comme la conséquence d'un goût prononcé pour les généralités, qui lui faisait honorer toutes les sciences, aimer tous les hommes, et rechercher les sommités et les antiquités de l'ordre social, plutôt que ses spécialités. En littérature même, un sujet ne l'attirait que par la multiplicité de ses applications. C'est à ces vues que l'on peut rapporter son travail pour la nouvelle édition qu'il donna, en 1815, d'un ouvrage presque oublié de Court de Gébelin. Mais le titre de cet ouvrage annonçait l'Histoire naturelle de la Parole, et un Précis sur l'origine du Langage et de la Grammaire universelle, ce n'était pas non plus une spécialité que les recherches qu'il lut à

l'Académie, en 1824, sur la bastonnade et la flagellation infligées par les lois, puisque, selon M. Lanjuinais, peu de pleuples anciens ou modernes auraient échappé dans leur enfance à ce singulier moyen d'administration publique. C'est aussi à l'année 1824 que remonte l'examen historique et moral du chapitre du Contrat Social relatif à la religion naturelle, autre question à laquelle on ne peut contester une trèshaute importance. L'esprit de M. le comte Lanjuinais avait besoin d'un grand espace pour se mouvoir, et s'il ne le remplissait pas toujours entièrement, il le parcourait du moins avec une vivacité qui procure quelquefois d'heureuses

rencontres.

Ainsi s'écoula la vie de M. le comte Lanjuinais, caractérisée par soixante années d'agitation, de périls souvent voués à l'utilité de ses concitoyens. Cet amour du bien public l'inspira dans l'exil, comme dans ses foyers où il trouvait des cœurs intimement liés à ses sentimens, et l'on peut dire à son courage; car ce fut celui de sa digne compagne, Mme la comtesse Lanjuinais, secondée par une domestique fidèle, qui le sauva du poignard des factions en le cachant, au péril de leur vie, après le 31 mai 1793, dans la retraite qui le déroba à la mort. Ce sublime dévoûment a fourni à l'un de nos poètes les plus justement estimés, quelques beaux vers du poème où il

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a si bien chanté le mérite des femmes. Mme la comtesse Lanjuinais et Julie Poirier sont les héroïnes de ce touchant épisode, et la poésie parle ici le langage de l'histoire.

Celle de notre tems sera juste envers M. le comte Lanjuinais, en honorant ses vértus publiques et privées; son dévoûment inaltérable à tout ce qui lui paraissait utile pour tous, avantageux à la société, favorable à la civilisation placée sous la sauve-garde de la religion et des lois. Sa mort, survenue le 14 janvier 1827, à privé la France d'un excellent et illustre citoyen; et l'Académie de l'un de ses membres les plus dignes de regrets, et dont elle respectera et chérira toujours la mémoire,

DE

J.-D. LANJUINAIS.

No I.

000000

RÉFLEXIONS PATRIOTIQUES'

SUR

L'ARRÊTÉ DE QUELQUES NOBLES DE BRETAGNE, DATÉ DU 25 OCTOBRE 1788.

}

Il est permis à chacun d'ériger dans son esprit ses opinions ou ses préjugés sur le droit public en maximes incontestables et parfaitement constitutionnelles. Cette liberté appartenant à tout le monde, n'inquiète personne.

Mais si les hommes qui dogmatisent, membres nés des états de leurs provinces, appartiennent à l'ordre de la noblesse et paraissent, en la domi

1 M. de Volney, auteur de la Sentinelle du Peuple, m'a fourni des matériaux pour cet ouvrage, dont il y a eu deux éditions en trois jours. (Note autographe de l'auteur.)

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