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présenter en lui-même l'obéissance et la divine simplicité du fils de Marie ? »

Tel est ce livre des Élévations, un des plus éloquents qui soient sortis de la plume de Bossuet. Avouons-le cependant : c'est aussi celui qui nous étonne le plus. << Nous sommes bien loin, hélas! de la foi de Bossuet, dit M. de Sacy, plus loin peut-être encore de sa foi que de son éloquence. » Les meilleurs, aujourd'hui, sont chrétiens par les sentiments et philosophes par les idées; mais ce christianisme du cœur a quelque peine à s'accommoder de la rigidité des mystères et surtout de la manière dont Bossuet semble prendre à tâche, en les exposant, de blesser la raison humaine, de la désespérer et de la confondre sous ses affirmations écrasantes. « Je suis par moments, dit encore M. de Sacy, de ceux que l'inflexibilité de Bossuet étonne, épouvante, j'allais dire révolte! » On voit que M. de Sacy ne se dissimule point l'impression que les Élévations risquent de produire sur un public que l'incrédulité enveloppe, et qui respire en quelque sorte un air de scepticisme. Mais, toute mystérieuse que soit la religion, n'émanet-il pas de ses dogmes les plus incompréhensibles une lumière qui éclaire l'âme humaine, qui en pénètre tous les replis, qui rend raison de toutes ses erreurs, de toutes ses faiblesses; une lumière sans laquelle nous serions bientôt plongés dans la nuit la plus profonde?

< Voyons, en attendant, si les mystères du christianisme ne se distingueraient pas de ceux de toutes les autres religions par un caractère propre leur moralité; par leur harmonie avec tous les besoins légitimes du cœur, leur secret accord avec l'ordre et la paix des familles, avec la liberté, la tranquillité publique, avec tout ce qui élève et ennoblit la nature humaine? C'est ici que Bossuet triomphe, et que, perçant l'ombre mystérieuse du dogme, il y aperçoit et nous y montre ce qu'il nous importe le plus d'y trouver : la règle de notre vie, la raison de nos devoirs, la seule digue que le vice et tous les sophismes du cœur et de la passion ne surmonteront jamais. Soyez donc vains et orgueilleux auprès de la crèche! Refusez de souffrir et de vous immoler, s'il le faut, pour vos semblables auprès de la croix ! Plaignez-vous au charpentier de Nazareth de l'humilité de votre condition! Bouleversez la société dans l'espoir d'un chimérique bonheur que vous interdit la chute originelle, au lieu de travailler à vous améliorer vous-mêmes et à vous ouvrir la porte de ce royaume de Dieu, qui n'est pas de ce

titulé de notre temps: Les mystères de la religion chrétienne justifiés par leurs conséquences morales, ou le dogme ramené à la pratique. Après l'avoir lu, il resterait beaucoup à apprendre, tout si l'on veut, sur ces terribles mystères, à qui voudrait en pénétrer le fond, rien pour en tirer la pratique et l'amour de toutes les vertus.

« Allons plus loin encore. Supposons qu'il n'y ait rien de réel dans les mystères de la foi chrétienne. Le tableau qu'en a tracé Bossuet d'une main si vigoureuse en serait-il moins magnifique, moins digne d'attirer les regards et l'admiration de tous les esprits sérieux? Je laisse même de côté le style et l'éloquence; je ne prends que les choses. Eh bien! soit. Ce Dieu qui a créé le monde et qui le gouverne par sa Providence ; ce fils, ce Verbe de Dieu, qui a aimé les hommes et honoré leur nature jusqu'à se l'associer en prenant une chair semblable à la leur, jusqu'à leur prêcher la sagesse de sa bouche, jusqu'à les appeler ses frères et à souffrir, à mourir pour eux; cet Esprit saint, cet esprit d'amour et de vérité, l'oracle des prophètes, l'âme des apôtres, le soutien des martyrs; ces anges, nos protecteurs, dont le trône de Dieu est environné et qui portent jusqu'à lui notre encens et nos prières; ces Saints de tous les ordres et de toutes les classes qui peuplent le paradis, Marie à leur tête, et du haut de leur gloire compatissent à nos misères; le jugement dernier, la vie future, nos sacrements, et ce commerce perpétuel du ciel avec la terre pour pardonner ou pour punir, tout cela pure invention de notre esprit! Monde idéal créé par notre imagination! Simple miroir où se reflètent nos désirs, nos aspirations, nos craintes et nos espérances! L'homme seul est là, je le veux, je l'accorde. Et quelle science nous importe-t-il donc plus d'étudier et de connaître, si ce n'est la science de l'homme ? A quelle histoire nous intéresserons-nous si ce n'est à celle de notre intelligence et de tout ce qu'elle enfante ? Quel soleil et quelles étoiles brillent d'un éclat pareil à ce monde tout spirituel, tout moral, tout intelligible? Étudions-y au moins notre âme, puisqu'il en est la plus belle et la plus pure production! Nous reviendrons à ce triste monde extérieur quand nous aurons du temps de reste.

« Sans compter qu'il n'est pas bien sûr que ces choses qu'il nous plaît d'appeler seules réelles, parce qu'elles frappent nos sens, ou évidentes, parce qu'elles forcent notre conviction, aient une existence ailleurs que dans nos sensations et dans notre raison elles-mêmes, et ne soient pas aussi un monde de fantômes créé par notre fantaisie. Nous aurons beau faire : notre raison, nos sens, notre jugement et nos yeux seront toujours le moule par lequel les choses passeront nécessairement avant d'arriver à notre connaissance, et qui sait si ce n'est pas le moule qui leur donne la forme sous laquelle elles nous apparaissent ? »

Nous regrettons de n'avoir pu citer que deux passages bien courts de cette belle préface. Ceux qui la liront d'un bout à l'autre y retrouveront les qualités ordinaires de M. de Sacy: un style d'une pureté toute classique qui revêt la pensée des formes les plus naturelles, les plus aisées et les plus justes; une sincérité parfaite qui ne recule jamais devant l'aveu des difficultés et des doutes; une foi éclairée et tempérée par la raison; une âme de chrétien unie à un des esprits les plus sincères et les plus libres de ce temps-ci. Convenons-en, il faut un certain courage pour éditer et pour commenter Bossuet dans les jours incertains que nous traversons. La Bibliothèque spirituelle, commencée il y a quinze ans, à une époque de calme absolu et de recueillement forcé, n'a pas été interrompue par les plus profondes révolutions. M. de Sacy est resté fidèle à l'œuvre qu'il avait entreprise, il l'a poursuivie avec courage, il la continue avec une persévérance remarquable. Remercions-le de nous ramener, au milieu des préoccupations actuelles, vers ces études qu'on n'oublie jamais complétement, car c'est à elles qu'aboutissent tous les autres problèmes que notre esprit se pose. Toutes les questions que l'humanité agite ne viennent-elles pas se résoudre, en fin de compte, dans le mystère de notre origine et de nos destinées ?

FRANCIS CHARMES

REVUE CRITIQUE

DES

PUBLICATIONS NOUVELLES.

LETTRES DU CARDINAL MAZARIN PENDANT SON MINISTÈRE, recueillies et publiées par M. A. CHERUEL. Tome Ier. (Collection des documents inédits sur l'histoire de France.)

Les trois plus grands ministres qu'ait eus la France, Richelieu, Mazarin et Colbert (je les cite dans l'ordre chronologique), étaient doués d'une prodigieuse puissance de travail. La publication de leur correspondance a confirmé pleinement sur ce point les données de l'histoire. Aujourd'hui qu'il est permis de les suivre jour par jour dans ces pages où se révèlent, non-seulement leurs actes, mais leurs préoccupations et leurs pensées, on ne peut se lasser d'admirer l'infatigable activité que la Providence avait mise au service de leur génie.

La correspondance, encore très-incomplète, de Richelieu remplit sept énormes volumes; M. Pierre Clément a donné un choix de lettres de Colbert en sept volumes in-quarto; M. Chéruel, qui entreprend de publier celles de Mazarin, a soin de nous prévenir qu'il en laissera de côté un grand nombre et que, pour beaucoup d'autres, il se bornera à une analyse succincte. On ne peut s'empêcher de le regretter, tout en reconnaissant qu'il était difficile de faire autrement. En effet, les papiers de Mazarin, mis en ordre par ses secrétaires, forment quatre cent soixantedeux volumes, qui sont aujourd'hui dispersés dans différents dépôts, les archives des affaires étrangères et la bibliothèque Mazarine entre autres. On trouve encore des lettres de Mazarin à la Bibliothèque et aux Archives nationales, à l'Institut, à SainteGeneviève, en Russie, en Italie, etc. A côté de cette correspondance officielle, il faut mentionner encore les carnets si curieuse

ment étudiés par M. V. Cousin; ces carnets se composent de quinze petits volumes, où Mazarin écrivait de sa main et parfois au crayon ses pensées les plus intimes, ordinairement en italien, quelquefois en espagnol, enfin en français dans les dernières années.

Les extraits que nous donne M. Chéruel sont donc, il en convient, bien peu de chose comparés aux volumineux manuscrits qu'a laissés Mazarin; et, pourtant, le volume in-quarto de mille pages que nous avons sous les yeux commence au mois de décembre 1644; il embrasse donc un laps de temps de dix-huit mois seulement.

Ce n'est pas là, il s'en faut, l'époque la plus intéressante de la vie de Mazarin. Sous prétexte « qu'il s'agit ici de documents historiques et non d'une biographie », M. Chéruel n'a compris dans son édition que les lettres éerites pendant le ministère de Mazarin. J'ignore si ce plan lui a été imposé par le ministère de l'instruction publique, sous les auspices et aux frais duquel est faite la publication; mais ses avantages, je l'avoue, me frappent beaucoup moins que ses inconvénients.

D'abord, la vie de Mazarin appartient à l'histoire bien avant le jour où il fut nommé premier ministre; il n'est point indifférent de savoir comment il négocia la paix à Casal et comment il acquit à la France Pignerol et Sedan. Ensuite, je ne crois pas que l'on puisse regarder comme une curiosité superflue le désir de connaître les débuts du plus fin politique qui ait jamais gouverné notre pays. Par suite de quelles circonstances le fils de Pietro Mazzarini, l'humble homme d'affaires des Colona, se trouve-t-il à vingt ans capitaine d'infanterie, et à trente ans le bras droit de Richelieu, c'est certainement là de l'histoire. On trouve ces détails, je le sais bien, dans un fort beau livre de M. Cousin; mais M. Cousin n'a guère fait qu'analyser des pièces dont on voudrait précisément trouver le texte en tête de ce volume. N'oublions pas que, si les éditeurs de la correspondance de Napoléon Ier, par exemple, avaient adopté le principe qui a prévalu ici, ils eussent commencé leur travail en 1804 et supprimé tous les documents antérieurs à la proclamation de l'Empire.

La comparaison est exacte; car des hommes tels que Maza

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