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déchargeant Pignata de l'excommunication, elle le condamnait à une prison perpétuelle. Cette sentence eut pourtant le bon effet de donner au prisonnier, devenu l'hôte définitif de la maison, quelques facilités précieuses. C'est ainsi qu'il put obtenir d'être réuni à un de ses amis nommé Alfonsi, détenu comme lui et pour les mêmes motifs; comme lui aussi disposé à tout faire pour se procurer la liberté. Il bénéficia également de l'obligation où l'on fut de réparer le corps de bâtiment qu'ils habitaient tous deux, et se trouva pendant quelque temps dans un logement qui lui permit de converser, par la fenêtre, avec d'autres prisonniers. L'un d'eux, un prêtre français nommé François Paget, « homme qui passait pour très-savant et qui parlait parfaitement bien six langues,» voulut bien tirer son horoscope et lui prédit qu'il serait bientôt hors de prison, mais qu'Alfonsi s'exposait, dans le cas où il le tenterait, « à se casser une jambe. » Le célèbre Molinos, prisonnier aussi, qu'il eut occasion d'entretenir à la dérobée, en allant à la messe ou en revenant, lui pronostiqua également sa liberté dans un avenir rapproché. Molinos, emprisonné à Rome en 1685, se trouvait en effet, au moment dont parle Pignata, l'hôte forcé du SaintOffice, n'étant mort qu'en 1696. Quant au prêtre français, François Paget, nous avons cherché vainement son nom dans quelques écrits contemporains.

Les projets d'évasion de Pignata furent à ce moment servis par une circonstance des plus heureuses. Lorsque le bâtiment qu'il avait habité eut été réparé, l'on procéda à une nouvelle répartition des logis et il leur échut, à Alfonsi et à lui, une chambre qu'ils avaient ardemment convoitée. Elle était en effet dans une partie du palais qui se trouvait, par exception avec le reste de l'édifice, n'être pas entourée d'une muraille et d'un fossé et, sauf l'élévation, communiquait directement ainsi avec la rue. La rue! comprend-on la magie de ce mot pour un prisonnier ? En outre cette chambre était divisée en deux parties dont l'une, fort obscure, pouvait

cessiter le percement du mur. Pignata se mit donc à espérer de toutes les forces de son âme et il ne fallait pas moins que cette confiance pour adoucir l'amertume d'une entrevue qu'il eut, dans ce temps-là, avec son frère et sa vieille mère. Ce frère, qui habitait Gratz, en Styrie, où il était au service du prince d'Eckenberg, comme maître de chapelle, était venu à Rome pour arranger les affaires de la famille qui étaient en fort mauvais ordre. Il en repartit emmenant avec lui leur mère, âgée alors de quatre-vingt-dix ans. Tous deux obtinrent, avant leur départ, la permission de voir le prisonnier, et combien de larmes furent versées au moment de la séparation que Pignata était le seul à ne pas croire éternelle !

Que de difficultés à vaincre pourtant! N'avoir pour percer un mur de plusieurs pieds d'épaisseur qu'un canif, une paire de petits ciseaux et un clou trouvé, de fortune, sur le chemin de la chapelle et précieusement, comme on le pense bien, ramassé. En quête d'un morceau de fer plus sérieux, Pignata en vint à un expédient héroïque. Il allégua, mieux que cela, il fit preuve de la nécessité où il s'était mis (que ne ferait-on pas pour la liberté!) de porter un bandage; mais le cercle de fer sur lequel il comptait tant se trouva à peu près inutile, suite de sa flexibilité, et notre héros eût conçu quelque par découragement s'il n'eut découvert dans le même temps, attaché à la muraille, un gond que l'on y avait oublié dans un endroit où il y avait eu autrefois une porte. S'emparer de ce morceau de fer, le remplacer par un gond de carton peint de manière à défier l'œil des geôliers (heureusement qu'il se trouvait placé un peu haut!), tout cela fut l'affaire de quelques jours. Et savez-vous comment Pignata s'y prit pour avancer son travail d'extraction? Ce fut, dit-il, en soufflant sur la pierre qu'il grattait avec le clou, son ustensile de résistance, force vinaigre qu'il avait mis dans sa bouche. Tradition, comme on le voit, d'Annibal :

Et montes rupit aceto.

A cet endroit du récit, l'auteur dit avoir interrompu « M. Pignata » pour lui demander non pas des explications

sur ce procédé punique, mais bien comment il pouvait disposer d'une certaine quantité de vinaigre. A quoj Pignata lui répond qu'il avait soin de mettre de côté, chaque jour, celui qu'on leur donnait pour accommoder leur salade; et le récit continue.

Entre temps Pignata ne négligeait pas d'invoquer la Providence. Il avait fait vœu d'envoyer à l'église des religieuses du Campo marzo, en cas de délivrance, un tableau fait par lui, et dès le mois d'octobre 1693, il s'acquittait, par avance, de cette dette. En même temps, et dans l'éventualité d'une tentative d'évasion manquée, il sondait adroitement, par manière de conversation, le père commissaire chargé de le visiter, sur la pénalité qu'un prisonnier pouvait encourir dans ce cas. Il fut agréablement surpris par le distinguo de ce bon père. Le prisonnier non relevé de l'excommunication devenait, il est vrai, lui dit-il, passible des peines les plus graves en cas de tentative d'évasion, tandis que celui condamné simplement, comme lui, à la détention n'était jugé coupable que de simple fracture de prison; « car il est naturel de tâcher de se mettre à couvert des peines que l'on souffre.» Tout n'était pas mauvais dans la doctrine des casuistes.

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Il ne restait donc plus qu'à pratiquer dans la muraille l'ouverture qui devait donner passage aux deux prisonniers, lorsqu'une réflexion surgit dans l'esprit de Pignata, réflexion qu'il n'hésita pas à attribuer à l'inspiration divine: « Et de sens rassis il me vint en pensée comme si on me disoit : Pourquoi songes-tu à rompre une muraille si épaisse et « non pas plutôt le haut de la voûte? » Il faut savoir que la chambre placée au-dessus de celle des prisonniers était habitée, pendant l'été, par un commissaire du Saint-Office, et que cette chambre était éclairée (il le savait) par une fenêtre sans barreaux donnant sur un balcon. Elle était naturellement, il est vrai, un peu plus élevée au-dessus du sol de la rue; mais, comme le remarque Pignata, «< celui qui descend de cinquante pieds en peut bien descendre de soixante. » Il

bientôt. Pendant ce temps les deux prisonniers se taillèrent dans des couvertures de laine qu'ils tenaient cachées depuis longtemps dans leur paillasse, des robes d'ermites telles qu'en portaient ceux de la porte Angelica. Ils confectionnèrent également des besaces et des cordes avec des morceaux de leurs draps, puis, quand le délogement de leur voisin fut chose faite, ils commencèrent, de nuit, l'attaque de la voûte.

La chambre des prisonniers mesurant dix-sept pieds de hauteur, ils durent échafauder les uns sur les autres leurs lits, leurs deux tables et leurs siéges. Cela n'alla pas sans tâtonnements. Après quelques essais de sondage, ils se décidèrent à pratiquer l'ouverture dans l'endroit où la voûte rejoignait le mur qui séparait les deux parties de la chambre. C'est alors que le vinaigre fut plus que jamais employé. En une nuit, ils menèrent assez vivement leur besogne pour arriver à la couche de briques qui formait le sol de la chambre supérieure; mais ce ne fut pas sans avoir soulevé des nuages de poussière qui auraient pu les déceler. Pour détourner les soupçons, il feignirent, le matin venu, de balayer leur chambre avec animation, et tout se borna à un : « Quelle diable de poussière vous faites! » dit par le geôlier qui vint leur apporter leur déjeuner.

Enfin le jour « fatal » arriva. « Ce fut le 9o de novembre 1693, dédié à Rome à la basilique du Saint-Sauveur. » Pendant cette journée, les deux prisonniers achevèrent leurs préparatifs de costume; puis, la nuit venue, ils entamèrent la couche de briques qui restait à l'ouverture déjà faite, ouverture qu'ils avaient eu soin de dissimuler dans la journée par une feuille de papier peint dans le ton de la pierre. Une résistance sur laquelle ils n'avaient pas compté faillit un moment les déconcerter. Un siége à bras fort pesant avait été laissé juste au-dessus du point de la voûte qu'ils avaient choisi. Ils furent quelque temps à se rendre compte de cet obstacle; enfin Pignata ayant pratiqué une ouverture suffisante pour passer le bras, put atteindre un des pieds de ce siége et l'écarter. Il agrandit ensuite cette ouverture de ma

nière à donner passage à un corps humain; puis tous deux, après avoir jeté leurs habits dans « le lieu secret », afin qu'on ignorât comment ils étaient vêtus au moment de leur fuite, firent un paquet de leurs robes d'ermites et, prenant leurs draps cousus en manière de cordes, se disposèrent à passer dans la chambre supérieure. Cela fut facile à Pignata; mais l'ouverture avait été mal calculée pour Alfonsi, qui, plus gros que son compagnon, faillit rester en arrière. Et notez que la nuit s'avançait, qu'il n'en restait plus que tout juste ce qu'il fallait pour effectuer la descente et gagner la porte de la ville la plus rapprochée.

Beaucoup de choses se ressemblent dans les récits de ce genre. En racontant, il y a quelques années (1), aux lecteurs du Bulletin l'évasion du Père Quesnel des prisons de l'archevêque de Malines, nous avons montré ce vieil athlète du jansénisme se dépouillant de tous ses vêtements afin de pouvoir passer par l'ouverture de salut que lui avaient ménagée ses libérateurs. Alfonsi dut faire de même. A force de bras son compagnon parvint à le faire émerger de l'étroit passage, mais non sans de nombreuses écorchures. Une fois habillé, et la corde solidement attachée à la balustrade du balcon, Alfonsi obtint de descendre le premier; mais mal remis sans doute de l'émotion qu'il venait d'avoir, il ne fut pas plutôt aux deux tiers de son voyage aérien, que Pignata entendit le bruit d'une chute sur le sol et un grand cri de : « Ah! Jésus! » Enjamber rapidement le balcon et se laisser glisser jusqu'au bas fut pour Pignata l'affaire d'un instant. Une fois arrivé à terre, il constata que son malheureux compagnon s'était fracturé la jambe en plusieurs endroits. Ainsi se trouvait accomplie la prédiction de François Paget!

Quel parti prendre? Si Alfonsi avait pu faire quelques mouvements et se traîner sur les marches de Saint-Pierre, dont il n'était éloigné que de quelques pas, il eût échappé au Saint-Office (c'est Pignata qui nous l'apprend), en vertu

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