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de grâces: Te Deum laudamus, te Dominum confitemur, te æternum patrem....

III

Voilà donc notre fugitif momentanément à l'abri des poursuites du Saint-Office. La période aiguë de ses tribulations vient de finir, mais tout, dans l'œuvre de son salut définitif, est loin d'être terminé. Après l'action directe, l'action diplomatique. Comme nous l'avons dit lors de la courte halte de Pignata en Sabine, son arrestation ne pouvait plus avoir lieu maintenant que du consentement des magistrats du pays qu'il avait choisi pour refuge, mais il était à craindre que les officialités, informées de son passage, ne sollicitassent et n'obtinssent cette autorisation. De là, la nécessité pour lui de ne pas s'endormir dans une sécurité trompeuse et de gagner au plus vite un pays où la différence de langue et de religion le mît complétement à l'abri des revendications ecclésiastiques. Nous allons donc assister à une nouvelle fuite qui, bien que moins accidentée que celles qui l'ont précédée, contient plus d'un détail qui complète la physionomie de notre héros et de son époque.

La première rencontre que firent Pignata et son compagnon sur les terres du roi d'Espagne fut celle d'une hôtellerie où se trouvait, comme les en avait prévenus' Scipion, un poste d'archers placés là, non pas pour examiner les passeports, chose inconnue en ce temps-là, mais par mesure générale de police, et principalement pour s'opposer à la sortie du blé. Ces archers firent subir à Pignata une sorte d'interrogatoire. Il se donna comme étant « sujet de M. le connétable [Colonna]» et leur dit qu'il venait de Marino et allait à Tagliacozzo, chargé d'une mission verbale pour le vicecomte. Après un repas qui leur parut délicieux bien que composé uniquement de champignons, les deux voyageurs passèrent la nuit sur la paille et repartirent le lendemain pour Tagliacozzo avec un ânier qui, moyennant un demi

à

paolo, consentit à les transporter un peu plus loin, jusqu'à Avezzano, sur le lac de Fucino. Arrivé là, Pignata songea se séparer de son compagnon. Après avoir changé d'habits avec lui, dans le but, sans doute, d'achever de dépister les recherches dont il aurait pu être l'objet, il chargea Francesco d'une lettre dans laquelle il informait son hôte de la Sabine de son arrivée en terre napolitaine. Dans cette lettre, Pignata priait son ami, entre les mains de qui il avait laissé quelques bagues qu'il portait au moment de son passage, de les vendre et, sur le prix, de faire don à Francesco d'un manteau neuf. Cette largesse fit oublier à celui qui en était l'objet les émotions qu'il venait de traverser, ainsi que les dangers qu'il avait courus, et la séparation eut lieu dans un embrassement fraternel.

Resté seul à Avezzano, Pignata comptait prendre quelques jours de repos, mais, pour s'être départi un moment des mesures de prudence auxquelles le condamnait sa position, il se vit presque immédiatement obligé de se remettre en route. Son premier soin, en arrivant à l'hôtellerie, avait été de demander que l'on fît chauffer du vin pour laver ses pieds écorchés. Il s'était fait également frotter le corps avec de l'huile, et ce détail, assez insignifiant en lui-même, joint à la demande qu'il avait faite d'un lit à part, tranchait cependant assez avec son costume de paysan, pour ne pas passer sans être remarqué. L'on en parla dans l'hôtellerie : l'on en parla au dehors, si bien que, le lendemain matin, au sortir de la messe, Pignata se vit aborder par un gentilhomme qui avait ordre de son maître, un grand seigneur du royaume de Naples », de faire une sorte d'enquête au sujet du voyageur mystérieux qui défrayait déjà les conversations des bonnes gens d'Avezzano. Mis en présence de ce « grand seigneur » Pignata ne peut moins faire que trahir son incognito et raconter ses aventures. Tout en lui manifestant une assez vive sympathie, ce personnage déclara ne pas vouloir « se brouiller avec le Saint-Office. Il conseilla donc à Pi

«

là Venise, où il avait l'espoir de rencontrer son frère, et poussa même la condescendance jusqu'à écrire de sa main l'itinéraire que devait suivre Pignata. Puis il le congédia sans s'être enquis (c'est une remarque du narrateur) si sa bourse était suffisamment garnie pour ce nouveau voyage.

Notre fugitif repartit donc et marcha toute la journée dans la direction qui lui avait été indiquée. La nuit venue, et ayant perdu sa route, il trouva asile dans une cabane où trois petits bergers, dont l'aîné pouvait avoir dix-sept ans, consentirent à le recevoir. L'on mit en commun les provisions qui consistaient en des fèves apportées par ces bergers et des champignons ramassés par Pignata, que l'on accommoda << avec de l'huile, du vin, de l'ail, du sel et de la petite menthe. » Pignata avait repris son rôle de pèlerin de Lorette. « Pendant que notre souper cuisait, dit-il, je racontai à ces enfants plusieurs histoires de la vie des saints, y ajoutant quelques exhortations qui étaient de leur portée. Je leur fis réciter à tous trois leur Pater noster, et le peu de prières qu'ils savaient. Les pauvres pasteurs qui n'avaient jamais ouï de tels discours croyaient que c'était des merveilles. Ils me prièrent de repasser par là, afin de leur dire encore de si bonnes choses. Nous soupâmes gaiement et nous nous couchames sur la paille. »

Le lendemain matin, Pignata, remis dans son chemin, put contempler du haut d'une montagne la mer Adriatique. Après avoir mis en fuite une bande de loups, il arriva à Goriano où il trouva dans l'hôtellerie un voyageur qui lui parut être « un homme d'importance, » et que l'on appelait << monsieur le capitaine. » Après avoir lié conversation avec lui, Pignata apprit qu'il avait affaire au bourreau d'Aquila qui se rendait dans plusieurs villages pour y exposer les quartiers de quelques malfaiteurs récemment mis à mort, Le transport de ce personnage et de sa funèbre cargaison étant à la charge des villages qu'il traversait, dont les habitants étaient obligés de mettre à sa disposition soit leurs chevaux et charrettes, soit une somme d'argent indétermi

née, Pignata assista au spectacle des paysans venant débattre, avec cette ténacité qui leur est propre, les conditions de leur contribution. Par son éloquence, il put obtenir quelque adoucissement pour une famille qui, dans sa reconnaissance, lui offrit pour quelques jours le vivre et le couvert, mais il n'en continua pas moins sa route vers la côte. Il avait dans un petit port appelé Civita di Penna des parents qu'il n'avait pas vus depuis son enfance, et chez lesquels il espérait trouver quelques secours d'argent pour payer son passage à Venise. Son attente ne fut pas trompée. Reçu à bras ouverts par ces parents, après s'être glissé un beau soir dans leur maison avec les précautions dont il était devenu coutumier, il put renouveler sa garde-robe et se munir d'une petite somme qui lui permit d'aller attendre dans un port voisin, dont il ne nous dit pas le nom, la mise à la voile d'une felouque en partance pour Venise.

Pignata avait compté sur un départ prochain, sinon immédiat; mais au bout de deux ou trois jours, voyant que le bon vent se faisait attendre, la vision des hommes à manteau noir vint de nouveau hanter son cerveau, et discrètement, sans prévenir qui que ce soit, il partit un beau matin, tirant du côté de la Sicile et voyageant soit à pied, soit avec le secours des âniers que le hasard lui faisait rencontrer. Il arriva ainsi, après avoir passé le détroit, à Messine; mais ayant aperçu, se promenant sur le port, deux musiciens romains, « de ceux qu'on fait à la main, » qu'il avait connus autrefois, il prit peur et repassa immédiatement sur le continent où il lui arriva, dans les environs d'Otrante, une déplorable aventure qui faillit marquer le terme de ses pérégrinations. Ce fut la rencontre de deux bandits qui l'assaillirent un soir, à coups de bâton, pendant qu'il cheminait, et le laissèrent pour mort sur la place après l'avoir dépouillé de son argent et de ses vêtements, haut-de-chausses compris. Par bonheur, il se trouva qu'aucun de ces coups de bâton n'avait déterminé de lésion grave, et qu'après une heure

de bergers où on le pansa tant bien que mal. Il en repartit vêtu d'une peau de brebis que lui avaient donnée ces bergers, et la Providence, qui place le remède à côté du mal, lui envoya à ce moment la rencontre d'un prêtre auquel il avait fait obtenir autrefois un canonicat par le ministère du cardinal Basadonna, son patron en ce temps-là. Il se fit reconnaître de ce prêtre et obtint de lui, outre le don d'un vieil habit, un secours de deux pistoles qui, joint à pareille somme restée cousue dans la ceinture de son caleçon, lui permit de prendre passage à bord d'un navire qui allait d'Otrante à Zara et sur lequel il s'embarqua avec quelques provisions que lui avait données ce prêtre généreux : « entre autres deux grands coqs d'Inde, du pain et du vin. »

Nous glisserons sur les incidents de cette traversée qui fut des plus pénibles, et nous laisserons de côté les remarques faites par Pignata pendant son court séjour en Dalmatie, pour le reprendre au moment où il s'embarqua à Zara pour Malamocco, sous le nom de Gasparo Fidele. Cette nouvelle traversée, également marquée par une tempête dont le narrateur n'omet aucun détail, se termina pourtant heureusement, et le 21 janvier 1694, Pignata se vit enfin à Venise, où il eut bientôt retrouvé son frère. L'on était en carnaval, et, grâce à la liberté du masque (car il y avait encore des précautions à prendre), Pignata, amplement reposé, put se divertir à loisir. Nous n'avons pas besoin de dire que l'accueil de son frère avait été des plus tendres, et qu'un des premiers soins du fugitif avait été de se rééquiper et de quitter le costume calabrais qu'il portait depuis son départ d'Otrante et qui le faisait, dit-il, ressembler au personnage bouffon du théâtre Italien connu sous le nom de Giangurgolo Calabrese.

Le carême arrivé, Pignata partit pour Gratz avec son frère, qui y était rappelé par ses fonctions de maître de chapelle du prince d'Eckenberg. Il reçut de ce prince l'accueil le plus bienveillant et revit, non sans une douce émotion, sa vieille mère; mais l'heure du repos définitif n'était

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