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les vers dans lesquels Huon de Villeneuve se nomme. La perte serait encore plus regrettable, si, comme il y a quelque apparence, le ms. mis à profit par Fauchet avait fait partie de la bibliothèque formée par Charles V. On lit, en effet, dans l'édition que M. Delisle a récemment publiée de l'inventaire de la librairie du Louvre, un article ainsi conçu :

Buesves d'Esgremont, la Vie saint Charlemainne, les Quatre fils Aimon, Dame Aie d'Avignon, les Croniques de Jerusalem, Doon de Nantueil, Maugis le larron, Vivien et Raoul de Cambrai '.

Il y a une coïncidence partielle entre cette description et celle que Fauchet nous donne de son manuscrit. On trouve de part et d'autre les romans de Renaut de Montauban (ou, ce qui est la même chose, des Quatre fils Aimon), de Doon de Nanteuil, d'Aie d'Avignon. Si Gui de Nanteuil ne figure pas dans la notice du ms. de Charles V, on ne peut en conclure avec certitude que ce roman ne se soit pas trouvé dans le ms. en question, car Gui de Nanteuil est la continuation d'Aie d'Avignon et, si le copiste n'a pas pris soin de séparer nettement les deux ouvrages par une rubrique ou de quelque autre manière, le rédacteur de l'inventaire du Louvre, médiocre bibliographe, a pu ne voir qu'un roman là où il y en avait deux. Je n'oserais pourtant affirmer l'identité des deux mss. Je pose la question sans la résoudre. S'il y a des ressemblances entre les deux notices, il y a aussi des différences. Le ms. de Charles V contenait Maugis et Vivien, probablement Vivien l'amacor de Montbrant, qui se trouve joint à Maugis dans un ms. bien connu de Montpellier. Or Fauchet, autant que j'ai pu le vérifier, ne fait nulle part mention de ces deux romans. Il y avait aussi dans le même ms. un Raoul de Cambrai. Nous savons bien que Fauchet possédait un texte de ce poème, mais rien ne prouve qu'il fût, comme dans le ms. de Charles V, joint à Renaut de Montauban, à Doon de Nanteuil, et autres poèmes qui ont formé ce qu'on a appelé la Geste de Doon de Mayence. La question reste donc obscure.

Quoi qu'il en soit, que le ms. de Charles V et celui de Fauchet aient été distincts, ou qu'ils se réduisent à un seul, le fait est que l'on n'a possédé jusqu'ici de l'un des poèmes contenus dans ces deux mss., Doon de Nanteuil, que les vers cités par Fauchet. Il y en a 16 en tout, si j'ai bien compté 10 à l'endroit indiqué plus haut, 2 à la page suivante (fol. 563 vo des Euvres, 1610), 4 enfin dans les Origines des dignitez et magistrats de France (Euvres, fol. 486 v°). Ce nombre va être sensiblement accru. Je publie dans les pages qui suivent 220 vers du poème de Doon de Nanteuil. C'est encore à Fauchet que nous les devons.

1. Delisle, Cabinet des manuscrits, III, 164.

Il y a à la Bibliothèque nationale, sous le n° 24726 du fonds français, un ms. provenant de l'abbaye de Saint-Victor, qui est entièrement composé de cahiers écrits par Fauchet à des époques très diverses et sur des sujets très variés. Dans le commencement on trouve de courtes dissertations écrites d'une main posée, qui ont l'apparence d'une mise au net. Puis viennent des notes rapidement tracées sur divers sujets d'histoire, des extraits de chroniques, de poèmes, des tableaux généalogiques. Dans cette seconde partie du volume se trouvent des extraits ainsi intitulés :

D'ung Romant appellé Guion de Nantueil (fol. 66).

« Du Romans Renaut de Montauban (ibid.).

« D'un autre Roman que je pense estre de Doon de Nantoil (fol. 68).

« Du Romans Aien d'Avignon et Garnier de Nantoil (fol. 69 vo).

« Romans de Guiot fils d'Aie d'Avignon et de Garnier (fol. 70 vo). « Romans de Raol de Cambrai » (fol. 71).

J'ai fait usage des extraits de Raoul de Cambrai pour l'édition de ce poème que vient de publier la Société des anciens textes français; j'étudierai les extraits de Gui de Nanteuil et d'Aie d'Avignon dans un mémoire particulier où je ferai en outre connaître d'importants fragments manuscrits d'Aie qui m'ont été récemment communiqués. Je décrirai, avec des détails qui ici ne seraient pas à leur place, les notes de Fauchet dans un mémoire sur les mss. possédés ou utilisés par le savant président. Actuellement je m'attache à Doon de Nanteuil.

Que sait-on de Doon de Nanteuil indépendamment des extraits de Fauchet? Telle est la question à laquelle nous allons d'abord tâcher de répondre.

Le poème qu'on pourrait intituler La Mort Beuve d'Aigremont, qui, dans son état actuel, forme la première branche de Renaut de Montauban, nous présente Doon de Nanteuil comme le frère de Girart de Roussillon, d'Aimon de Dordone et de Beuve d'Aigremont. L'introduction de Girart de Roussillon dans cette parenté montre que nous n'avons pas affaire ici à une conception bien ancienne. Pourtant, la constitution de cette famille épique ne peut pas être postérieure au XIIe siècle : je la placerais, pour éviter de préciser plus qu'il n'est à propos de faire, entre 1150 et 1180. La Mort Beuve d'Aigremont nous apprend que Doon de Nanteuil et son frère Girart ont été en guerre avec Charlemagne. Cette guerre n'a pas eu pour eux une issue favorable. Doon y a perdu son château. L'empereur sait bien pourquoi Beuve refuse de venir à sa

cour:

1. Sous ce titre Fauchet donne uniquement les vers signalés ci-dessus, p. 1, ceux dans lesquels est nommé Huon de Villeneuve.

1 Il (Beuve) me het por son frere, que je bien sai et voi,

Cui je toli Nantueil, s'abati le bofoi'.

Girars de Rossillon en guerroia vers moi,

Chaitif l'en fis fuir parmi le sablonoiz.

(Ed. Michelant, p. 5.)

Plus loin, dans le même poème, la femme de Beuve engage son époux à ne pas s'exposer de nouveau à la colère de l'empereur :

2 Membre vos de Doon vo frere, le guerrier.
Entre lui et Girart, ki molt s'avoient chier,
Assés le (le roi) guerroierent au fer et a l'acier;
Mais a la pardefin ne porent avancier :
Fuir les en covint et le païs vuidier...
Or revolés le roi de novel guerroier !

(Ibid., p. 13.)

G. Paris a déjà cité ces passages, pour en induire l'existence «< d'un << poème français de Girart de Roussillon assez différent et d'une date « reculée, bien que moins ancien que le provençal 2. » Je crois qu'il en faut conclure bien plutôt l'existence d'un ancien poème de Doon de Nanteuil. Rien n'empêche que dans ce poème Girart de Roussillon se soit allié à son frère Doon pour faire la guerre à Charlemagne.

La Mort Beuve d'Aigremont fournit encore d'autres témoignages que G. Paris a réunis et qu'il applique cette fois, avec toute raison, à un poème perdu de Doon de Nanteuil. Deux d'entre eux font allusion, comme l'un de ceux qui ont été cités plus haut, à la prise de Nanteuil par Charlemagne ; voici le plus explicite des deux :

3 Quant (Charles) prist guerre a Doon par son entiscement,

Il le vint aseoir sens nul detriement;

A lui se combati sous Nantueil voirement.

La le vainqui li rois, jel sai a escient,
Mais ce fu par l'esfors d'une paiene gent

Qui tornerent en fuie com traïtor pullent.

(Ibid., p. 15.).

Les deux derniers vers fournissent un détail intéressant: Doon aurait appelé à son aide des païens qui l'auraient abandonné au moment du danger. Qu'advint-il de Doon après sa défaite? Le même poème va nous l'apprendre il se réfugia en Pouille, où l'empereur le poursuivit vainement. Charlemagne se plaint de Beuve:

4 Qui, por l'amor Doon m'a si coilli en hé

Ne me daigne servir, çou est la verité,

1. Bofoi peut aller, mais j'aimerais mieux befroi.
2. Hist. poét. de Charlemagne, p. 298.
3. Ouvr. cité, pp. 299, 300.

Pour cou que le (Doon) chaçai en Puille le regné.

La l'alai jou requerre n'i pot estre trové.

Et ailleurs il est dit de Charlemagne :

(Ibid., p. 2.)

5 Ja le (Doon) chaça il fors de la siue contrée,
En la terre de Puille fui a recelée.

(Ibid., p. 15.)

La chanson d'Aie d'Avignon, qui, dans sa partie ancienne, est notablement antérieure au XIIIe siècle, nous fournit des témoignages qui conduisent aux mêmes conclusions. Dans ce poème, le héros principal, Garnier de Nanteuil, fils de Doon de Nanteuil, est en possession de la faveur de Charlemagne, mais des envieux tâchent d'exploiter contre lui le souvenir de son père. « Par ma foi, dit un de ces malveillants per<< sonnages,

6 «Se au roi remembrast de vo pere Doon,

« De l'asaut qui fu fait a Nentuel sa maison,
« De l'orgueill vos cousins les .iiij. fiz Aimmon,
« Ja n'eüssiez sa niece ne l'enor d'Avignon. »

(Ed. Guessard et Meyer, p. 11.)

Un autre passage fait allusion à la fuite de Doon en Pouille :
Sire, dist Alerans, li quens de Traysin,

« Membre toi de Nentuel quant il fu l'autre an pris;
«En la terre de Puille s'en foi Do chaitis. >>

(Ibid., p. 81.)

Un peu plus loin nous trouvons la mention d'une particularité qui semble avoir été tirée du poème de Doon. Certains personnages, ennemis de Garnier de Nanteuil, sont faits prisonniers et mis dans une prison où jadis Doon avait enfermé le sarrazin Magan. Ce Magan aurait donné à Doon, probablement à titre de rançon, «<le char balancien d'or fin. » Je ne suis pas plus maintenant qu'il y a vingt-cinq ans, alors que je préparais l'édition d'Aie, en état d'expliquer ce que pouvait être un char balancien, mais je me figure que c'était un objet très désirable. Le fait est que Charlemagne, non moins cupide que le fut plus tard Richard Cœur de Lion, paraît en avoir eu envie, d'où la guerre entre Doon et l'empereur. Voici les vers :

8 Puis les mist en la chartre au fondement marbrin
Ou Do ot en prison Magan, j. Sarrazin,

Qui li donna le char balancien d'or fin,

Dont puis li vint la guerre Karlon le fiz Pepin.

(Ibid., p. 88.)

Gaufrei, poème assez tardif, nous fournit une sorte de généalogie très

précise d'après laquelle Doon de Mayence aurait eu douze fils, parmi lesquels Gaufrei, le héros du poème, Doon de Nanteuil, Grifon d'Hautefeuille, Aime de Dordonne, Beuve d'Aigremont, Girart de Roussillon '. C'est le développement de la tendance à grouper les héros épiques que nous avons déjà constatée dans la Mort Bueve d'Aigremont. Ce qui nous intéresse davantage, c'est un passage où l'auteur de Gaufrei nous dit que Doon de Nanteuil, ayant épousé la belle Clarisse, fille d'un seigneur nommé Henri, qui était cousin du duc Naime, engendra un fils qui reçut à sa naissance le nom de Berart, ajoutant que ce Berart fut tué par Bertran lorsqu'il alla en message auprès de Doon de la part de Charlemagne :

9 Chele nuit engendra .j. valet avenable;

Puis ot a nom Berart, mout fu courtois et sage;
Mez Bertran l'ochist puis quant ala u mesage

A Doon de Nantueil de par le bon roi Kalles 2.

(Ed. Guessard et Chabaille, p. 142.)

Il ne nous manque plus que de savoir qui était ce Bertran. Philippe Mousket, qui, il faut le dire, traite Doon d'une façon assez sommaire 3, va nous l'apprendre : il nous dit en effet que Charles envoya à Doon, comme messager, Bertran, le fils du duc Naime de Bavière :

10 Car losengier et traïtour

Li fisent grant anui maint jour
Ki devoient iestre si home.
L'estore Doon premiers nome
8430 Quant il fist Bertran mesagier,
Pour aler Nantuel assegier.
Et cil Bertrans fu fius Namlon
De Baiwiere, le preu baron,
Ki sages iert sor toute rien,
8435 Et maintes fois le siervi bien.

1. Voy. l'édition Guessard et Chabaille, dans le recueil des Anciens poètes de la France, p. 4. — Une liste assez différente des douze fils de Doon de Mayence est donnée dans le Myreur des Histors de Jean des Preis dit d'Outremeuse. On y lit Ly viije fut Doon chis conquist sour les Sarasins la terre de Nantuel et de Brandeborch. Chis oit grant guerre a roy Charle; si en perdit sa terre, mais il prist depuis a femme Sibilhe, le filhe le conte de Lovay; chis oit .j. fis « qui oit nom Garin. Chis portat l'escut de geule a une crois d'argent. »

2. Les vers qui précèdent les quatre ici rapportés sont obscurs, et, s'il n'y a pas quelque faute, on pourrait croire que la tirade est hors de sa place. Les éditeurs ont fait justement remarquer dans une note que le mariage de Doon est raconté un peu plus loin, p. 144; les vers que nous citons d'après la p. 142 semblent donc venir un peu trop tôt. On ne peut cependant admettre la supposition des éditeurs, que ces mêmes vers se rapporteraient au mariage de Girart, frère de Doon; Berart est en effet le fils de Doon et non de Girart.

3. Chronique rimée, v. 8429 et suiv.

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