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faire de Clémence une Flamande, et que le plus ancien texte de son œuvre nous apparaît en Angleterre, nous reconnaîtrons tout naturellement dans Berekinge le Berecinge, Berekinge anglais, aujourd'hui Barking, tout près de Londres, où existait en effet une célèbre abbaye de Bénédictines.

Voici, d'après les leçons comparées des deux manuscrits, les passages où Clémence parle d'elle-même :

Uns Deus en sainte trinité
Par sa pité me deint aidier
A ceste oevre que vueil traitier
D'une sue veraie amie,

De cui vueil translater la vie,
De latin espondre en romans,
Pur ço que plus plaise as oians.
Ele fu jadis translatée,

Sulunc le tens bien ordenée;
Mais ne furent dunc si veisdus

Li hume ne si envius

Cum il sunt al tens qui est ore,

Et après nus peiur encore.
Pur ço que li tens est mués

E des humes la qualités

En est la rime vil tenue,
Car ele est alques corrumpue.
Pur co si l'estuet amender,
Le tens sulunc la gent user.
Ne l'ament pas pur mun orgueil,
Car point prisée estre n'en vueil :
Il suls en det loenge aveir
De cui sai mon povre saveir.

Je ki la vie ai translatée

Par nun sui Climence numée,
De Berekinge sui nunain;

Pur s'amur pris ceste oevre en main.
A tuz cels qui cest livre orrunt
E qui de bon cuer l'entendrunt
Pur amur Deu pri et requier
Qu'il vueillent Deu pur mei preier
Qu'il m'anme mete en pareis

E guart le cors tant cum est vis,

Qui vit e regne e regnera

Et est et ert e parmaindra.

IT clemence, P dimence.

J'ai remis à M. U. Jarnik, professeur à l'université tchèque de Prague, l'excellente copie du manuscrit de Tours que je dois à miss L. T. Smith; il a copié le manuscrit de Paris, et il prépare de la Vie de sainte Catherine de sœur Clémence de Barking une édition critique que ce poème mérite à tous égards. G. P.

III.

KACHEVEL.

Comme nous nous en sommes aperçu après coup, l'étymologie que nous avons donnée de kachevel (Romania, t. XI, p. 109) avait déjà été indiquée par A. Tobler, p. 42 de sa Darstellung der lateinischen Conjugation und ihrer romanischen Gestaltung nebst einigen Bemerkungen zum provenzalischen Alexanderliede, Zürich, 1857).

J. CORNU.

IV.

UNE TRADUCTION D'ANDRÉ LE CHAPELAIN

AU XIII SIÈCLE.

J'ai indiqué récemment ici (xII, 526) la mention faite par Nicole de Margival, l'auteur du roman de la Panthère d'Amours, d'une version du livre «< qu'on appelle en français Gautier, » c'est-à-dire du traité d'André le Chapelain sur l'amour, composée avant la fin du XIe siècle par un poète dont Nicole fait l'éloge, et auquel le seul des deux mss. de la Panthère qui ait conservé les vers afférents donne le nom étrange de Diex de la vache. Ce que je ne savais pas l'an dernier, et ce que j'ai trouvé depuis, c'est que cette traduction nous est parvenue en entier, avec le nom de son auteur, moins bizarre qu'il ne l'est dans le ms. de la Panthère.

On a signalé plus d'une fois, comme contenant une version de l'Art d'aimer d'Ovide, le ms. de l'Arsenal 3122 (anc. B. L. Fr. 91). Faisant, pour l'Histoire littéraire de la France, un travail sur les versions d'Ovide au moyen âge, j'ai examiné ce manuscrit, et j'ai reconnu qu'il contenait une traduction en vers du livre d'André le Chapelain. L'auteur, dans une énigme assez singulièrement disposée, mais très facile à déchiffrer, qui termine son poème, donne son nom et son « seurnon » ou nom de famille: il s'appelait Drouart La Vache, et c'est évidemment le nom qui est

défiguré dans le passage cité de la Panthère d'Amours. Il nous apprend en outre qu'il termina son poème le mercredi 8 novembre 1290. Il résulte de là que Nicole de Margival écrivit le sien après 1290, puisqu'il nous dit du traducteur du Gautier : mors est.

Je n'ai fait que parcourir la version de Drouart La Vache: je dois dire qu'elle m'a paru médiocre, et que je n'y ai remarqué aucun trait ajouté à l'original et qui ait de l'intérêt pour les mœurs et les idées de l'époque où vivait le traducteur.

G. P.

V.

SAQUEBUTE (ANGLAIS SACKBUT, ESPAGNOL SACABUCHE).

Ce mot n'apparaît en français qu'au commencement du xiva siècle, et désigne une espèce de crochet que les gens de pied adaptaient au bout de leurs lances pour agrafer les gens de cheval et les précipiter à terre : A crochez et a saqueboutes

Le trebuchent entre leur routes.

(G. Guiart, dans Sainte-Palaye.)

Saquebute, que Sainte-Palaye explique à tort par «< lance, épée », est nettement défini dans l'exemple suivant, tiré d'un historien anonyme, contemporain de Guiart: « Adont (li Rous de Fauquemont) fist sa gent armer, et il aussi s'arma et fist fere delés le fier de se lanche un grau de fier pour les garchons sacquier jus de leurs chevauls, et celle lanche au grau de fier fu appellée saque-boute, dont puis firent li Flamenc faire de tels bastons >> (Istore et chron. de Flandres, I, 242, Kervyn).

Ainsi les gens de pied sacquaient, c'est-à-dire tiraient à eux, puis poussaient ou boutaient le cavalier, afin de le désarçonner. Ils faisaient exactement le mouvement du joueur de trombone qui tantôt allonge, tantôt accourcit son instrument, selon les intonations qu'il veut exprimer. De là sans aucun doute le nom de saquebute donné plaisamment au trombone dès le xve siècle :

Feste a Gogo,

S'on joue de la sacqueboute.

(Farce de Colin, Anc. Théât. fr., I, 243.)

Au regard des instruments de musique, il apprit jouer du luc... de la viole et de la saqueboutte.

(Rabelais, 1, 23, Burhaud.)

Une saquebute ou trompette de six pieds de fin estain.

(1614). Pièce citée dans les Mém. des ant. de Normandie, t. xxv. p. 69).

Ce mot, auquel Littré ne donne ni historique ni étymologie, est composé, comme on l'a vu plus haut, de deux impératifs : saque et boute. Scheler (Dict. Etym.) s'est rendu compte du premier élément qui entre dans la composition de saquebute, mais non du second, puisqu'il a cru voir dans l'espagnol sacabuche « quelque chose comme tire-bedaine ». Saquebute a échappé à M. Darmesteter dans son très savant ouvrage : Formation des mots composés en français.

A. DELBOULLE.

VI.

BOQUETTE, BOUQUETTE.

BOUQUETTE, S. f., l'un des noms vulgaires, dit Littré, du blé sarrasin dans le Nord. >>

« BOQUETTE, s. f., blé sarrasin ou noir », dit de son côté Louis Vermesse', dans son Dictionnaire de la Flandre française ou wallonne ; « autrefois bouquette », remarque-t-il, ignorant sans doute que cette dernière forme, indiquée par Littré je ne sais d'après quelle autorité, est usitée à Verviers 2.

Quelle est l'origine de ce mot? Après avoir mentionné la forme bouquette, L. Vermesse ajoute: << sans doute parce que la fleur de cette plante forme un bouquet. » Il est à peine besoin de dire que cette étymologie n'est pas sérieuse et que tout autre doit être celle de boquette ou bouquette; elle ne me paraît pas d'ailleurs difficile à trouver. Si l'on remarque que le sarrasin s'appelle bôkwete ou bôkweite en moyen bas-allemand, beekweit en flamand, bockwheat en anglais, buchweizen en allemand, c'est-à-dire «< froment hêtre » ou plutôt « froment faîne », « from the resemblance of its triangular seeds to beechnuts », dit Prior 3, on inclinera tout naturellement à dériver bouquette du radical b. a. bôk4, ags.

I. « C'est avec la farine de boquette, ajoute-t-il, que l'on fait les couquesbaques (pâtisserie fort estimée à Lille). »'

2. Lejeune, Flore de Verviers. Ce renseignement m'a été donné par mon ami et confrère de la Société de linguistique, M. E. Rolland.

3. Cité par J. Britten et R. Holland: A dictionary of english plant-names, s. v. bockwheat. Skeat (An etymological dictionary of the english language) ne donne que la forme buckwheat. L'un et l'autre indiquent aussi buck comme dénomination du sarrasin; « in the central parts of the East-Norfolk district its only name », dit Britten.

4. Dr. Karl Schiller und Dr. August Lübben, Mittelniederdeutsches Warterbuch, s. v.

bôc «< fruit du hêtre », radical qu'on retrouve aussi sans doute dans le vocable boketta, nom, d'après Bridel, du sarrasin dans le patois de la Suisse romande. C'est en partant du même ordre d'idées que le sarrasin a reçu le nom scientifique de fagopyrum (Polygonum) et qu'il porte en catalan le nom de fajol, mot évidemment tiré de fagus (hêtre).

On pourrait se demander toutefois comment il se fait que le radical bôc a pu servir ainsi à désigner le sarrasin, quand notre langue n'y a pas eu recours pour dénommer le hêtre : la réponse est facile; le français a adopté le vocable bas-allemand heister, hester « junger Baum, namentl. von Eichen und Buchen, » disent Schiller et Lübben 2 (vocable qui se joint souvent au radical bôk ou êk, ainsi ĉkheister, bôkheister) comme nom du hêtre, c'est-à-dire qu'il a pris le second élément du composé bòkheister dans le sens même de ce composé ou qu'il a donné à heister, au lieu du sens général de « jeune arbre », qui lui appartient d'ordinaire, le sens particulier de « (jeune) hêtre », qu'il n'a habituellement que réuni à bôk 3. On voit comment ce dernier radical est devenu inutile pour la désignation du hêtre ; il n'est point néanmoins complètement inconnu dans nos patois M. E. Rolland m'a indiqué le mot bouocha (bouohha), donné par Oberlin comme nom du hêtre au Ban-de-la-Roche, et on le trouve aussi, je crois, dans Bouquetot, nom d'une commune du Roumois, où j'ai eu le tort jadis 4 de voir un double diminutif du germ. bosc ; si Bouquetot, en effet dérivait de bosc, il aurait eu autrefois la forme Bosketot; or les seules formes que l'on connaisse sont Bochetot 1180, Bouketot 1198, Boquethot 1205, Boketot 1243, etc. ; il faut donc décomposer ce mot non en Bouque-et-ot, mais en Bouque-tot, comme le proposait d'ailleurs Depping, toutefois en voyant dans bouque un dérivé non de bosc, mais de bôc 6; tot est le radical norois topt, « a grassy place », employé si souvent comme suffixe dans la toponomastique normande 7.

Ch. JORET.

1. D. Jaume Angel Saura: Novissim diccionàri manual de las llenguas catalana-castellana, s. v.

2. Mittelniederdeutsches Warterbuch, s. v. heister.

3. Il est arrivé ici quelque chose d'analogue à ce qui s'est passé pour bókweite; de ce composé le premier élément seul a servi à former le nom wallon et picard du sarrasin; de bökheister, le second élément, au contraire, est passé en français comme nom du hêtre.

4. Des caractères et de l'extension du patois normand, p. 30, note 2.

s. De Blosseville: Dictionnaire topographique du département de l'Eure, s. v. 6. Ce radical sous sa forme bas ou haut-allemande joue d'ailleurs un rôle considérable dans la toponomastique allemande; ainsi Andoltisbuoch, Buochbach, Buchberg, Bocholt, etc. Voy. Förstemann, Altdeutsches Namenbuch, II, 286, etc.,

S. v. boc.

7. Cf. Des caractères et de l'extension du patois normand, p. 52.

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