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VII.

BUCAILLE.

<< Blé sarrasin », dit Littré, sans indiquer dans quelle région est usité ce mot qu'on rencontre en Picardie, en particulier dans le canton de Corbie'. Quelle en est l'étymologie? Littré, qui donne un passage d'Olivier de Serres dans lequel, d'après lui, il se trouverait (« Le millet sarrasin en est une autre espèce que l'on appelle bucail »), cite aussi l'opinion prétendue du savant agriculteur sur l'origine probable de ce vocable: << D'après Olivier de Serres, dit-il, de bockent, nom qu'on donnait de son temps, en Hollande, au blé sarrasin. » Il est évident que ce soi-disant bockent est le fl. boekweit que j'ai donné plus haut; mais je ne sais sur la foi de quelle autorité Littré attribue à Olivier de Serres l'explication étymologique que je viens de rapporter; on ne trouve rien de semblable dans le Théâtre d'agriculture et Mesnage des champs; voici du reste le passage tel que le donne l'édition in-fol. de 1600, p. 110: « Le milletsarrazin en est une autre espèce (de millet), toutefois très différente des précédentes en toutes parties : c'est celui qu'en France l'on appelle bucail: il a la paille rouge, etc. 2. » L'opinion d'Olivier de Serres n'a donc rien à voir ici; mais il n'en est pas moins vrai que bucaille vient, non du fl. boekweit, mais du radical b. a. bôk, à l'aide du suffixe-alia, qui a souvent dans nos patois le sens de diminutif 3. Quant à la présence de u pour o ou ou, elle s'explique par une différence dialectale; il y a là tout simplement un fait analogue à celui que présentent les dialectes hautallemands qui ont changé en u l'o de bôk.

Ch. JORET.

VIII.

BOQUET, BOQUETTE, BOQUETIER.

BAUQUET, s. m. (Orne): Pommier qui n'est pas greffé, sauvageon », lit-on dans Duméril (Dictionnaire du patois normand, s. v.).

« BAUQUETTE, S. f. (Orne): fruit du bauquet », ibid.

1. En particulier à Warloy, comme M. H. Carnoy l'a indiqué à M. E. Rolland.

2. Voici le texte donné par Littré: « Le millet sarrasin en est une autre espèce que l'on appelle bucail, etc. » Au mot sarrasin le texte est rétabli à peu près en entier, mais on n'y trouve point le mot bockent. L'édition in-8 de 1639, soi-disant revue et augmentée par l'auteur », donne p. 96 brucail. Peutêtre Olivier de Serres a-t-il été induit à écrire bucail et non bucaille, parce qu'on dit le et non la-bucaille en picard.

3. Ainsi pescale, pour pescaille, dans le patois du Bessin, petit poisson.

I

Bauquet et bauquette - ou plutôt boquet et boquette - ne sont pas usités uniquement dans le département de l'Orne, on les rencontre aussi dans d'autres parties de la Normandie; ils ne sont pas non plus les seuls mots qui servent à désigner dans cette province le pommier sauvage et son fruit; Duméril indique lui-même les mots bouchillon ajoutez boucillon et suret, employés, dit-il, le premier dans l'Orne, le second dans l'arrondissement de Valognes; enfin le nom de boquetier, qui se trouve dans Littré sans indication de localités, est aussi donné parfois en Normandie au pommier non greffé. Suret est usité surtout dans le Cotentin, le Bessin, la plaine de Caen et le nord du Bocage; bōquet m'a été indiqué dans le sud du Bocage, le Houlme, le pays d'Auge, le Lieuvin et le Roumois ; il est remplacé par bochet au sud du pays d'Ouche, par bouchillon ou boucillon dans le Corbonnais; enfin boquetier se rencontre dans le pays de Caux et le pays de Bray. Quant à boquette, ce mot est usité dans l'est du pays d'Auge, le Lieuvin, le Roumois et le pays de Caux. Quelle est l'origine de ces différents noms? Lorsqu'on compare les formes

aux formes analogues

bōquet, bōquette, bōquetier

noix, noyer, noisette, noisetier,

on est naturellement porté à tirer boquetier de bōquette - dérivation qui d'ailleurs a déjà été proposée 3 tout comme noisetier vient de noisette. Mais de même que noisette dérive de noix, on s'attendrait à trouver un simple bōque, d'où boquette serait tiré ainsi que bōquet. Duméril donne boque, auquel il attribue le sens de « coquille de noix, noisette », mot analogue au bōque hypothétique dont je parlais tout à l'heure, mais dont l'o est, à ce qu'il semble, bref. Si ce vocable, que je n'ai ni entendu ni recueilli, existe réellement, on pourrait, je crois, le dériver du b. a. et nor. bôk « faîne »>, radical qui a, comme je l'ai montré dans un article précédent, donné naissance dans nos patois à un certain nombre de dérivés. Mais comme l'o de boque est bref, ce mot ne peut être le radical

1. L'orthographe bauquet, bauquette d'Ed. Duméril, montre qu'il faut un o long; mais parfois on prononce aussi, en particulier dans l'est, o bref; j'ai du moins reçu de cette région la forme boquette. N'ayant pas entendu prononcer boquetier, je ne puis dire quelle est la valeur de l'o qui s'y trouve; étymologiquement il est long, comme on va le voir.

2. Le mot boquetier est aussi usité dans le Boulonnais, mais les fruits y portent le nom de boquets.

3. En particulier par M. A. Darmesteter. Cf. Bulletin 22 de la Société de Linguistique, p. XLVIII.

de bōquet, par suite il faut le laisser de côté et chercher une autre étymologie à ce dérivé.

Boquet ne signifie pas seulement pommier sauvage; Littré lui attribue aussi le sens de « pelle creuse à l'usage des jardiniers », et dans le pays de Bray ce mot désigne aussi un petit bois; il est alors le synonyme, en même temps que le primitif, de boqueteau, anciennement bosquetel1. De même boquette n'a pas seulement le sens de « pomme sauvage », Littré indique un boquette qui signifie « sorte de pince » 2; il semble évident que ce boquette n'est qu'une autre forme du norm. būquette = fr. buchette, tout comme boquillon, anciennement bosquillon, se rattache, d'après Littré, à bûcheron 3. Mais bōquet, bōquette ne sont pas seulement employés comme noms communs, ils le sont encore comme noms propres. Il y a dans le département de l'Eure plusieurs «<localités >> qui portent le nom de Boquets et un plus grand nombre encore qui s'appellent Bosquet, Bosquets ou même au sud de l'Evrecin Boschet 4 mots identiques, dont le second seulement a conservé l's étymologique perdu par le premier. Cet s, on le sait, est également tombé dans bouquet, mais ici en déterminant le changement de o en ou 5. Les mots Boquet, Bosquet ou Boschet et bouquet dérivent du germanique bosc, b. lat. *bosco (bois), lequel a donné d'ailleurs bosc en normand; ils sont donc le diminutif de ce dernier et signifient « petit bois », sens conservé dans le pays de Bray, comme je l'ai dit plus haut, au mot boquet et qu'avait encore bouquet au xviie siècle 7.

Il est impossible de ne pas identifier boquet « pommier non greffé »> avec boquet, bosquet « petit bois » ; mais comment est-on passé de ce dernier sens au premier? On pourrait supposer qu'il y a là un procédé analogue à celui qui a fait donner à certains oiseaux par exemple un nom

1. « Et s'en vinrent loger en un petit bosquetel. Froissart, Chroniques, X, 124 (Kervin de Lettenhove), cité par Littré, s. v. boqueteau.

2. Malheureusement Littré ne dit pas dans quelle région ce mot est usité. 3. Dictionnaire, s. v. boquillon: « A loi de bosquillon ont chargié lor ramée, Guescl., 901, cité par Littré. M. Fr. Godefroy (Dictionnaire de l'ancienne langue française, s. v.) donne boskillon avec le sens de petit bois.

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4. De Blosseville, Dictionnaire topographique de l'Eure, s. v.

5. Les doublets normands boquet, bosquet et bouquet ont leurs équivalents dans les noms propres également normand's Tótain, Tostain, Toutain. Il y a même Toustain [nor. Tursten].

6. M. Fr. Godefroy (op. cit.) indique un autre diminutif boschel, bosqu(i)el, formé à l'aide du suffixe el, au lieu de ett, mais ayant comme bosquet le sens de petit bois. >>

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D

7. Il a voulu vendre un petit bouquet qui faisait une assez grand beauté, Sév., 429, cité par Littré, s. v. Du sens de petit bois on est passé à celui de réunion d'arbres; l'expression « bouquet d'arbres» est encore très usitée.

a

tiré de la plante sur laquelle ils se tiennent de préférence ou dont ils vivent ainsi chardonneret de chardon, linotte de lin, etc.; c'est d'ailleurs aussi probablement pour cela que l'écureuil s'appelle en rouchi boqué, anciennement bosquet; s'il en est ainsi, le boquet serait le pommier des bois, et ici le suffixe-ett n'éveillerait pas l'idée de diminutif comme dans boquet « petit bois », il indiquerait l'extraction, l'habitat 2. C'est évidemment le sens qu'ont pris ett et ott dans chardonneret et linotte, ainsi sans doute que dans bosquet « écureuil » ; mais on peut et on doit peut-être expliquer l'origine de boquet « pommier non greffé » d'une manière un peu différente; l'idée d'extraction qu'à l'instant j'attribuais à -ett a dû permettre aux dérivés formés à l'aide de ce suffixe de jouer le rôle d'adjectifs; M. Fr. Godefroy 3 a cru, mais en hésitant, que bosquet pouvait être employé comme adjectif ; j'ai recueilli les exemples les plus probants qui prouvent que le féminin boquette s'emploie comme tel; ainsi à Orbec, Courtonne-la-Ville (Lieuvin', Epreville (Roumois), le fruit du pommier sauvage s'appelle « pomme boquette », dans cette dernière localité les noisettes s'appellent aussi «< noix boquettes »>, à Courtonnela-Ville on donne également le nom de « surelle boquette » à l'oseille sauvage Rumex acetosa). On ne peut douter que ce qui a lieu pour la forme féminine boquette ne soit arrivé aussi pour la forme masculine bōquet 4, et de même qu'on a dit « pomme boquette »>, on aura dit << pommier boquet », et plus tard tout simplement « bōquet » et « bōquette ». Quoi qu'il en soit, la forme boquette étant donnée, boquetier en sortait naturellement comme nom du pommier sauvage; c'est ce qui a eu lieu, je l'ai dit, dans le pays de Bray et le pays de Caux, où cependant, chose surprenante, la pomme sauvage ne s'appelle guère boquette, mais porte plutôt le nom de cafignette.

Ch. JORET.

1.

Le bosquet (aime) la noisette (Le sec. mariage de Dicu et de l'âme, cité par M. Fr. Godefroy, op. cit., s. v. bosquet). C'est par une erreur évidente que cette phrase se trouve citée aussi à l'article bochet et que bosquet y est donné comme synonyme de bouquet « chevreau. »

a

2. Si boquet « pelle creuse dérive bien de bosc, ce que l'ignorance de l'ancienne forme de ce mot et de la quantité actuelle de l'o qui s'y trouve m'empêche de dire avec certitude, -ett y a le sens de diminutif, boquet serait alors un petit (morceau de) bois. » Dans boskillon petit bois », -on a aussi le sens diminutit, mais dans bosquillon il sert à désigner l'agent, tandis que dans bochillon pommier sauvage il marque l'extraction ou l'habitat; quant à -il, c'est une simple syllabe de liaison.

3. Op. cit., s. v. bosquet, 1.

4. Les fruits sauvages, m'écrit l'instituteur d'Epreville-en-Roumois, sont généralement connus sous le nom de fruits boquets; ainsi on dit mêle bo

quette pour nèfle des bois, « noix boquette » pour désigner la noisette, etc. »

IX.

LE MYSTÈRE DE LA PASSION A MARTEL (LOT)

EN 1526 ET 1536

Dans le second volume de son beau travail sur les mystères, M. Petit de Julleville a publié une liste des représentations données en France entre les années 1290 et 1603. Cette longue liste, fruit de recherches personnelles ou de communications obligeantes, ne saurait prétendre à être complète; M. Petit de Julleville le sait mieux que personne, et je n'ai qu'à citer ses propres paroles pour servir de préface à la communication qui va suivre. « Il n'y eut peut-être pas une seule <«< ville au moyen âge qui n'entreprît de jouer des mystères. Beaucoup « de ces représentations n'ont dû laisser aucune trace; mais combien << d'autres ont pu avoir lieu dont la mention ou la description demeure << enfouie dans des archives publiques ou privées, encore inexplorées! « Le temps les en fera sortir, et tour à tour elles s'ajouteront à notre << liste imparfaite1. »

Les mentions de représentations de mystères réunies par M. Petit de Julleville se rapportent en majorité aux pays de langue d'oil. Dans les pays de langue d'oc, les mentions les plus fréquentes concernent la région située sur la rive gauche du Rhône la Provence, le Dauphiné et la Savoie ne nous offrent pas moins de trente-deux représentations assurées à Aix, Auriol (Bouches-des-Rhône), Chambéry, Die, Draguignan, Forcalquier, Grasse, Grenoble, Marseille, Modane, Montélimar, Romans, Saint-Jean-de-Maurienne, Salterbrand (vallée d'Oulx), Seyssel, Toulon, Valence et Vienne. Au contraire, la région bien plus vaste qui s'étend du Rhône à l'Océan, et du plateau central aux Pyrénées, ne nous en donne que seize. Ces seize mentions se rapportent à un très petit nombre de localités Caylux (Tarn-et-Garonne), Clermont-Ferrand, Limoges, Mende, Montauban et Rodez; en outre elles sont loin de présenter toutes le même degré de certitude et de précision.

Limoges ouvre la série des représentations datées, aussi bien pour le nord que pour le midi, grâce à la note suivante insérée dans les chroniques de Saint-Martial, et plusieurs fois publiée avant M. Petit de Julleville Nota quod burgenses de Caturco semel, scilicet tercio idus maii, in vigilia Ascensionis Domini millesimo cco nonagesimo, item et alia vice tercio kal. junii, in vigilia Ascencionis Domini, anno Domini M° CCCo se

1. Les Mystères, II, 1 et 2.

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