Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

à mettre en rime. Mais pourquoi les vers 46, 72-3, 96-7, 190-1, 389-90', et bien d'autres, sont-ils isolés? Je concède qu'en certains cas le texte peut n'être pas sûr2, mais la plupart du temps aucun doute n'est possible.

On peut se demander si l'auteur admettait les assonances? Je le crois ce n'était pas par tradition ou par archaïsme, mais par négligence. Citons chandelabres-admirables, 80-1, princesriches, 311-12 (Br), itel-mer, 1228-9, et il y en a bien d'autres. Les observations qui suivent ont trait à la langue, mais sont fondées sur l'examen des rimes.

[ocr errors]

Notre traducteur distingue en principe les rimes masculines des rimes féminines; mais son ignorance l'induit parfois en erreur. Je ne parle pas seulement des adjectifs ou des participes passés masculins joints à des féminins (1081-2): cette confusion est commune dans la poésie anglo-normande, mais de rimes comme pere (pierre)-primer, 1326-7. Des exemples analogues s'observent en quelques poèmes. Ainsi, dans la Descente de saint Paul, on voit parole rimer avec Pol, 7-8, et paroles avec cors, 137-8. Dans le dit de Hugues de Lincoln vie rime avec Henri, cheï, merci, ure (hora) avec dolur et pöur, fontaine et paine (peine) avec lendemain et main, etc. 3. Même fait dans les poésies de Bozon et ailleurs. Je signalerai encore, comme fort caractéristique, l'association à la rime de troisièmes personnes plur. de l'imparfait (-eient -oient) avec des finales toniques en -eint ou en -ent; avec ceint (cinctus), 51-2, avec forment, 275-6, avec ensement, 344-5. La finale de l'imparfait perd alors son atone diseient devient diseint, réduction dont on a de nombreux exemples, dès le XIIIe siècle, dans les mss. exécutés en Angleterre, mais ordinairement la rime et la mesure obligent à restituer l'e manquant, au lieu que dans notre Apocalypse la rime constate la perte de cet e.

L'incertitude de la prononciation est attestée par la facilité avec laquelle certains mots riment avec des finales très diffé

1. Ici terremutes est associé par la rime à fetes; mêmes finales v. 938-9.

Cf. v. 615.

2. J'ai signalé en note un de ces cas, celui du v. 411.

3. Édit. Fr. Michel (1834), PP. 3, 5.

4. Voir Contes de Bozon, pp. xxxiij, xxxiv, xl, xlj.

5. Par ex. dans le ms. de l'Histoire de Guillaume le Maréchal.

rentes. Ainsi Deus (Dieu) rime avec veus (vieux), 597-8, avec iceus, 684-5, avec oez ou oeuz (oculos), 313-4, avec vertu, 359-60. A leur tour veuz (vieux) rime avec un participe en é, tuez, 311-2, et oez (oculos), avec els (illos), 277-8; ce dernier pouvant aussi rimer avec mes (magis), 371-2. J'hésiterais à croire que Deus pût rimer avec escrivez, 149-50, d'autant plus que ont des leçons différentes. Cependant la Descente de saint Paul nous présente les rimes Deus-neez (natus), 161-2.

Notons encore la rime de moy avec durroy (je donnerai), 242-3, et avec le part. passé oy (3 39-40). Dans le premier cas on peut supposer que le rimeur prononçait mai, durrai; il y a des rimes de ce genre dans la chronique de Peter de Langtoft (éd. Wright, p. 34, etc.); quant au second cas, s'il est certain (la leçon d'a est autre), il faudrait induire que le participe passé oy s'était ici réduit à une syllabe. Ces rimes approximatives doivent sans doute s'expliquer par une prononciation flottante et incertaine. Ne perdons pas de vue, toutefois, que notre traducteur sait au besoin se passer de rime. La rime la plus extraordinaire est celle de vie avec glorie, 289-90', 342-3, et avec fluvie, 1357-8. Ici il ne peut guère s'agir d'une erreur de prononciation le rimeur aura été trompé par la graphie.

Les sons ain, ein, en paraissent s'être unifiés : gardeins2 rime avec gens, 1032-3, 1111-2, seinz avec encens, 383-4; entendre avec reindre (anc. reeindre), 324-5. On s'étonne de voir parole rimer avec apele, 37-8, et paroles aves leales (qui se prononçait leles 3), 1144-5

Il est inutile de citer des exemples de la confusion des inf. en -eir et même en -ir avec ceux en -er c'est chose depuis longtemps bien connue, mais signalons l'envahissement du prétérit par ce même genre de confusion: cheierent (de cheeir ou cheïr) rime avec aorerent, 346-7.

1. Voir la leçon du ms. Pepys, en note. Cet exemple n'est pas sûr, parce que le texte de y (197-8) est différent, mais les deux autres exemples paraissent incontestables.

2. Gardien, mais la forme ancienne est gardain.

3. Voy. Contes de Nicole Bozon, p. lxij.

4. Voy. Contes de Nicole Bozon, p. xxxvIII, note 1.

Je ne connais, dans la littérature anglo-normande, aucun autre poème qu'on puisse attribuer au traducteur de l'Apocalypse. Aucun ne présente exactement les mêmes caractères linguistiques, pas même la Descente de saint Paul en enfer qui se trouve copiée à la fin de deux des mss. (famille ) de l'Apocalypse. Toutefois, ce sont deux œuvres du même temps et sorties du même milieu. Avec ces médiocres ouvrages se clot, ou à peu près, la poésie anglo-normande. Plus tard encore, jusque vers la fin du XIVe siècle, des Anglais pourront avoir la pensée de s'exercer à la poésie française. Gower même écrira en français un très long poème', mais ce français sera celui de France: ce ne sera plus l'idiome importé en Angleterre par les compagnons

de Guillaume de Normandie 2.

Paul MEYER.

1. Voy. Romania, XXIV, 620.

2. La planche jointe à ce mémoire contient la reproduction réduite de deux pages empruntées, l'une au ms. du Musée britannique, addit. 18633, l'autre au ms. de Toulouse. Ces deux pages se correspondent partiellement et peuvent servir à montrer l'étroite ressemblance des deux mss. (voir pp. 179180). La miniature est à peu près identique de part et d'autre. Elle offre une intéressante représentation de ces races de Gog et de Magog qui ont tant occupé les imaginations du moyen âge. On remarquera la forme contournée des nez de ces êtres fabuleux. C'est la forme ordinaire du nez des démons dans l'art anglais du XIIIe et du XIVe siècle. Dans les peintures du Roman de toute chevalerie d'Eustache de Kent, certains monstres, rencontrés en Inde par Alexandre, présentent la même particularité. La page du ms. de Londres contient la fin du commentaire sur APOC. XX, 4-6, les versets latins XX, 7-9, les vers 1224-1233. La page du ms. de Toulouse contient les vers 1215-1223, le commentaire correspondant à APOC. XX, 4-6, le verset latin xX, 7.

-

17

Romania, XXV

UN ÉPISODE D'ÉREC ET ÉNIDE :

LA JOIE DE LA COUR. MABON L'ENCHANTEUR

L'épisode de « la Joie de la Cour » apparaît au lecteur d'Erec et Énide comme un hors-d'œuvre bizarre et incohérent. Par ces bizarreries mêmes, que l'on s'est contenté jusqu'ici de signaler, — il est digne de fixer l'attention. Il est surtout intéressant à un point de vue plus général, en ce sens que, de tous les épisodes d'Érec, c'est celui qui permet de rattacher, de la façon la plus décisive, le poème de Chrétien de Troyes au cycle du Bel Inconnu. Mabonagrain est le héros ou plutôt la victime de cette aventure étrange. M. F. Lot lui consacrait. récemment, dans cette même revue, un numéro de ses Celtica: on verra que Mabonagrain méritait mieux qu'une simple notice onomastique.

Voici l'épisode entier, tel qu'il se développe dans Érec, moins les longueurs et les redites.

1. Érec, après avoir chevauché plus de trente lieues en compagnie d'Énide, sa femme, et de Guivret le Petit, son ami, arrive devant un château-fort entouré de tous côtés d'une eau large et profonde. C'est le château de Brandigan. Il appartient au roi Évrain, qui l'a fait fortifier par luxe plutôt que par besoin, car la défense naturelle suffisait. Érec propose aussitôt d'aller y prendre hôtel; mais Guivret l'avertit qu'il y a là un « mal trespas », autrement dit une mauvaise coutume. Depuis sept ans, aucun de ceux qui s'y sont aventurés n'en est revenu; on y reçoit << honte ou mort ». D'ailleurs, si l'aventure est périlleuse, elle a un beau nom, elle s'appelle « la Joie de la Cour ». Ce mot achève de décider Érec à demander l'hospitalité du roi

Évrain, et à « querre la joie » (v. 5473). Comme l'Yvain du Chevalier au Lion, comme tous ces héros d'aventures, il se sent poussé vers le danger, attiré par l'inconnu avec une force irrésistible. Érec entrera: le sort en est jeté! D'ailleurs le roi Évrain entend l'hospitalité de la façon la plus large et la plus courtoise il a même exigé par un édit qu'on conduisît à son palais tout étranger entrant à Brandigan.

2. Érec franchit le pont et passe la porte. Tout le monde le regarde avec stupeur et pitié; les gens se concertent entre eux; c'est un frémissement dans toute la cité. Au seuil de chaque aventure importante, Chrétien groupe ainsi autour du héros la foule timide, la foule chétive ou insouciante, sorte de choeur antique, au-dessus duquel il se détache, avec sa bravoure sereine et son calme supérieur. Les pucelles qui carolaient laissent là leurs chants pour plaindre la beauté et la jeunesse de l'étranger : car c'est la mort qui l'attend dès demain. Mais lui ne veut rien entendre de ces avertissements lugubres; il salue avec grâce, et passe.

3. Description de la réception magnifique offerte par le roi Évrain dans son palais. Il insiste sur les dangers de l'aventure. Mais Érec est inébranlable.

4. Le lendemain, au lever du jour, il revêt son armure et se met en marche. Grand tumulte dans les rues. Nouveau choeur de la foule tant de chevaliers hardis ont déjà tenté de conquérir la joie de la cour, et n'ont trouvé que leur perte! Évrain conduit Érec dans un verger; la foule les suit par derrière.

5. Description du verger merveilleux : c'est une sorte de prison magique, entourée d'une clôture aérienne; on ne pourrait y entrer qu'en volant. Été comme hiver, le jardin produisait des fleurs, des herbes médicinales, des fruits mûrs; celui qui emportait un de ces fruits ne pouvait sortir.

La foule entre dans le verger « par une estroite entree »> (v. 5766). Érec s'avance le premier, écoutant avec délices le chant des oiseaux, car cette musique lui représente sa joie, la chose que son cœur désire le plus.

6. Tout à coup une merveille effrayante s'offre à ses yeux : sur des pieux aigus sont fichées des têtes humaines coiffées de leurs heaumes. Un seul pieu est vide : il y pend sculement un cor. Et ce pieu vide était plus menaçant et plus sinistre que tous

« VorigeDoorgaan »