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CHRONIQUE NIÇOISE DE JEAN BADAT

(1516-1567)

Une chronique inédite, rédigée en dialecte niçois et se rapportant à la période historique des guerres de la rivalité, nous a été conservée, par une heureuse fortune, dans un volume des Archives de Turin'. Ce volume est le recueil des statuts, privilèges et ordonnances ducales relatifs à Nice, qui a été rédigé vers 1460 par un citoyen notable de la ville, du nom de Pierre Badat. Il porte en tête le titre de Repertorium mei Petri Badati. C'est à la fin de ce manuscrit, appartenant à la famille, que Jean Badat, petit-fils de Pierre, a inséré, dans la seconde moitié du xvre siècle, la chronique en question, allant de l'année 1516 à l'année 1567. On peut faire ressortir l'importance particulière de cette espèce de journal à un doublepoint de vue celui de l'histoire et celui de la langue.

Comme source historique, notre chronique a l'autorité d'une rédaction contemporaine aux événements qu'elle retrace et faite par un personnage marquant; elle a été grandement utilisée par l'abbé Pierre Gioffredo pour son histoire des AlpesMaritimes. Comme texte de langue, elle nous fixe l'état du dialecte de Nice à l'époque où elle a été écrite, et offre d'autant plus d'intérêt que personne, jusqu'ici, n'avait soupçonné qu'elle fut écrite en dialecte. En même temps, les quelques pièces niçoises plus anciennes, que nous avons ajoutées à celle-ci, donneront une idée exacte de la route parcourue par notre idiome dans l'espace de deux siècles.

I

La chronique débute par un épisode de 1516. Une bande de 1.500 Gascons congédiés par François della Rovere, duc d'Ur

1. Archivio di Stato, Nizza e Contado, Mazzo, II, no 2, vol. 2, fos 203-208. Romania, XXV.

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bino, depuis que François Ier, réconcilié avec le pape, l'avait autorisé à disposer de ce duché en faveur de Laurent de Médicis, son neveu, retournaient dans leur pays sous la conduite de deux capitaines, les barons d'Aigremont et de Saint-Blancard; ils ont évidemment traversé le col de Tende: au passage des gorges de Saorge les habitants essayent de leur barrer la route, aidés, à cet effet, par les populations de la vallée parallèle de la Vésubie, commandées par leur capitaine, Antoine Fabri. Les soudards ont raison des bandes de paysans armés; ils les repoussent et gagnent Sospel où ils commettent des excès de toute sorte; arrivent à Nice, font étape dans les faubourgs, mais les Niçois s'alarment et tombent sur eux sans leur laisser le temps de finir leur repas. Ils passent le Var, et s'éloignent par Thorenc et Castellane, où l'auteur de la chronique les ren

contre.

Le second souvenir du chroniqueur se rapporte à l'année 1521, époque du mariage du duc Charles de Savoie avec Béatrix, infante de Portugal. Le 29 septembre, le duc allait recevoir la future duchesse qui arrivait dans sa bonne ville de Nice, sur une fort belle escadre portugaise. Mais les conséquences allaient en être néfastes pour toute la contrée, car ces navires apportèrent une épidémie qui fit d'affreux ravages en Provence, ainsi que les documents des archives locales nous l'apprennent. D'après notre auteur, elle dura sept ans.

Les événements malheureux se succédaient. Les États italiens s'étaient ligués avec l'Empire; on était au mois de mai 1524, et Charles-Quint avait ordonné de reprendre l'offensive et d'envahir la Provence. Nice voit alors passer sous ses murs le duc de Bourbon et le marquis de Pescara qui vont tenter une première fois le siège de Marseille. L'histoire racontera la belle résistance des habitants et l'insuccès de cette expédition; le chroniqueur se borne à noter le retour de l'armée impériale, qu'il dit composée de 17.000 combattants, Espagnols, Italiens, Allemands, avec une belle cavalerie de Bourguignons et de Français que le connétable avait dû entraîner dans sa défection. C'est de nouveau dans les faubourgs de Nice qu'on campe; le maréchal de Montmorency ne tarda pas à franchir le Var à la poursuite des Impériaux. C'était un corps formé de vaillantes gens; Badat nous dit qu'il ne comptait que 400 lances, 2.000 chevaulégers et autant de piétons, mais ce fut assez pour effrayer

l'adversaire qui leva le camp dans le plus grand désordre et pendant la nuit, en abandonnant même son artillerie qui avait été parquée dans un jardin de la ville, propriété du beau-père du chroniqueur niçois. Le journal devient, à partir de ce point, plus intéressant; l'auteur raconte que Montmorency lui envoya un trompette demandant logis et vivres, faute de quoi il les aurait pris de vive force. Badat fait demander au gouverneur, qui logeait au château, ce qu'il doit faire, et on lui répond qu'il fasse pour le mieux. Nouvelle sommation du trompette, auquel on répond qu'on donnera pain et vin, moyennant payement, mais qu'on doit se contenter de loger dans les faubourgs. Montmorency joue de ruse avec sa cavalerie il se rend au portail de la Marine, où commandait Barthélemy de Roquemaure, avec lequel se trouvait à cette heure le gouverneur. A eux deux, d'après la juste appréciation de Badat, ils commettent l'erreur de permettre l'entrée au connétable de Montmorency, au capitaine Frédéric de Bozzolo et à leurs serviteurs; en effet, on leur avait à peine ouvert le portail que le maréchal français y pénétrait au galop, avec une vingtaine de cavaliers, enlevant tout devant lui, et à leur suite l'armée entière, qui envahit la ville et la saccage. L'hôtel de Badat n'est pas épargné et, lorsque celui-ci regagne son habitation, il la trouve occupée. Comme dit Badat, en terminant ce paragraphe, «< il n'est pas prudent de laisser entrer chez soi des gens de guerre ».

Il mentionne encore, cette même année, la descente de François Ier en Italie, sa défaite à Pavie, sa captivité, son transport en Espagne et son passage à Nice, où les navires qui le transportaient firent relâche. Les autorités communales allèrent lui faire un respectueux présent dans la rade de Villefranche'.

1529. Passage à Villefranche de Charles-Quint à bord de l'escadre d'André Doria et nouveau présent des Niçois, vin, fruits, pâtisseries; c'est Badat lui-même qui a tenu le registre des dépenses faites à ce propos par la ville.

1. C'est à la mi-juin que François Ier fit escale à Villefranche: une lettre qu'un de ses gentilshommes, M. de la Barre, adresse à la duchesse d'Angoulême est datée du 10 juin, de devant Tage (Taggia), près Monègue (Champollion-Figeac, La captivité du roi François Ier, p. 214).

1536. L'empereur revient d'Italie avec 100.000 combattants, des hommes d'armes en grand nombre, de la cavalerie légère, et va mettre le siège à Marseille, tandis que le roi s'établit à Avignon avec une fort belle armée. Après peu de temps, l'empereur s'en retourne comme il était venu, malgré la splendide escadre d'André Doria qui tenait la mer. L'auteur signale ces événements pour nous apprendre que Charles-Quint, à son retour de Provence, laissa à Nice une garnison de 2.000 Espagnols qui furent logés chez l'habitant et maltraitèrent parfois la population; leur commandant Juan de Vargas empêcha ce qu'il put; mais au moment du départ, qui eut lieu l'année suivante, il s'arrêta sur le pont et se tournant vers les autorités niçoises, il leur débita comme adieu une maxime de haute sagesse : « Messeigneurs, leur dit-il, croyez-moi, n'admettez jamais dans vos murs, autant que faire se pourra, une garnison qui vous vaille ».

1538. La chronique devient plus détaillée et plus précise. Elle mentionne l'entrevue que devaient avoir à Nice le pape Paul III, l'empereur, le roi de France, pour tenter un arbitrage qui rétablit la paix. L'empereur était à Villefranche sur l'escadre de Doria; il avait souhaité d'être reçu dans le château de Monaco, mais les Grimaldi, habiles diplomates, avaient réussi à s'en préserver2; François Ier était resté prudemment sur la droite du Var, au château de Villeneuve, hôte du comte de Tende; le pape, arrivé de Savone, se logeait provisoirement en dehors de Nice, dans le couvent de Sainte-Croix de l'Observance. Il comptait que le prince l'aurait reçu dans le château avec une garde d'Espagnols. Celui-ci avait bien promis, mais il avait compté sans les Niçois et les soldats savoyards et piémontais qui composaient la garnison. Ces trois groupes choisissent chacun un chef: les Savoyards, M. du Bourget; les Pié

1. L'empereur repassa le Var le 25 septembre après deux seuls mois de séjour en Provence, car son armée était décimée par la famine et l'épidémie, causées par le système ordonné par Montmorency de faire dévaster par sa cavalerie tout le pays pour en rendre impossible l'occupation par ses adversaires; les villes d'Aix, Toulon, Antibes furent réduites à la plus grande misère.

2. Gustave Saige, Documents historiques relatifs à la principauté de Monaco, t. II, préf., p. CCXLV.

montais, un simple soldat; les Niçois, Jean Badat; et ils font serment de garder la forteresse au nom du prince, envers et contre tous. Le duc, alarmé, les convoque à deux reprises, par MM. de Chuez, vice-gouverneur; de Broissy, capitaine de sa garde, et par Jean Badat; la première fois, sur le bastion de Mallebouche; la seconde, sur la place de Saint-Michel. Il monte sur un escabeau et les harangue en leur disant qu'il a donné sa parole à l'empereur de lui remettre la place, qu'il est le maître, qu'ils sont les sujets. Mais les Niçois répondent que leurs devanciers se sont donnés jadis à la maison de Savoie, sous la condition expresse qu'on ne pourra jamais les vendre, qu'ils auront dans ce cas le droit de s'y opposer par les armes : quoi pensons fere. La seconde fois le peuple répond : « Oui, sire, vous êtes bien notre prince et souverain seigneur ». On bat les tambours, on crie « Vive Savoie! » et on se retire en ordre de bataille. Le prince, « le bon prince », comme l'appelle ici le chroniqueur, remonte au château, demande inutilement de parlementer avec Jean Badat, rassemble un grand conseil, où se trouvent Pellos, envoyé de l'empereur pour solliciter la remise du château, le baron de Beuil, MM. de Broissy, de Chuez, de Berre, de Tourrette, d'Ascros. Ces derniers disent à Jean Badat (cousin de l'auteur): « Dieu veuille que tu sois bon marchand », à quoi celui-ci réplique : « Il adviendra ce qui plaira à Dieu, aussi je défendrai la personne de notre maître au prix de ma vie ». Un seigneur piémontais, Gruat, seigneur de Beinette, se lève et dit : « Monseigneur et vous, Messieurs, sachez que les raves de Savoie, le beurre de Piémont et le poisson salé de Nice viennent de former une sauce, que même le diable ne mangera pas. » Le chroniqueur observe, avec complaisance, que la conduite des Niçois a seule conservé au prince la ville et le reste de ses états. En effet, ils ne cèdent pas et se serrent même autour du jeune prince héritier, Emmanuel-Philibert, qui n'a que dix ans; et celui-ci, s'adressant aux seigneurs qui l'entourent, leur recommande de veiller à ce qu'on ne l'emporte de là dans un coffre sans qu'ils s'en doutent. Et Badat, saisi d'admiration pour l'esprit du jeune prince, de s'écrier : « Suscitavit Deus spiritum Danielis! » Le duc alors envoya chercher Badat, et celui-ci, après en avoir référé aux deux autres chefs du complot, accepta d'aller trouver le pape. Accompagné d'un autre gentilhomme niçois, Barthélemy Gallean, il va lui présenter les

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