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Chapitre I (p. 1-48). Poésie narrative religieuse. Origines. Vies des saints en vers, Contes pieux, par M. PETIT DE JULLEVILLE, professeur à la Faculté des lettres de Paris. — [Ce chapitre a été rédigé par M. Petit de Julleville. La matière qui y est traitée n'avait jamais été étudiée dans son ensemble. A part quelques poèmes, qui ont été l'objet de publications complètes ou de travaux approfondis (la vie de saint Alexis et celle de saint Thomas de Cantorbéry, par Garnier de Pont-Sainte-Maxence, notamment), on peut dire que la littérature pieuse du moyen âge n'est connue que par des notices isolées, qui, ordinairement, ne dispensent pas de recourir aux manuscrits. La tâche que M. P. de J. avait à accomplir était donc difficile, et nous ne nous étonnerons pas si son exposé ne peut être considéré que comme provisoire. Comme on devait s'y attendre, l'auteur a fait preuve de goût et d'intelligence, et il a traité le sujet avec une véritable sympathie; mais nous devons dire qu'il n'apporte aucun résultat nouveau, que même, sur bien des points, il ne nous a pas donné ce que, dans l'état actuel de nos connaissances, et sans recherches personnelles, nous pouvions attendre de lui. Il est bien entendu que dans un ouvrage destiné au grand public, où on doit s'attacher surtout à donner une vue générale des faits, il n'y avait point lieu de s'attarder aux menus faits de l'érudition, ni de chercher à faire des découvertes; mais il semble que, dans le même nombre de pages, à condition toutefois de resserrer un peu l'exposé, il eût été possible de présenter un résumé plus complet et mieux proportionné de ce qu'on sait actuellement sur la poésie narrative religieuse du moyen âge. La première section de ce chapitre (Origines) est presque uniquement consacrée à la vie de saint Alexis, dont l'auteur parle longuement et avec une juste admiration. Quelques mots seulement sur la séquence de sainte Eulalie et sur le Saint Léger, qui ne sont pas suffisamment caractérisés. La seconde section est intitulée Récits bibliques, Vies des Saints. Sur les récits bibliques, il y a en tout deux pages (pp. 15 et 16), qui ne se recommandent ni par la précision ni par l'abondance des renseignements, et qui interrompent assez mal à propos l'exposé des vies des saints commencé dans la section précédente. « La Bible », dit M. P. de J., « fut plusieurs fois traduite au moyen âge, en français, en prose et en vers, partiellement ou intégralement; mais ces traductions, qui intéressent l'histoire de la langue et celle de l'exégèse, n'intéressent pas la littérature. Les traductions des évangiles canoniques sont peu nombreuses, et, n'offrant rien d'original quant au fond, n'ont guère non plus de valeur de forme » (p. 15). Et c'est tout. Le reste du paragraphe ne concerne que les évangiles apocryphes. Pas un mot du poème d'Herman de Valenciennes, qui a eu, pendant le moyen âge, un si grand succès, et qui a bien toute l'originalité qu'un poème fondé sur la Bible peut avoir. Rien sur la version de la Genèse du trouvère Evrat, au commencement de laquelle se trouve un si bel éloge de la langue française, et qui est un poème daté; rien sur les trois poèmes relatifs aux Machabées, auxquels on ne saurait refuser le mérite de l'originalité! Ce qui est dit des vies des saints, quoique moins insuffisant,

n'est pas toujours à l'abri de la critique. La division en trois groupes principaux (saints nationaux, saints étrangers, saints celtiques) est assez contestable. Il y avait lieu de signaler d'abord les vies qui ont été le plus goûtées par le peuple : ce sont en général celles qui offrent au moindre degré le caractère de l'authenticité, qui contiennent le plus de faits merveilleux. C'est ainsi que nous avons huit versions de la vie de sainte Catherine, dix pour saint Eustache, huit pour sainte Marguerite, sept pour le Purgatoire de saint Patrice. Puis on aurait mentionné les légendes qui offraient un intérêt local, et qui, par suite, ont été peu répandues (saint Evroul, saint Germer, saint Josse, saint Eloi, saint Quentin). Certains poèmes devaient être mis en relief, à cause de leur valeur littéraire, par exemple la vie de sainte Thaïs, l'une des plus remarquables compositions que nous ait laissées le moyen âge. Quelques remarques sur les diverses formes de versification adoptées dans ces légendes rimées n'eussent pas été de trop (ce qui est dit à ce propos, p. 24, ne suffit pas). Enfin il était à propos d'indiquer en peu de mots la part que la poésie française d'Angleterre a prise à cette littérature picuse. Je n'indique ici que des faits parfaitement établis par les érudits, et qu'il était bon de faire entrer dans un ouvrage destiné au grand public. Des observations analogues pourraient être présentées à propos de la troisième et dernière section (Contes pieux), où il n'est guère question que de Gautier de Coinci. Les autres recueils de miracles de la Vierge (en vers français) sont passés sous silence. Or, il en existe au moins neuf (Notices et extraits, XXXIV, 2o partie, p. 32), qui ont été publiés ou du moins signalés depuis longtemps, et entre lesquels deux paraissent remonter au XIIe siècle. A la fin, deux pages de Bibliographie qui ne seront pas sans utilité, mais qui ne remédient pas aux imperfections signalées plus haut, d'autant plus qu'on y pourrait relever bien des inexactitudes1. — P. M ]

Chapitre II (p. 49, 170). L'Épopée nationale, par M. Léon GAUTIER, professeur à l'École des Chartes. [M. Léon Gautier était tout désigné pour résumer dans cette Histoire la question de l'Épopée nationale. Ce n'est pas toutefois sans une certaine appréhension que nous avons vu l'auteur si débordant des Épopies françaises chargé de condenser en un chapitre une matière dans laquelle il s'était jadis quelque peu noyé. Mais en dépit des critiques auxquelles pourront prêter ces cent pages, nous y trouvons certainement ce que M. Gautier a jusqu'ici produit de meilleur : forcé de se resserrer, d'élaguer tout ensemble sa pensée et son style, il a écrit sur l'Épopée nationale un chapitre dense, ferme, plein d'idées et de choses, que les érudits euxmêmes ne liront pas sans profit ni surtout sans plaisir. Ajoutons que M. G. a continué, avec cette bonne foi qui est déjà si manifeste dans sa 2o édition

1. La plus singulère concerne « la Vie de sainte Catherine par sainte Clémence de Barking (vers 1275) ». Il faut lire sœur, et quant à la date, 1275, je ne sais par quelle erreur elle s'est introduite. On sait en effet (Rom., XIII, 401) que l'un des mss, de cette vie ne peut guère être postérieur à 1200.

des Épopées, à se corriger lui-même ; et que, sur les questions encore obscures de son vaste et complexe sujet, il a su prendre position avec une prudence dont il faut lui savoir gré plus qu'à personne.

Le plan est simple, et, dans ses grandes lignes, il est fort logique : I. Origines de l'Épopée nationale; II. Chansons de geste; III. Style et caractère des chansons de geste; IV. Popularité universelle; grandeur et décadence de l'Épopée française. Mais à examiner les subdivisions de chaque paragraphe, on est amené à quelques critiques. Au paragraphe I, on peut s'étonner de rencontrer, au milieu d'une théorie sur les Cantilènes (p. 66), quelques pages sur Charlemagne, lesquelles eussent été beaucoup mieux placées ailleurs. D'autre part, au paragraphe II, après des remarques sur nos plus anciennes chansons, M. L. G. place les Caractères généraux des chansons de geste : manuscrits, langue, versification, musique, etc..., et au paragraphe suivant (III), sous le titre général de : Style et caractère des chansons de geste, nous avons leur physionomie religieuse, politique et morale... Dans tout cela, point d'ordre logique, mais plutôt un ordre pittoresque, qui permet à l'auteur de conclure son paragraphe par des réflexions morales et patriotiques.

I. Les origines de l'Épopée nationale. — M. G. devait être inévitablement un peu prolixe sur l'épopée en général et ses caractères distinctifs. On le retrouve ici avec son défaut essentiel, qui est de s'adresser à des lecteurs chez lesquels il suppose une instruction trop élémentaire et une intelligence trop limitée. Quatre pages pour vous éclairer sur la vraie nature de l'épopée, c'est trop. Et surtout, dans une discussion de critique abstraite comme celle-là, les allures oratoires ne sont pas à leur place. M. G. est mieux soutenu par son sujet lorsqu'il abandonne cette discussion de manuel pour un vrai problème de critique, Les origines de l'Épopée française. Là, il est d'accord avec Rajna, avec Kurth, avec M. G. Paris, pour écarter résolument l'hypothèse d'une tradition orale d'où serait sortie, sans l'intermédiaire de chants lyricoépiques, l'épopée romane. Comment les Francs ont apporté sur le sol galloromain la coutume nationale de célébrer par la poésie les exploits des hères, - comment, après leur conquête, ils ont continué à chanter ces poèmes où revivait l'antiquité de leur race, comment les grands événements contemporains leur ont inspiré de nouveaux chants, comment enfin les Romani, à leur exemple, ont eux-mêmes composé des poèmes en langue vulgaire sur des sujets historico-épiques, c'est ce que M. G. a résumé assez heureusement d'après les travaux antérieurs, et en s'inspirant tout particulièrement de l'article écrit par M. G. Paris (Romania, XIII, 598) sur le livre de Rajna. — Sur la question brûlante de l'épopée mérovingienne, il a résolument écarté les exagérations de M. Kurth, pour adopter l'opinion plus tempérée de M. G. Paris (article cité et Littérature franç. au moyen áge, S 13, 15, 19). Nous pouvons savoir gré à M. G. d'avoir envisagé avec défiance un livre qui devait, à bien des égards, flatter ses propres convictions. A signaler, comme une erreur, l'interprétation du fameux passage de la Vita Sancti Willelmi, sur lequel veut se baser M. G. pour prouver que les complaintes et les rondes n'avaient pas

entièrement disparu devant les épopées auxquelles elles avaient donné naissance (p. 63).

Quant à la manière dont ces chants lyrico-épiques sont devenus épopées, M. G. renonce à son ancienne théorie (« Les premières chansons de geste n'ont été que des chapelets d'antiques cantilènes ») pour adopter la formule de Nyrop: « Nos premiers épiques ont profité des cantilènes, mais ne les ont pas textuellement utilisées. » Formule assez vague, d'ailleurs, et qui ne résout pas la question. L'élément le plus important du problème me paraît être l'explication des laisses similaires. M. G. y voit un procédé artistique, et sans doute il a raison pour la période littéraire de l'épopée. Mais ce procédé — comme ceux de l'architecture par exemple est d'origine spontanée : l'art n'a fait que conserver et reproduire soit les répétitions toutes lyriques des premières cantilènes, soit l'heureuse maladresse des juxtapositions de plusieurs chants sur un même sujet. Le paragraphe consacré par M. G. au Fondement historique de l'épopée française sera certainement un des plus intéressants pour les lecteurs profanes. Avec beaucoup de clarté et de variété dans l'expression, M. G. indique brièvement, d'après les dernières recherches, les faits historiques sur lesquels a travaillé l'imagination populaire. Mais cette étude est nécessairement un peu rapide et superficielle. — Quant au paragraphe intitulé Rôle de la Légende dans la formation de l'épopée, il n'est certes pas le meilleur du chapitre. Pour nous faire comprendre comment les faits, même les plus actuels, sont dénaturés par la légende, M. G. nous raconte une petite anecdote personnelle (pp. 80-81); exemple assez inutile pour des lecteurs intelligents. Toutes les réflexions qui suivent me paraissent manquer de critique. La puissante imagination de M. G. personnifie en la Légende une force mystérieuse, absolue, qui d'abord lui apparaît bienfaisante et vénérable, puis qu'il charge de tous les crimes. S'il lui attribue ce travail de simplification qui aboutit à la création de quelques types immuables, lesquels se substituent à la variété complexe de la vie humaine, c'est elle aussi qu'il accuse d'avoir trois fois déshonoré l'histoire, en l'amplifiant, en en changeant le caractère et la couleur, en y introduisant des événements qui n'ont rien de réel (p. 84). Pourquoi cette indignation? La légende, si féconde et si variée aux époques primitives, est-elle coupable de cette simplification à outrance, de cette déformation systématique de la réalité, de cette monotonie dans l'expression des sentiments? Ne faudrait-il pas bien plutôt accuser les poètes, c'est-à-dire les hommes de métier, qui, sûrs de plaire en faisant reparaître des types et des aventures déjà consacrés par le succès, ont puisé non pas dans la légende vivante, mais aux sources écrites? Ils prenaient des fleurs dans un herbier, et cependant le jardin de la légende en produisait toujours.

M. G. commence sa deuxième partie (Chansons de geste) par quelques réflexions sur le fragment de La Haie, « véritable éclosion de notre épopée. » Il s'écarte quelque peu de M. G. Paris, lorsqu'il veut fixer l'époque où s'arrête la fermentation épique. Il voudrait qu'on la prolongeât jusqu'aux Croisades. Dans sa Littérature du moyen âge ( 29), M. G. Paris a nette

ment expliqué la différence entre les épopées proprement dites et les poèmes de la Croisade, lesquels « n'avaient guère de la poésie que la forme... Au fond, ils étaient de l'histoire ». Bien plus, c'est l'influence inverse qui s'est exercée. Lorsque des chevaliers revenus de Terre Sainte font connaître par des récits authentiques les véritables Sarrasins, l'imagination populaire ne les accepte pas. Le jongleur, l'homme de métier qui flatte les habitudes routinières de ses auditeurs, continue à transformer les Mahométans en païens, et réédite sans cesse les sentiments stéréotypés pour ainsi dire par l'épopée antérieure. Si bien que nos chansons de geste ne doivent rien aux Croisades, et que le cycle de la Croisade, au contraire, a été pénétré et contaminé par des traditions plus anciennes. C'est ainsi que la légende, une fois constituée, absorbe les faits historiques avec lesquels elle peut prendre contact, et les dénature logiquement par l'analogie.

Pour la Chanson de Roland, M. L. G. accorde un peu trop, croyons-nous, à « l'étonnante personnalité », à « la belle imagination », au « génie individuel » d'un auteur qui fut peut-être surtout un arrangeur. - Mais les meilleures qualités du vulgarisateur se retrouvent dans le paragraphe consacré à la formation des cycles épiques. Toutefois, il reste bien des obscurités sur la question de savoir comment s'est formée cette curieuse geste de Garin de Montglane; on aurait su gré à M. G. d'en dissiper quelques-unes; mais ce n'était pas sa tâche actuelle. Il est bien sévère pour les poètes qui ont créé entre différentes légendes un lien artificiel, et qui ont développé par une sorte de greffe chaque branche de la vieille épopée. Il s'attache exclusivement à la maladresse du raccord; il ne songe pas que ces compléments, ces épisodes, ces suites, pour être souvent en discordance fondamentale avec le poème auquel on les a soudés, n'en sont pas moins en eux-mêmes, quelquefois, des inventions charmantes. Ici, M. G. porte la peine de ses définitions trop dogmatiques : sa critique devient une sorte de théologie.

Où cette critique me paraît encore en défaut, c'est lorsque M. G. nous fait ses doléances sur la décadence de l'épopée. Cette décadence est un fait, et tous les regrets du monde n'y changeront rien; mieux vaut expliquer ce fait. Car s'il est un exemple frappant dont puisse user la théorie de l'évolution des genres, c'est bien, certes, celui de l'épopée française commençant par la cantilène pour aboutir au roman d'aventures. Mais au lieu d'analyser les causes de cette décadence, M. G. crie au scandale et à l'ingratitude en citant les couplets polissons de M. de Tressan sur Roland.

Les pages intitulées Caractères généraux des chansons de geste: manuscrits, langue, versification, musique, seront très goûtées de ceux qui veulent s'initier rapidement à ces questions. Seulement, consacrer onze pages à la versification, dans un chapitre dont la matière est si vaste et le cadre si resserré, c'est oublier pour quels lecteurs on écrit.

Nous arrivons avec la charpente des chansons de geste, et le moule épique, à une partie fort bien faite à tous égards. Là, en huit pages, M. G. résume, avec un rare bonheur d'expression et un choix très sûr de courtes citations, une

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