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insiste trop sur le caractère « bourgeois » des fableaux et de leur public; là encore, il est obligé, sachant très bien les choses et étant d'une complète bonne foi, d'admettre bien des réserves. Qu'il se rappelle que le conte d'Unibos, qui est un vrai fableau en latin, commence par ces vers: Ad mensam magni principis Fit rumor Uniusbovis; qu'il songe à l'usage ici attesté dès le xe siècle et encore longtemps après de dire des « bourdes », des «< trufes » à la table des grands et aux assemblées des nobles, et il hésitera peut-être à mettre l'apparition du genre qu'il étudie en rapport étroit avec l'avènement de la classe bourgeoise. Il est beaucoup plus dans le vrai quand il rattache les diverses phases du genre aux changements survenus dans les conditions de la vie des jongleurs : les fableaux étaient le principal gagne-pain des jongleurs errants; quand ceux-ci ont disparu, les fableaux, qui n'avaient plus de récitateurs, ont disparu avec eux. Ils n'ont reparu dans la nouvelle en prose et plus tard dans le conte en vers que pour être lus et dans de tout autres conditions. Chapitre III (p. 105-161). Le Roman de la Rose, par M. Ernest LANGLOIS, professeur à la Faculté des lettres de Lille. Comme M. Jeanroy, comme M. Sudre, comme M. Bédier, M. Langlois a écrit sur le sujet qu'il traite ici un livre justement estimé. Mais il n'y étudiait que les «< origines » et les <«<sources » du Roman de la Rose, et c'est le point sur lequel il a le moins insisté dans le présent chapitre, où il nous donne une exacte analyse et une appréciation historique et littéraire de l'œuvre célébre dont il prépare une édition critique. C'est un excellent morceau, auquel il y aurait peu à ajouter et encore moins à reprendre. Quelques vues de l'auteur sont nouvelles, et certaines d'entre elles appelleraient la discussion. Je ne parle pas des appréciations esthétiques, dont l'une, le titre de « grand poète » décerné à Jean de Meun, peut sembler excessive, mais qui, en général, sont pleines de goût et de mesure. Mais il y a des points de fait sur lesquels on peut différer d'avis avec l'auteur. Il ne prouve pas suffisamment l'assertion, qu'il émet à plusieurs reprises, que l'idée de personnifier les « états d'âme » successifs d'un individu est antérieure à Guillaume de Lorris; il montre cependant lui-même qu'elle est née forcément de l'allégorie de la rose, prise comme symbole de la jeune fille aimée, et à laquelle il était impossible de prêter directement les sentiments et les actes d'une personne : Bel Accueil et Danger sont les produits naturels de cette conception, et je ne vois pas qu'on les trouve nulle part avant Guillaume. Il y a une certaine contradiction entre les appréciations que fait l'auteur de l'influence du Roman de la Rose sur la littérature subséquente il commence par dire qu'elle a été « considérable » et «< malheureuse »>, et il s'efforce ensuite de montrer qu'elle n'est pas aussi assurée et n'a pas été aussi pernicieuse qu'il le semble; mais il présente à ce sujet des observations très fines et très dignes d'attention : si le Roman de la Rose a eu tant de succès et un succès si durable, c'est qu'il faisait partie d'un courant général dont il est parfois difficile de dire s'il le dirigeait ou était entraîné par lui. La thèse la plus contestable de M. Langlois me paraît être celle de l'achèvement probable de l'œuvre de Guillaume de Lorris par son auteur;

Jean de Meun en aurait supprimé la fin pour la remplacer par son immense continuation. L'absence de tout manuscrit contenant le prétendu dénouement de Guillaume, l'existence de deux manuscrits où une autre fin que celle de Jean de Meun est reliée précisément au vers où, d'après celui-ci, s'arrêtait l'œuvre de son prédécesseur, les assertions positives de Jean de Meun, les annonces mêmes de Guillaume (malgré l'habile interprétation de M. L.), tout semble appuyer l'opinion traditionnelle. Mais M. L. annonce qu'il développera cette thèse ailleurs plus amplement, et ce sera le moment de la discuter. Ajoutons que M. L. s'occupe aussi des autres œuvres de Jean de Meun et caractérise quelques ouvrages contemporains qui appartiennent à la même école que le Roman de la Rose. Je regrette un peu qu'il n'ait pas parlé plus longuement des prédécesseurs de Guillaume de Lorris dans le roman allégorique en forme de songe; mais le lecteur peut se reporter à son précédent ouvrage, où cette lacune est largement comblée.

Chapitre IV (p. 162-216). Littérature didactique, par M. Arthur PIAGET, professeur à la Faculté des lettres de Neuchâtel. - La matière de ce chapitre était assez ingrate et, en outre, très dispersée; M. Piaget s'est tiré de sa tâche avec habileté, mais il est visible qu'il s'est mis, consciencieusement d'ailleurs, à étudier son sujet pour le traiter plutôt qu'il ne s'en était pénétré d'avance. Il faudrait un volume pour faire connaître et apprécier les centaines d'ouvrages qui appartiennent à la littérature didactique du moyen âge, et ce volume, qui serait utile, ne serait pas d'une lecture très agréable. M. Piaget s'est surtout attaché à quelques ouvrages importants, qu'il apprécie avec justesse et dont il donne des extraits bien choisis; la riche bibliographie qu'il a jointe au chapitre permettra au lecteur désireux de s'instruire de compléter ses indications. Il y a dans son travail quelques traces de précipitation (il avoue, par exemple, un peu trop sans façon s'être dispensé de lire les Pèlerinages de Guillaume de Digulleville, dont deux sont maintenant imprimés); il dit, p. 165, que « les plus anciens ouvrages scientifiques moraux ont pour auteur Philippe de Thaon », et, p. 172, que Philippe renvoie au Lapidaire, qui lui est donc antérieur; il remarque, avec raison, que dans le Trésor de Brunet Latin « l'origine italienne de l'auteur se fait quelquefois sentir », mais il n'en ajoute pas moins que c'est, « comme disent les Italiens, un véritable teste (sic) di lingua »; on rencontre çà et là de petites inexactitudes, et les fautes d'impression sont fréquentes et parfois gênantes). Il y a surtout des omissions regrettables, comme celle d'Hélinand, de l'excellent et aimable Gilles le Muisit, de Sidrac et de Placide et Timeo, de l'Art d'amours, de vertu et de boneūrte, des Mélancolies de Jean Durpain, si dignes d'attention, de l'Arbre des batailles d'Honoré Bonet, des Voyages de Mandeville, etc. : elles portent principalement, comme on voit, sur la littérature du XIVe siècle, où le terrain, il est vrai, était moins préparé que pour l'époque antérieure, mais où précisément pour cela on aurait eu plus besoin d'un guide. Ces remarques n'empêchent pas que M. P. n'ait eu un réel mérite et n'ait dû consacrer beaucoup de travail à porter un peu d'ordre et de lumière dans le chaos de

cette littérature à la fois si féconde et si aride; mais on sent que le temps lui a manqué pour préparer à fond et dominer complètement son sujet.

Chapitre V (p. 217-270). Sermonnaires et traducteurs, par M. Arthur PIAGET. - On ne comprend pas bien la réunion de ces deux sujets en un seul chapitre, d'autant plus que les traductions sont surtout celles de livres profanes. La première partie, consacrée aux sermons, est intéressante et judicieuse : M. Piaget y discute les thèses contradictoires de MM. Lecoy de la Marche et Hauréau sur la langue originaire des sermons écrits en latin, et se range essentiellement à l'opinion du dernier savant, d'après lequel la plupart des sermons étaient prêchés en latin, même aux laïques, et nous sont arrivés, non dans une traduction, mais dans la forme même sous laquelle ils ont été débités. Il donne de bons arguments à l'appui de cette opinion (quoique la question présente encore bien des obscurités); mais alors les sermons, appartenant presque tous à la littérature latine, ne devraient tenir qu'une petite place dans ce livre, d'où elle est exclue, et on ne voit pas l'utilité des pages consacrées à saint Bernard, à Morice de Sulli (le fait que des sermons de ces deux auteurs ont été traduits en français n'y change rien) et à tant d'autres prédicateurs. Notons qu'il n'est plus permis d'attribuer (p. 240) à Étienne de Langton le sermon sur Bele Aaliz, et que M. Lecoy a démontré, il y a déjà longtemps, la fausseté de cette attribution. On saura grẻ, en revanche, à M. P. de nous avoir donné la longue analyse, avec citations, d'un des sermons français de Jean Gerson (encore inédits sous cette forme, qui ici est bien l'originale). Les prédicateurs du xve siècle, avec leur langage étrange entrelardé de latin et de français, avaient droit aussi à la place qu'il leur donne, et on aurait même attendu de lui sur Menot et Maillard un peu plus de détails et des citations moins souvent faites avant lui. — Au début de sa notice sur les traducteurs du xive siècle, M. P. montre fort bien que c'est à tort qu'on a parlé, sous Charles V, d'une « renaissance » et d'un << premier humanisme » : ce qui caractérise l'humanisme, c'est d'avoir ranimé l'intelligence et le sentiment de la beauté antique, et c'est ce dont nos traducteurs du xive siècle n'ont pas eu l'idée : les princes et les seigneurs qui leur ont commandé leurs travaux n'étaient pas du tout guidés par un sentiment artistique, mais par le désir de s'instruire et d'instruire les autres des vérités contenues dans les livres latins et jusque là réservées aux clercs (il est d'ailleurs bien excessif de dire que Charles le Sage « se souciait avant tout d'astrologie »; les détails donnés plus loin par l'auteur lui-même sur le zèle du roi pour les traductions les plus diverses démentent suffisamment cette injuste appréciation). La notice elle-même, sans être complète (et elle n'avait pas à l'être), est bien faite et intéressante. On se demande seulement pourquoi M. P. n'a parlé que des traducteurs du XIVe siècle : ceux du

1. On est un peu étonné de voir plus loin, dans ce volume, M. Petit de Julleville parler (p. 357) de ce « premier essai d'humanisme» du xiv siècle, malgré les judicieuses remarques de son collaborateur.

XIIIe siècle, qui ont eu le grand mérite d'ouvrir la voie, et qui ont grandement contribué à créer la prose française, méritaient au moins d'être nommés; il est vrai que plusieurs le sont dans d'autres chapitres de l'ouvrage (Jean de Tuin et autres par M. Constans les historiens par M. Charles-V. Langlois), mais il en restait d'autres, comme par exemple Jofroi de Watreford, et il semble que tous auraient dû être rappelés ici et que l'histoire de la traduction en France aurait dû être exposée en ordre chronologique.

Chapitre VI (p. 271-335). L'historiographie, par M. Charles-V. LANGLOIS, chargé de cours à la Faculté des lettres de Paris. M. Charles-V. Langlois a réussi à faire tenir dans une soixantaine de pages un tableau complet, bien disposé dans ses grandes lignes, animé dans tous ses détails, de l'historiographie en langue vulgaire depuis le milieu du XIIe siècle jusqu'à la fin du xvie. Pour la première moitié de cette période, celle qui s'arrête à l'avènement des Valois, le cadre était déjà tracé, et l'auteur n'a guère eu qu'à redire ce qui avait été dit avant lui, ne se faisant pas faute d'emprunter (en les citant) à ses devanciers ce qui lui semblait suffisamment précis et caractéristique, mais ajoutant aussi plus d'un trait personnel (voyez, par exemple, son jugement de Villehardouin) : il a même fait un travail neuf, et qui est loin d'être sans mérite, en esquissant un exposé de la genèse et des rapports des chroniques en prose du XIIe siècle et des écrits historiques relatifs aux croisades, qui n'avait pas été fait avant lui. « L'histoire littéraire du XIIIe siècle, dit-il à bon droit (p. 295), n'offre guère de sujets plus ingrats et plus difficiles à la fois que celui-ci : la généalogie des « histoires » en prose française qui furent écrites alors. Ce sujet est difficile, car il s'agit de discerner les sources initiales de ces compilations, et les rapports qui existent entre les différentes rédactions du même recueil, entre les recueils apparentés. Il est ingrat, car la valeur littéraire des livres de cette espèce est fort mince. » On saura d'autant plus de gré à l'auteur d'avoir tracé même les premiers linéaments, qui semblent en général exacts, d'une classification très importante pour l'histoire. A partir du milieu du xive siècle, M. L. a dû se faire à lui-même son plan, et il n'a guère trouvé, sauf pour Froissart et Commines, de résumés préparatoires. Il ne s'en est pas moins fort bien acquitté de sa tâche. On pourrait lui reprocher certaines mentions trop brèves d'ouvrages qui méritaient mieux; mais il faut considérer que c'est dans une Histoire de la littérature française qu'il devait insérer cette histoire de l'historiographie, et que déjà plus d'un lecteur a pu trouver que le document historique tenait trop de place dans un livre de ce genre. La ligne de démarcation était difficile à tracer : M. L. l'a en général marquée avec une parfaite netteté. Bien qu'historien de profession et non littérateur, il a toujours subordonné le point de vue historique au point de vue littéraire, tout en indiquant avec soin le premier. Ses jugements sont en général excellents on peut différer parfois d'avis avec lui, persister à penser, par exemple, que Geoffroi de Paris a un très mauvais style et ne pas trouver que les mérites de Chastellain, comme écrivain, soient mis assez haut; mais ce sont des points où chacun est libre

d'avoir son opinion personnelle. Sur les points de fait, je n'ai guère trouvé à critiquer dans ce chapitre que quelques détails minimes qui ne valent pas la peine d'être relevés : je dirai seulement que je ne sais sur quel fondement M. Langlois s'appuie pour dire (p. 311) que Philippe de Novare avait composé une Chronique métrique, et que je reste convaincu, jusqu'à preuve du contraire, que Christine de Pisan (dont la Vie de Charles V est bien sévèrement jugée 1) est l'auteur du Livre de Bouciquaut.

Chapitre VII (p. 336-398). Les derniers poètes du moyen dge. Les conteurs. Antoine de la Salle, par M. PETIT DE JULLEVILLE.-I. La poésie au XIVe siècle. Machaut, Froissart, Deschamps, tels sont à peu près les seuls noms que relève M. Petit de Julleville pour représenter la poésie du XIVe siècle (avec quelques mots sur Philippe de Vitri et une note sur le Livre des Cent ballades 2); cela peut surprendre au premier abord, mais il faut réfléchir que la poésie narrative et didactique de cette époque est traitée plus ou moins complètement dans d'autres chapitres (à vrai dire, elle est loin de l'être suffisamment). Il est vrai, en outre, que la première moitié de ce siècle est singulièrement stérile en fait de poésie lyrique : si l'on excepte Jeannot de Lescurel, qui est tout à fait du commencement, on ne trouve presque aucun nom à citer. Dans la seconde moitié brillent les trois poètes dont il s'agit, que M. P. de J. a très agréablement appréciés. — § II. La poésie au XVe siècle. Quoi qu'en dise M. P. de J. au commencement de ce paragraphe, la poésie française du xve siècle est bien supérieure à celle du xive: Christine de Pisan, Alain Chartier (bien que sa poésie ne vaille pas sa prose), Charles d'Orléans, Martin Le Franc, Martial d'Auvergne, Villon, Coquillart même, auxquels l'auteur consacre des notices, forment déjà (sans parler des poètes dramatiques, traités à part) un groupe bien autrement riche, original et varié que Machaut, Froissart et Deschamps. Et parmi les poètes de second ordre qu'il se borne à énumérer dans une note (Chastellain, qu'il traite bien trop sévèrement, Meschinot, Henri Baude) ou qu'il ne mentionne pas du tout (les poètes de l'entourage de Charles d'Orléans, Oton de Granson, Guillaume Alexis, etc.), il y en a plus d'un dont les productions se lisent encore avec plaisir. Assurément, le xve siècle ne fut pas une époque de haute poésie : il manquait trop d'harmonie et avait perdu le sens des grandes choses; mais, en revanche, on y voit se développer la poésie personnelle née dans l'âge précédent, et la langue y montre une souplesse, une vivacité, souvent une grâce qu'elle n'avait pas encore eues à ce degré. Je ne sais si dans le volume suivant on reviendra sur l'école des « grands rhétoriqueurs », formés par les leçons de Chastellain, qui remplit la fin du

1. M. Petit de Julleville, au chapitre suivant, l'apprécie tout autrement (p. 343-344) : ici encore, mais à plus juste titre que dans l'exemple cité ci-dessus, le directeur de la publication s'est mis en contradiction avec son collaborateur.

2. M. P. de J. parle de l'Oxide moralisé, dont M. Constans avait déjà dit un mot, et continue, comme lui, à l'attribuer à Chrétien Leguoais de Sainte-More.

Romania, XXV.

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